Alimentation
Pour certaines marques, le Swissness représente la croix et la bannière

Dès le 1er janvier prochain, une nouvelle ordonnance fédérale va mieux protéger l’indication de provenance «suisse». Quitte à pousser certains fabricants à se passer de notre ­emblème national sur leurs produits.

Pour certaines marques, le Swissness représente la croix et la bannière

Swissness

N’affiche pas l’emblème national sur ses produits qui veut. Dès le 1er janvier, la réforme Swissness fait le ménage dans le grand bazar de la croix suisse et du Cervin, brandis parfois abusivement. Cette nouvelle législation (qui englobe deux lois et six ordonnances) s’applique aux critères qu’un produit ou un service doit remplir pour être désigné comme suisse. Dans le secteur des denrées alimentaires, la «Marque Suisse» exige deux conditions: il est désormais nécessaire que 80% au moins du poids des matières premières ou des ingrédients qui les composent proviennent de notre pays (100% pour le lait). De plus, il est exigé que l’étape de production essentielle ait lieu en territoire helvétique. Même si ces conditions sont assorties d’exceptions, certaines grandes marques ont déjà renoncé à la croix suisse ou s’apprêtent à faire pression sur les fournisseurs suisses de matières premières pour qu’ils baissent leurs prix.

Autogoal pour l’agriculture?
Désormais difficile à assumer (voir encadré ci-dessous), le Swissness n’est-il pas un autogoal pour le secteur agricole suisse? «Non, il n’est pas devenu trop contraignant, affirme Luc Thomas, président de Prométerre. Il s’appuie avant tout sur un principe visant à garantir aux consommateurs la crédibilité de la provenance suisse d’une denrée alimentaire.» Le conseiller national libéral-radical fribourgeois Jacques Bourgeois, directeur de l’Union suisse des paysans (USP), souligne également l’avantage pour le consommateur, qui est protégé contre d’éventuelles tromperies sur la marchandise. Entendu pour le consommateur, mais quid de l’acheteur de matières premières, tiraillé entre ses contraintes de production et son désir de se servir de la Suisse comme d’une marque? Sous pression, il pourrait tout simplement renoncer au Swissness. Et par là même cesser d’acheter sa marchandise dans notre pays. «C’est une question de positionnement, juge Jacques Bourgeois. Libre à chaque marque de se passer de la croix suisse si elle estime son identité assez forte. Mais elle ne se brade pas sur le marché.»
À ce titre, le cas de Rivella est emblématique. La marque a décidé de se passer du label suisse début 2016, mais pour d’autres raisons: «Cela n’a aucun rapport avec le règlement Swissness, précise Monika Christerner, porte-parole. C’est surtout une question de nouveau design, grandement réduit. Le sucre et le sérum de lait proviennent toujours de fournisseurs suisses. La règle des 80% est respectée.»

Industrie libre de ses choix
Prométerre l’a toujours dit: «L’industrie est libre de ses choix. Mais elle ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Si elle décide de travailler avec des matières premières importées au-delà des 20% admis, elle perd alors la possibilité de faire valoir la provenance suisse de ses produits.» Du côté de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), on ne doute pas non plus des effets positifs du système Swisness: «En tant qu’option facultative, il offre aux entreprises des opportunités de créer de la valeur ajoutée, à condition que les critères de la législation soient remplis,» rappelle Paolo Degiorgi, responsable suppléant de secteur promotion de la qualité et des ventes. Et d’insister sur l’impact commercial du Swissness: «À l’étranger, notamment, la «Marque Suisse» est synonyme de qualité, tradition et fiabilité.» À ce propos, une étude récente de l’Université de Saint-Gall révèle que la croix suisse arrive après l’Allemagne, au deuxième rang du classement mondial de l’appréciation globale des produits et des prestations. Autrement dit, le consommateur est prêt à payer plus pour manger du «pur suisse». Soit, mais encore faut-il que la Suisse soit en mesure de répondre aux besoins des grandes marques gourmandes en matières premières. L’exemple de Thomy, qui jure ne pas trouver assez d’œufs suisses, n’est-ce pas là une faiblesse du Swissness? Pour Luc Thomas, c’est un faux problème: «L’agriculture est prête à répondre aux besoins de l’industrie dans les secteurs où l’offre serait jugée insuffisante. Mais pour cela, nos partenaires doivent être prêts à rémunérer leurs fournisseurs agricoles à des conditions de prix adaptées aux coûts suisses. Il ne leur sera pas possible d’avoir de la marchandise indigène au prix de l’importation.»

Pression possible sur les prix
Dans ce contexte, on peut dès lors imaginer une pression accrue sur le prix de matières premières. Toblerone n’a pas attendu le mois de janvier et l’entrée en vigueur du Swissness pour réclamer plus de souplesse de la part de ses fournisseurs suisses. Le chocolatier soutient que cette nouvelle législation est une entrave industrielle. C’est de bonne guerre. En revanche, au cas par cas, Toblerone estime également juste de pouvoir «temporairement» augmenter la part de poudre de lait et de sucre en provenance de l’étranger. Or c’est très exactement ce contre quoi veut lutter le Swiss­ness. Dans l’univers du chocolat suisse, la douceur réglementaire n’est plus de mise. À l’exception du cacao, les critères de la suissitude ne sont désormais plus négociables.

Texte(s): Nicolas Verdan
Photo(s): Guillaume Mégevand

Marques

L’origine suisse pose des problèmes industriels

Thomy se passe du Swissness
Pour faire une mayonnaise, il faut des œufs. Ceux-ci ne seront pas suisses pour Thomy qui perd du coup sa croix blanche. Nestlé Suisse affirme en effet que la Suisse n’est pas en mesure de couvrir la quantité demandée: 34 millions d’œufs. Pour GalloSuisse, Thomy n’aurait qu’à en payer le prix. La matière est là.

Les jus Michel sans la croix
Propriété de Rivella, la marque de jus de fruit Michel se passera de l’emblème national. La raison n’est pas à chercher du côté du Swiss­ness, même si la réflexion va dans ce sens: «Ce n’est pas logique de continuer à vendre un jus d’orange avec une étiquette suisse alors que ce fruit ne pousse pas dans ce pays.»

Toblerone négociera les prix
Mondelez, producteur du Toblerone, continuera à fabriquer son chocolat à Berne, nous assure son patron en Suisse, Daniel Meyer: «Mais nous espérons que le Conseil fédéral et les agriculteurs vont trouver une solution satisfaisante pour donner suite à la loi chocolatière, qui doit être abolie fin 2020.»

Bon à savoir

Stratégie de défense
L’ordonnance «Swissness» entrera en vigueur le 1er janvier 2017. Le 2 septembre 2015, le Conseil fédéral a en effet adopté une nouvelle législation visant à mieux protéger la dénomination suisse et l’utilisation de la croix suisse, ainsi qu’à empêcher les abus. Des exceptions sont prévues pour les produits qui n’existent pas en Suisse, comme le cacao.