Reportage
Les anges rouges de la Rega volent au secours des bêtes

Cet été, Terre&Nature explore le monde du secourisme alpin. Dans ce troisième épisode, on s’envole avec la Rega dans l’Emmental et dans le canton de Nidwald pour sauver des vaches se trouvant en mauvaise posture.

Les anges rouges de la Rega volent au secours des bêtes

«On décolle dans 30 minutes!» Sur la base de la Rega de Wilderswil (BE), deux pilotes, un assistant de vol et le chef de mission Dani Kränzlin s’activent. Ils viennent de recevoir un appel de la centrale pour secourir une vache tombée dans un ravin. Il ne faut pas traîner, les pompiers et les agriculteurs les attendent sur l’alpage d’Obere Rütti, au-dessus du village de Schangnau (BE). L’équipe n’a que quelques minutes pour préparer le matériel nécessaire à cette opération. En ce début de matinée, elle s’apprête à sauver une génisse de 450 kilos dans le cadre d’une mission «Contadino» (ndlr: paysan en italien). Lors de la saison d’alpage, la Rega vole en effet au secours d’animaux malades ou blessés signalés dans des lieux où seul un hélicoptère peut venir les chercher. Mobilisables du matin au soir, les pilotes et leurs assistants alignent parfois jusqu’à dix interventions par jour.

Génisse miraculée
l ne faut qu’une dizaine de minutes à l’Airbus H125 – dit l’Écureuil – pour rejoindre la ferme isolée en Emmental. Mais pas question de se poser avant d’avoir inspecté les lieux depuis les airs. Les pilotes tentent de repérer la vache imprudente, en survolant le lit du Färzbach, en vain. Difficile de l’apercevoir dans l’épaisse végétation cachant également des câbles, un danger potentiel vite confirmé par l’équipe. L’approche se fera donc à pied, l’hélicoptère n’entrant en jeu qu’une fois la bête localisée. «Une randonneuse nous a alertés, explique l’agricultrice Mariane Siegenthaler. On a constaté qu’il manquait une des deux génisses jumelles sur notre alpage. Et vu où se trouve Kalimera, on a appelé la Rega.»

Pour arriver jusqu’à elle, Dani doit s’encorder. L’opération est délicate. Une fois emballée dans un filet, la bête est récupérée par l’hélicoptère, au bout d’une corde de 60 mètres de long. Le temps que son propriétaire la réceptionne et la calme, l’équipe de secours est de retour à l’appareil, à pied. «On est vraiment soulagé, merci! On s’attendait au pire», reconnaît l’agricultrice. Kalimera rejoint son écurie sans une égratignure, mais en est quitte pour une belle frayeur. Elle reverra ses congénères dans l’après-midi, après avoir tranquillement repris ses esprits.

Atterrissages sensibles

Toutes les missions ne se terminent pas aussi bien. Le plus souvent, la Rega est appelée pour évacuer vers la plaine des animaux morts. Ce sera le cas cet après-midi-là, sur les contreforts du Niesen (BE), où il est ardu de se poser, les hélicoptères ne pouvant le faire que si la pente est inférieure à 10%. «La récupération d’animaux vivants est prioritaire, explique Dani Kränzlin. On attend d’avoir l’aval du vétérinaire avant d’agir et on accepte de se mettre un peu plus en danger que pour des bêtes mortes.» Mais pas le temps de s’apitoyer sur le sort des bovins héliportés: la centrale les avertit d’une autre urgence, dans le canton de Nidwald cette fois, où une vache a été foudroyée.

 

L’équipage reprend les airs rapidement. Se poser près d’Amsel s’avère périlleux, tant l’alpage de Steinalp, près de Wolfenschiessen, est escarpé. Dani s’équipe et part seul vers l’animal, alors que l’hélicoptère va atterrir en contrebas. Il attend le bon moment pour venir équiper la bête, qu’un vétérinaire a préalablement auscultée et mise sous calmant.

La vache patiente à l’ombre d’un parasol, amorphe, ne comprenant pas la soudaine effervescence autour d’elle. Après une poignée de main avec le vacher, Dani place l’animal dans le filet de transport, en veillant à ne pas le blesser. «C’est une bête qui donne du lait, on doit particulièrement prendre soin de ses jambes postérieures et de sa tétine, poursuit le chef de mission, qui s’occupe lui-même d’un alpage. Je pense qu’elle a de bonnes chances de s’en sortir et de retrouver sa joie de vivre une fois dans son étable.»

En lien constant avec son équipe par radio, il demande au pilote de venir les récupérer en douceur, afin qu’il puisse ajuster les sangles sous le ventre d’Amsel avant le décollage. Une dernière vérification vitale, étant donné qu’elle s’envolera à plusieurs centaines de mètres du sol. Deux minutes plus tard, la voilà déjà dans sa bétaillère. Mission accomplie, la Rega repart pour sa troisième opération du jour. Heureusement que l’équipage a pensé à prendre du carburant supplémentaire en quittant la base le matin.  

Avoir les nerfs solides
La Rega profite également de ces vols pour former de jeunes pilotes à manier leur engin dans des vallées difficiles d’accès, striées par de multiples câbles de téléphériques et lignes téléphoniques (lire l’encadré). «L’équipage doit aussi suivre une formation sur le comportement des animaux qui sont en situation de stress et peuvent se montrer imprévisibles, poursuit Dani. Les vaches collaborent souvent, mais c’est plus difficile avec les chevaux ou les mulets.»

Célébrant cette année ses 70 ans, la Rega ne proposait pas ce service à ses débuts. «La première évacuation d’un paysan avec son âne, ses deux lapins et une poule date de 1968, conclut son porte-parole David Suchet. Des avalanches menaçaient leur alpage.» Ces opérations ont pris de l’essor dès 1976, jusqu’à dépasser la barre des 1400 sauvetages en 2021.

+ d’infos www.rega.ch; numéro d’alarme spécial pour les paysans de montagne: 058 654 39 40.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Céline Duruz/Rega

En chiffres

  • Cela fait 70 ans que la Rega organise une assistance médicale dans les airs.
  • Elle compte 3,678 millions de membres en Suisse.
  • Sur les 14’330 interventions réalisées en hélicoptère en 2021, 1460 étaient des missions «Contadino», soit 5,6% de plus qu’en 2020.
  • 14 bases permettant aux hélicoptères d’atteindre n’importe quel endroit du pays en 15 minutes.

Sécurisation de l’espace aérien

Depuis 2001, la Rega se charge également de récupérer les anciennes installations de transport, les téléphériques, les lignes électriques ou téléphoniques devenues obsolètes dans les Alpes suisses. Ce projet baptisé «Remove», mené conjointement avec l’armée, permet de sécuriser les vallées et les régions de montagnes difficilement accessibles. Ces câbles, parfois mal répertoriés sur les cartes de vol des pilotes, représentent en effet un grave danger pour le trafic aérien à basse altitude. La Rega compte ainsi sur les agriculteurs de montagne pour signaler les installations qui ne sont plus en service à sa centrale (au 1414). Elle s’occupe ensuite de les évacuer gratuitement.

+ d’infos www.vtg.admin.ch