TERROIR
Tortelloni ou fagottini? Si, si, mais à base d’ingrédients locaux

Artisan pastificio, José Martinez fait souffler un petit air d’Italie sur la campagne vaudoise. Depuis 2012, il confectionne à la main ses pâtes fraîches, selon des recettes traditionnelles.

Tortelloni ou fagottini? Si, si, mais à base d’ingrédients locaux

Récemment, le potimarron et la courge étaient à l’honneur, dans une farce aigre-douce avec un peu de mostarda di Cremona (la version traditionnelle de la moutarde, aux fruits), mais aussi des variantes automnales au gibier: «Je me suis fait plaisir avec une bolo de sanglier, des farces chevreuil-cacao ou canard-miel, voire à la truffe», notamment pour quelques bonnes tables de la région, qui passent commande. Aujourd’hui, c’est raviolis, promis, mais à la ricotta et au citron vert. Et demain, quelles pâtes? José Martinez, artisan pastificio installé à La Côte, à Cuarnens (VD), les confectionne chaque jour fraîches et différentes. «Je me lance aussi dans de nouvelles couleurs: je fais des essais avec la spiruline, cette microalgue aux vertus de superaliment. Et pour la Saint-Valentin, des pâtes rouges en forme de cœur, colorées à la betterave, farcies de saumon.» De quoi élargir encore la gamme de sa bien nommée PME Amore di Pasta, qui en compte déjà une bonne trentaine. La production est tout ce qu’il y a d’artisanal, les recettes celles des nonnes transalpines, avec juste l’assistance du robot pour le pétrissage de la masse. La masse? Quinze kilos de matière sèche tout au plus, des œufs, de l’eau, le tout passé dans le pétrin que José a racheté au locataire précédent. «J’ai repris le local voici un an et demi avec une partie du matériel, laminoir compris.» Son labo est aujourd’hui installé dans l’ancienne laiterie du village; il partage les locaux avec d’autres artisans gourmands, qui lui fournissent aussi une formidable ricotta, à l’enseigne de Mozzafiato.

Dompter les caprices de la pasta
À l’instar de la ricotta ou de la mozzarella des voisins, les ingrédients sont (presque) toujours locaux. De la semoule de blé dur, ultrafine, jaune or, du Moulin de Cossonay (VD), des œufs d’une ferme avicole de Cournillens (FR), du sel de Bex (VD), mais aussi des épinards, de la courge ou de la betterave du marché à la ferme, selon la saison. À pasta locale appellations transalpines, des fagottini aux tortellacci, selon le savoir-faire transmis par un artisan pastificio italien de Genève.
Au commencement donc, la semoule, étonnamment fine et douce sous les doigts. On lui ajoutera une bonne quantité d’œufs battus – compter une dizaine par kilo de semoule et de l’eau selon la consistance. La pasta, toutefois est presque aussi capricieuse que le pain, avec des humeurs qui varient au gré de la météo. José sait qu’il faut y aller au feeling, un œil sur le pétrin, l’autre sur le laminoir, rajoutant au besoin une tombée d’eau. Au bout d’une vingtaine de minutes de pétrin, il obtient une belle masse homogène, jaune dense. Puis direction le laminoir, qui va l’avaler pour la ressortir sous forme de rouleaux: plus ou moins fine selon l’usage, l’abaisse est alors déposée sur un plateau saupoudré de farine de riz, pour absorber le surplus d’humidité…

De jolies ravioles bien dodues
Pour les raviolis du jour, il finit d’abaisser la pâte au rouleau, pour la rendre plus fine encore, avant de la découper en carrés à l’aide d’une bicyclette. Entre-temps, José a préparé sa farce aux ingrédients simplissimes: la fameuse ricotta, du zeste de citron vert pour le parfum et un peu de jus, une pincée de sel. «La farce doit rester assez sèche.» L’artisan en dépose ensuite une noix à l’aide de la poche à douille au centre de chaque carré, avant de refermer en pinçant les extrémités pour former de jolis coussinets dodus. «Jamais d’œuf pour coller la pâte, qui en contient déjà bien assez, mais on va l’humecter d’eau à l’aide d’un pinceau au moment du façonnage.»
Et alors, comment cuire nos ravioles? Quatre-cinq minutes dans l’eau bouillante salée, pour les garder al dente – pas question d’attendre qu’elles remontent à la surface, comme on le croit parfois… Un peu plus si elles sont surgelées. Et avec ça, une petite sauce? Une bonne huile d’olive ou un peu de beurre salé et un zeste de citron, la farce, exquise, se suffit à elle-même.

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Olivier Evard

Mais au fait, qui a inventé les pâtes?

Les pâtes ont inspiré nombre de légendes, démenties par la recherche. Y a-t-il encore quelqu’un pour croire que Marco Polo les a ramenées de Chine? Qu’il relise l’historien Massimo Montanari. De quoi parle-t-on? Du mélange farine-eau, avec ou sans œufs, transformé de moult manières en pasta fresca? Toutes les civilisations ont en commun ce savoir-faire ou à peu près. Les Romains en apprêtaient, à l’instar de Caton donnant des recettes de laganae (lasagne) frites au IIe siècle av. J.-C. On s’interroge plutôt sur l’origine des pâtes sèches, or «il semble établi que nous devons leur invention aux Arabes». Une invention qui remonterait au haut Moyen Âge, avant le IXe siècle, où elle est codifiée… Les Maures auraient introduit les pâtes sèches en Sicile entre le IXe et le XIIe, d’autres auteurs évoquant la piste andalouse.

Le producteur: José Martinez

Un bac maths-physique en poche, il a quitté Quito, en Équateur, voilà près de vingt ans pour rejoindre son frère installé à Genève en vue d’étudier l’architecture. Contraint de faire la plonge, entre autres petits jobs dans des restos, c’est finalement son amour de la bonne chère qui le poussera à changer de voie. José Martinez se forme auprès d’un traiteur italien, spécialiste des pâtes, qui lui transmet son savoir-faire. Jusqu’au jour où il décide de se lancer à son tour. La bien nommée Amore di Pasta prend ses quartiers à Préverenges (VD) en 2012, avant de déménager à Cuarnens, près de Morges, en 2018. Désaffectée, l’ancienne laiterie du village reprend ainsi vie grâce à José et ses voisins de Mozzafiato, qui y produisent ricotta et autre mozzarella locale. José fournit quelques restaurants de la région, commerces spécialisés et l’épicerie locale en ligne Vita verdura. On peut aussi passer commande en direct via le site ou par téléphone.
+ D’infos http://amoredipastajm.com