Reportage
Thomas Gerber fait briller la holstein «made in Switzerland»

À Dagmersellen (LU), l’élevage TGD est devenu en quelques années l’un des plus influents de Suisse en matière de génétique. Reportage sur une exploitation à la réputation désormais internationale.

Thomas Gerber fait briller la holstein «made in Switzerland»

C’est une journée relativement calme sur le domaine de Thomas Gerber. Habituellement, entre les bâtiments de cette immense ferme accrochée aux flancs de la colline de Kätzingen, sur les hauteurs de Dagmersellen (LU), se succèdent quotidiennement visiteurs, acheteurs et transporteurs de bétail. «Un véritable ballet qui s’est quelque peu calmé ces derniers mois avec l’annulation des expositions de vaches, observe l’éleveur de 43 ans. Mais le contexte sanitaire n’a pas pour autant ralenti le commerce de bétail!»

L’unique passage de l’après-midi sera celui du camion de lait Emmi, venu chercher le fruit des dernières traites de l’exploitation. La production laitière – 1,2 million de litres de lait de centrale par année – n’est cependant qu’une activité annexe pour la ferme TGD («Thomas Gerber Dagmersellen»). Chez les Gerber, on vit avant tout de la vente de vaches holsteins et red holsteins d’exception, de taureaux reproducteurs et d’embryons destinés à devenir des animaux d’élite.

Un déclic à 20 ans
Voilà une dizaine d’années que le clan Gerber (Thomas, son frère Matthias, son père Josef et leurs épouses respectives) s’est fait un nom dans le monde de l’élevage helvétique et même au-delà. TGD, qui est parvenu à placer une de ses génisses dans le top du classement holstein américain – une première pour un Suisse –, est devenu ces dernières années l’un des principaux fournisseurs de la firme Swissgenetics. Leno, Bale et Samon, des taureaux parmi les plus en vogue aujourd’hui dans les choix des éleveurs suisses, sont tous trois issus du travail de sélection des Lucernois. Et désormais, pour acquérir une bête estampillée Gerber, il faut s’inscrire sur une liste d’attente. Le modèle TGD ainsi que ses résultats font donc clairement figure d’exceptions en Suisse, concèdent quelques observateurs avertis. Et ce grâce au flair de Thomas Gerber, mais également à son goût du risque et à son talent de businessman.

«Mon père n’était pas un mordu d’élevage. Il voulait surtout construire un modèle d’exploitation rentable et nous transmettre un patrimoine viable.» Enfant, Thomas ne vit que pour les vaches. «J’avais des catalogues de taureaux sur ma table de chevet…» Pour ses 20 ans, il reçoit une génisse issue d’une lignée holstein américaine. C’est le déclic. Il se lance alors dans la sélection de bêtes à haute performance et fonctionnelles, autrement dit fertiles, vêlant facilement, et affichant une bonne longévité ainsi que des taux de cellules très bas. Et il y a dix ans, lorsque débarque en Suisse la révolution de l’analyse génomique, permettant d’estimer le potentiel génétique de l’animal à sa naissance à partir d’une simple prise de sang ou de quelques poils, l’éleveur n’hésite pas une seconde: chaque animal qui naîtra à Dagmersellen sera génotypé et devra afficher des valeurs de conformation et de productivité les plus hautes possibles.

«Ici, tout est à vendre»
Pour maintenir son niveau – une moyenne d’écurie  à 11000 kg par vache et par année – et rester en vue sur le marché, Thomas Gerber achète des animaux d’élite aux quatre coins de l’Europe et bénéficie des conseils avisés de Jürg Stoll, responsable de la sélection holstein pour Swissgenetics. Il y a quelques années, il s’est lancé dans le transfert embryonnaire. «C’est une technique dans laquelle nous avons énormément investi», reconnaît le Lucernois, qui travaille au quotidien avec un vétérinaire spécialisé dans cette pratique risquée et coûteuse (voir encadré ci-dessous). À quelques encablures de l’immense bâtiment qui abrite la centaine de laitières, l’écurie historique de l’exploitation est quant à elle en permanence occupée par une trentaine de génisses dites «receveuses», destinées à porter des embryons pour TGD et d’autres éleveurs. «En se spécialisant dans le transfert embryonnaire, Thomas Gerber augmente de façon exponentielle l’intensité de sélection de ses animaux», observe l’expert pour Swissgenetics Marc-Henri Guillaume. Pas étonnant que TGD soit donc devenu en quelques années l’un des élevages les plus influents du pays. «C’est aussi et surtout parce que, à la différence de mes collègues tous très attachés à leurs vaches, je n’ai pas peur de dire qu’ici toutes les bêtes sont à vendre. Ou presque!»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

TGD, c’est...

  • 53 hectares en zone collines, dont la moitié en terres ouvertes, destinées à la culture de maïs, céréales et mélange fourrager.
  • 700 places pour des porcs à l’engrais.
  • Une centaine de vaches laitières produisant plus d’un million de litres de lait par année – les taries et la remonte sont en pension à l’extérieur du domaine.
  • 50 génisses porteuses destinées au transfert embryonnaire.

+ D’infos Facebook: TGD-Holstein

Transfert embryonnaire

Né dans les années septante en Amérique du Nord, pratiqué en Suisse depuis une quinzaine d’années, le transfert embryonnaire permet d’accélérer le processus naturel de reproduction, puisqu’une génisse peut, sans avoir porté, disposer de 10 à 15 descendants mâles ou femelles avant ses 2 ans. La donneuse est traitée avec l’hormone FSH naturelle, de sorte qu’il n’y ait pas un, mais plusieurs follicules qui arrivent à maturité sur les deux ovaires – on provoque ainsi une superovulation, destinée à maximiser les chances de fécondation lors de l’insémination artificielle. Les ovules fécondés sont ensuite récoltés une semaine plus tard. Après cette étape appelée «rinçage» ou «flush», réalisée par un vétérinaire spécialisé, les embryons, qui mesurent un dixième de millimètre, sont triés en fonction de leur qualité, puis congelés ou réimplantés. La génisse receveuse a été généralement synchronisée à l’aide d’hormones, pour que son cycle corresponde à celui de la donneuse. Un rinçage donne généralement entre 5 et 10 embryons. Il faut compter 1800 à 2000 francs pour une telle opération.

+ D’infos www.swissgenetics.ch