Les tubes de l’été 1/4
Thomy, la première moutarde du monde à avoir été mise en tube

Cet été, la rédaction de «Terre&Nature» vous présente sa sélection de tubes de l’été. Elle vous dévoile l’histoire de spécialités 100% helvétiques rappelant – souvent – de bons souvenirs.

Thomy, la première moutarde du monde à avoir été mise en tube

Elle est aussi indispensable dans le panier pique-nique que le tube de crème solaire. Alliée du cervelas grillé, grande amie de la choucroute, la moutarde est l’un des condiments essentiels dans les cuisines helvétiques. Si certains la préfèrent gros grains ou de Dijon, c’est la mi-forte de Thomy – au goût un peu plus neutre peut-être, de quoi séduire les Helvètes – qui a réussi à s’imposer dans l’ensemble du pays. Son emballage bleu roi est reconnaissable au premier coup d’œil. Cette pâte jaune, dont la recette a peu changé au fil des siècles, est toujours dans le coup. Sa couleur si particulière parvient même à s’immiscer dans les défilés de mode, devenant une teinte à part entière. De quoi faire rougir d’envie le ketchup ou pâlir de jalousie la mayonnaise, qui ne connaissent pas un tel honneur.
La moutarde est en effet une star au naturel, qui a plus d’un tour dans son tube. Certains lui prêtent même des vertus curatives. Elle améliorerait la circulation du sang, mais aussi favoriserait la digestion, ce qui explique peut-être pourquoi elle est si prisée en tant qu’accompagnement de plats de charcuterie.
Qu’elle vous monte au nez ou ravisse vos papilles, elle ne laisse personne indifférent. On la fabrique avec les graines d’une plante herbacée se déclinant en trois variétés – la blanche, plus douce, la noire et la sauvage, le sénevé – s’épanouissant dans un climat tempéré. La recette de ce condiment est archisimple. Broyées puis mélangées à de l’eau ou du vinaigre, les graines libèrent leur huile essentielle, plus ou moins piquante selon la variété choisie. La pâte, épaisse et peu ragoûtante au départ, s’affine, devenant la crème onctueuse que l’on déguste ensuite en toute saison.
En Suisse, la moutarde a déferlé dans les ménages au début du XXe siècle. C’est la firme Thomi+Franck SA – issue de l’union des deux plus anciens vendeurs de moutarde du pays, H. Franck Söhne, à Bâle, et Helvetia, des familles Thomi et Meister, à Langenthal (BE) – qui l’a rendue populaire. La moutarde Thomy a finalement été rachetée par Nestlé en 1989.


L’idée de génie
Assaisonner ses plats d’une simple pression de doigt. Ce geste fait partie de notre quotidien. On le doit à un visionnaire, le roi de la moutarde Hans Thomi. De retour des États-Unis, l’homme d’affaires décide en 1934 de conserver  la précieuse pâte jaune que sa famille fabrique dans un tube plutôt que dans le traditionnel pot en grès. As du marketing,
il espère ainsi que son produit se détachera de ses concurrents dans les rayons. Il est en réalité à l’origine d’une véritable révolution: jamais un aliment n’avait été empaqueté de la sorte! C’est une innovation mondiale, largement copiée depuis. Thomy utilisera cette technique vingt ans plus tard pour commercialiser une autre nouveauté, la première mayonnaise industrielle d’Europe.


La bénédiction de Louis XIV
Les pharaons utilisaient déjà des grains broyés pour épicer leurs plats, alors que les Grecs recommandaient l’usage de la moutarde plutôt à des fins thérapeutiques. Cette pâte jaune, à la recette simple, est ensuite tombée en disgrâce au Moyen Âge. À cette période, le goût importait moins que le fait de rassasier ses hôtes, dit-on. La moutarde connaîtra son âge d’or quelques décennies plus tard, à Dijon, au XIIIe siècle. Cette pâte au caractère affirmé recevra même ses propres armoiries décernées par le roi Louis XIV en personne. En Suisse, c’est la firme Helvetia, ancêtre de Thomi+Franck, qui fut la première à envahir le marché en 1907 avec sa moutarde industrielle.


De l’ogre au bonhomme
Au départ, c’est un ogre prêt à engloutir un cochon entier, le Senfmann, qui faisait la promotion de la Langenthaler Senf d’Helvetia. Même vêtu d’un costume trois-pièces,
il reste effrayant. Un appel fut donc lancé dans la presse pour lui trouver un nouveau nom. Plus de 20 000 personnes participent: ce sera Senf-Thomy. Sur les affiches, l’ogre est remplacé par le dessin d’un couple en costume traditionnel bâlois prêt à déguster de la charcuterie, avec une pointe de moutarde bien sûr. Ce n’est qu’en 1949 que naît le «bonhomme tube Thomy». Il apparaîtra dans les spots à la télé quarante ans plus tard.


Une icône helvétique
Bien qu’elle se soit fait dépasser par la mayonnaise dans le cœur des Suisses, la moutarde Thomy, élaborée à Bâle depuis huitante-deux ans, se taille la part du lion dans son domaine. Elle occupe plus de 64% des parts du marché, selon Nestlé. Chaque Helvète en consomme quatre tubes en moyenne par an. Dégustée à l’aveugle, la mi-forte, la plus populaire, serait même la préférée de 79% des sondés.


Un y pour conquérir le monde
Hans Thomi a de la suite dans les idées et de grandes ambitions pour ses produits, qu’il ne destine pas uniquement au marché helvétique, trop petit à ses yeux. Il est même prêt à changer son nom sur les tubes pour s’assurer une renommée mondiale! En 1934, il décide de troquer le «i» figurant sur les emballages de la moutarde Thomi, trop suisse à son goût, pour un «y» plus «américain». La success-story est assurée, même si cette marque reste avant tout un symbole de suissitude.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Archives Historiques Nestlé, Vevey