Reportage outre-Sarine
Sur les bords du Rhin, le seigle vivace forestier fait merveille

À Mellikon (AG), un agriculteur bio a réintroduit une ancienne variété de céréale, qu’il valorise pour nourrir aussi bien les animaux que les hommes, mais aussi son sol.

Sur les bords du Rhin, le seigle vivace forestier fait merveille

Pour trouver les rares parcelles de seigle vivace forestier cultivées en Suisse, il faut traverser le canton d’Argovie et s’arrêter, juste avant la frontière délimitée par le Rhin, au sommet d’une des dernières collines du Jura. Dans ces terres mi-lourdes situées à 500 mètres d’altitude, Daniel Böhler exploite depuis vingt-cinq ans un domaine bio. C’est là, à flanc de coteau, dans des champs isolés par des massifs boisés et avec la forêt noire allemande pour seul horizon, que prospère cette ancienne variété de seigle, également appelée seigle de la Saint-Jean. L’agriculteur argovien l’a semée il y a trois ans. «Je cherchais une alternative au blé tendre, car les moulins demandaient toujours davantage de protéines dans les grains. Cultivées en bio, mes terres relativement peu amendées n’arrivaient plus à suivre.» En outre, l’exploitant est un fervent défenseur de la réduction du travail du sol. Il découvre dans ses recherches que le seigle vivace forestier s’avère également un précieux allié pour ameublir le terrain, limiter l’érosion et augmenter la porosité, et donc la capacité de rétention hydrique des sols. Une aubaine pour cet agronome de formation, en quête permanente d’innovations visant à améliorer la structure et l’activité biologique de ses terres. «J’ai trouvé des semences en Autriche et l’aventure a aussitôt démarré.»

Du silo et du grain
De 60 ares la première année, Daniel Böhler est désormais passé à plus de 3 hectares cultivés sur son domaine. «Comme son nom l’indique, le seigle vivace forestier reste en place deux ans», explique l’Argovien de 45 ans, qui travaille selon les principes de la biodynamie depuis près de dix ans. Semé en août avec du trèfle, son seigle est d’abord fauché en vert à l’automne pour remplir le silo destiné à l’alimentation hivernale de ses bêtes à l’engrais. «Malgré les conditions séchardes de la fin de l’été passé, ma culture s’est parfaitement développée, précise-t-il. Cette ancienne céréale est extrêmement rustique et résiste aux climats difficiles.» L’automne ayant été beau et chaud et le début de l’hiver particulièrement clément, le seigle est reparti de plus belle. «Il m’arrivait au niveau du genou en janvier 2019, s’enthousiasme le paysan. Ce printemps, j’aurais pu refaire une coupe de silo, et laisser en place ma culture encore un an, mais mes réserves sont pleines.» L’agriculteur prévoit donc de la battre d’ici la fin de l’été, cette fois-ci pour produire du grain destiné à l’alimentation humaine et de la paille pour ses bêtes.

Prix intéressant
Malgré un marché du seigle vivace forestier quasi inexistant, Daniel Böhler n’a eu aucune peine à trouver des clients pour commercialiser sa récolte: l’école professionnelle de boulangerie Richemont, à Lucerne, et plusieurs entreprises – Neuhof à Schlieren (ZH) et Fredy’s à Baden (AG) – font d’ores et déjà partie de ses partenaires, intéressés à développer de nouveaux produits à base de céréales anciennes. «Le prix est relativement haut, puisque le rendement du seigle vivace forestier n’est que de 1,5 à 2 tonnes l’hectare, soit un tiers de celui affiché par le seigle cultivé aujourd’hui en Suisse.» La famille Böhler commercialise également son seigle sous forme de farine et de risotto et se lance dans la production de pâtes et de spätzlis. Outre un tallage abondant, le seigle vivace forestier possède un système racinaire fort, fin et profond. «Il laisse un lit de semis meuble, qui convient bien à la culture maraîchère dans une rotation.» Daniel Böhler en profite donc pour semer ensuite des courges. Récompensé en 2018 par le Grand Prix à l’innovation de Bio Suisse, l’exploitant se voit désormais poursuivre l’aventure et tester des associations entre le seigle et le trèfle. «Les parcelles que j’ai semées en 2016 m’ont fourni des récoltes en 2017 et 2018, tout en couvrant les sols à la mauvaise saison. Le seigle a nourri des animaux, des hommes et le sol. C’est ça, pour moi, la durabilité!»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Bon à savoir

Avec son collègue Hanspeter Mächler, Daniel Böhler a développé ces dernières années, en parallèle de son exploitation, une machine de travail du sol unique en son genre. Baptisée Löwenzahn, elle s’accroche au relevage avant du tracteur. Des roues d’appui réglables individuellement sont suivies de dents incurvées effectuant un travail d’ameublissement du sol. «L’outil me sert également de contrepoids, puisque j’accroche à l’arrière un semoir combiné à un rototiller. En un seul passage, je travaille légèrement le sol, provoquant un échange gazeux très important entre la surface et les couches profondes, et je sème. Et un tracteur de 90 CV suffit pour le tout!»
+ D’infos www.loewen-zahn.org

En chiffres

Berghof, c’est:

  • Une trentaine de bœufs de race laitière engraissés au pâturage et commercialisés via différents canaux, dont la vente directe.
  • 420 poules pondeuses.
  • 20 hectares de surface agricole utile dont 11 de grandes cultures (seigle forestier, épeautre, trèfle, lupin, avoine et courge).
  • 5 hectares de prairies naturelles et 4 de surfaces dévolues à la biodiversité.
  • 140 arbres haute tige destinés à la production de jus de pomme.
  • 3,4 hectares de forêt.
    www.bioboehler.ch