POINT FORT
Sur l’île de la peste, porcs et furets servent la recherche sur le coronavirus

Alors que l’épidémie de Covid-19 paralyse le monde, des chercheurs s’activent sur une île de la mer Baltique pour comprendre le fonctionnement du coronavirus sur les animaux sauvages et domestiques.

Sur l’île de la peste, porcs et furets servent la recherche sur le coronavirus

On a coutume de l’appeler «l’île la plus dangereuse d’Allemagne», «L’Alcatraz des virus» ou encore, «l’île de la peste». Les surnoms ne manquent en tout cas pas pour la petite île de Riems, située au nord de l’Allemagne, en pleine mer Baltique. Et pour cause, ce petit bout de terre émergée de 30 hectares accueille depuis plus de cent ans l’Institut Friedrich-Loeffler, le plus ancien centre de recherche du monde sur la santé animale. Fièvre catarrhale ovine, grippe aviaire (H5N1, H5N8), virus de Schmallenberg, et bien sûr encéphalopathie spongiforme bovine (plus connue sous le nom de maladie de la vache folle): depuis des décennies, les chercheurs de cet institut ont contribué de manière significative à la compréhension et au contrôle de nombreux pathogènes.

Tout isolée qu’elle soit (voir l’encadré ci-dessous), l’île de Riems est aujourd’hui plus que jamais aux prises avec l’actualité sanitaire, puisqu’elle participe activement à la lutte contre le Covid-19. Les questions sont en effet encore nombreuses autour de la transmission et de la pathogenèse du virus responsable: «Quel rôle jouent les animaux d’élevage dans le processus de contamination? Les animaux de rente peuvent-ils être des agents transmetteurs de la maladie? Telles sont les questions auxquelles nous essayons de répondre depuis février», explique la biologiste allemande Elke Reinking, responsable des relations publiques pour l’institut.

La roussette, source possible?
«Nous avons reçu les premiers échantillons viraux en provenance de Bavière, précisait début mars, sur les ondes de FranceInter, le président de l’Institut, Thomas Mettenleiter. On a d’abord multiplié le virus, pour en avoir suffisamment. Puis on a commencé les tests sur un premier animal le 24 février.» Des études sur les porcs, les poulets, ainsi que sur certaines espèces de chauves-souris et les furets ont ensuite été lancées. «Nous possédons à demeure de petits élevages, nous permettant d’avoir en tout temps à disposition des animaux sur lesquels nous pouvons faire des recherches», relève Elke Reinking.

Dans ce programme de recherche mis sur pied en quelques jours, les roussettes sont en première ligne. «Les chauves-souris hébergent traditionnellement une grande variété d’agents pathogènes, dont des virus transmissibles à l’homme. On cherche donc à savoir si le CoV-2 a effectivement été transmis directement de la chauve-souris à l’homme ou si une autre espèce animale a pu jouer un rôle d’hôte intermédiaire», poursuit la biologiste. Plus inattendu, le furet est l’autre animal qui fait l’objet de recherches. «Ces mammifères nous sont précieux, car leur système respiratoire présente de nombreuses similitudes avec le nôtre.» Si les résultats finaux ne sont attendus que dans le courant du mois de mai, les premières observations ont cependant montré que les furets exposés au SRAS-CoV-2 étaient sensibles à l’infection, mais sans pour autant développer de symptômes similaires à ceux des humains. «Le virus se réplique particulièrement bien dans leurs voies respiratoires et se transmet facilement entre les animaux. Ce modèle d’infection pourrait être extrêmement utile pour tester les vaccins et les médicaments contre le coronavirus.»

Analyse sous contrôle
Après avoir été infectés par voie intranasale, tous les animaux sont attentivement observés pendant plusieurs semaines. Toute apparition de symptômes (fièvre, difficultés respiratoires) ainsi que les changements de comportement (perte d’appétit, abattement) sont soigneusement consignés. «Dès le début du protocole, certains animaux sont euthanasiés et autopsiés, afin d’observer en détail le développement de l’infection dans l’organisme, confie la biologiste. Outre les mesures de charge virale et d’anticorps, nous examinons les modifications d’organes et cherchons d’éventuelles traces du virus ou de son génome dans tout l’organisme.»

Il va sans dire que le travail dans un tel centre de recherche est soumis à des règles de sécurité extrêmement sévères. «En laboratoire, nos chercheurs et techniciens sont équipés de cagoules respiratoires munies de filtres à air antivirus fonctionnant sur batterie», explique Elke Reinking. Pour pénétrer dans l’animalerie, ils doivent d’abord prendre une douche, avant de revêtir une combinaison de protection, sorte de scaphandre gonflé par de l’air sous pression. Et sous aucun prétexte, ils ne doivent effectuer leurs travaux seuls. «Nos laboratoires sont en permanence sous pression d’air, afin que rien ne puisse s’échapper, poursuit la biologiste. L’air passe ensuite à travers des filtres à particules aériennes extrêmement efficaces avant d’être rejeté dans l’atmosphère. Quant aux eaux usées, elles sont systématiquement autoclavées.»

On l’aura compris, les 450 salariés – dont 200 chercheurs – spécialement formés travaillent en permanence avec plus de 50 virus à la dangerosité variable. Mais désormais, toutes leurs forces  se concentrent sur le coronavirus. «Les études que nous menons sur le monde animal sont essentielles, conclut Elke Reinking. Il faut à tout prix clarifier s’il existe un risque infectieux pour les animaux domestiques et de rente et évaluer si le virus peut être excrété par eux.» D’ici le début du mois de mai, les recherches devraient livrer leurs premières conclusions et répondre à ces questions.

+ D’infos www.fli.de

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): DR

Un centre de recherches unique au monde

L’île de Riems abrite l’Institut Friedrich-Loeffler depuis 1910. Longtemps, seul un téléphérique reliait l’île au continent. Une cabine était réservée aux scientifiques, l’autre aux animaux sur lesquels étaient effectués les essais. Depuis 1971, un pont a été construit, mais la spécificité de ce centre de recherche unique au monde, sollicité lors d’épidémies comme la grippe porcine en 2009 ou le SRAS en 2002-2003, n’a pas changé. Plus de 200 boxes accueillent canards, lamas, renards, vaches, mais aussi insectes en tout genre. Parmi les principales découvertes de cet institut financé par l’État allemand, celle du virus  de la fièvre aphteuse et de son premier vaccin actif en 1938, la mise au point de vaccins contre la peste porcine classique chez le sanglier et la découverte du virus de Schmallenberg.

Porcs et poulets insensibles?

Les porcs et poulets ont également été testés ces dernières semaines pour déterminer leur sensibilité au coronavirus et leur rôle de potentiel réservoir à la multiplication de l’agent pathogène. Or les premiers résultats indiquent que, dans des conditions expérimentales, ni les porcs ni les poulets ne s’avèrent sensibles à l’infection par  le SRAS-CoV-2. Ils ne présenteraient donc pas de risque pour la santé humaine. Les résultats définitifs sont attendus prochainement.