Décryptage
Sur la vigne et dans les sols, le cuivre a encore de beaux jours devant lui

Indissociable de la lutte contre le mildiou depuis un siècle, le métal n’a pas que des atouts. Le Plan phytosanitaire fédéral prône d’ailleurs sa substitution. Il semble toutefois difficile de s’en passer totalement.

Sur la vigne et dans les sols, le cuivre a encore de beaux jours devant lui

Peut-on se passer de cuivre à la vigne? Question d’actualité: les pluies généreuses de ces dernières semaines et les températures en hausse ont fait le jeu du mildiou et les premiers traitements sont en cours. En bouillie bordelaise ou sous forme d’oxychlorure, le métal est le seul fongicide efficace agréé par la viticulture bio, qui l’utilise donc dans le cadre des limites fixées par l’Office fédéral de l’agriculture. En s’attirant depuis des années la même critique récurrente, celle de polluer les sols viticoles avec un métal lourd qui s’y accumule, et de surcroît de multiplier les passages à la machine pour compenser l’efficacité moindre du produit par rapport aux équivalents de synthèse. De fait, le cuivre figure sur la liste des «produits phytosanitaires à risque particulier» dont on envisage la substitution dans le Plan d’action phytosanitaire fédéral. «Le cuivre n’est pas touché par la biodégradation. Il s’accumule dans le sol pour une très longue période et se retrouve dans les nappes phréatiques et les organismes du sol, contaminant potentiellement ainsi toute la chaîne alimentaire», explique Janine Wong du Centre Écotox, à Lausanne. Dès 1920, le cuivre a été répandu sans retenue sur les vignes jusqu’à la fin des années 1960, à des doses dix fois supérieures aux usages actuels, jusqu’à 50 kg d’équivalent métal par hectare et par an.

Un problème, mais pas urgent
Depuis, les choses ont heureusement évolué. En 2015, une enquête de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) montrait que les vignerons labellisés Bio Suisse n’utilisaient en moyenne que 73% des 4 kg/ha/an autorisés; sur les cépages résistants, le taux tombait à 13%. «Ces chiffres sont toujours d’actualité, d’autant que les quantités utilisées en 2017 et 2018 ont été tendanciellement plus faibles», commente Dominique Lévite, spécialiste de la viticulture au FiBL. «En bio, on recourt fréquemment à plus de passages avec de plus petits dosages, mais en comparaison avec la production intégrée, on est dans les mêmes valeurs, en moyenne 2 à 2,5 kg/ha/an», évalue Pierre-Henri Dubuis, phyto­pathologiste à Agroscope et membre de la commission technique de Vitiswiss.
Il n’en reste pas moins que si la pratique a la main bien moins lourde qu’autrefois, les relevés effectués dans les sols viticoles montrent que ceux-ci sont contaminés, avec des teneurs de cuivre stables, année après année. Ce qui n’est pas sans incidence: «On trouve moins de lombrics et de diversité bactérienne dans les vignobles présentant de fortes concentrations de cuivre, note Janine Wong. Sur une parcelle cultivée depuis très longtemps, on a constaté une activité d’alimentation réduite chez les organismes du sol par rapport à de jeunes vignes où les concentrations étaient moindres. En laboratoire, on voit des diminutions significatives des populations de nématodes, une réduction de la biomasse de vers de terre, une mortalité plus élevée de ceux-ci ainsi qu’une diminution de la respiration du sol.»
«À Neuchâtel, les sols sont saturés de cuivre, et la décontamination est extrêmement onéreuse», relève Boris Keller, président de Vitiswiss et de son propre aveu «pas un grand fan du cuivre». «Ces sols contaminés sont de toute façon peu aptes à d’autres cultures. La situation n’est ni catastrophique ni urgente, mais une solution de substitution à moyen terme doit être trouvée», tempère Pierre-Henri Dubuis. Et surtout, «le cuivre permet d’éviter le recours aux composés chimiques de carbone et de chlore, en réalité peu maîtrisés et mal connus, rappelle Dominique Lévite. Leurs résidus dans le sol posent plus de problèmes, sans parler des traces retrouvées dans les vins, très mal perçues par les consommateurs, que les vignerons font tout pour éviter, notamment en limitant les traitements dès la fin juillet. Au passage, le cuivre n’est pas non plus un problème aigu en toxicologie humaine.»

Des pistes à creuser
La substitution du cuivre reste à l’ordre du jour. Le FiBL a ainsi consacré deux journées, courant mai, à présenter des stratégies alternatives de lutte fongicide. Si les argiles acidifiées, connues depuis vingt ans, peuvent montrer de bons résultats, «c’est un produit avant tout préventif, moins sporicide que le cuivre et facilement lessivé, expose Dominique Lévite. Les perspectives les plus prometteuses sont offertes par la larixine, un extrait d’écorces de résineux avec lequel on arrive désormais à une efficacité de 90%. La grande difficulté va être de le faire homologuer, procédure coûteuse et qui va prendre du temps.» Quant à savoir si le goût du vin pourrait s’en ressentir – ce qui n’est pas le cas du cuivre –, la question reste ouverte. «Mais pour l’instant, les essais à l’étranger sont plutôt favorables», note le chercheur. Pierre-Henri Dubuis se montre plus circonspect: «Des recherches sont menées depuis des décennies, sans qu’on ait d’alternative vraiment convaincante au cuivre… Cela dit, on a encore du temps pour trouver une solution.» Troquer le cuivre contre une autre substance, même naturelle, n’est de toute façon pas la seule piste explorée. Les cépages résistants, évidemment, sont incontournables. Mais sans grande identité en termes de terroirs, ils restent une solution marginale aux yeux de beaucoup de professionnels. «En revanche, utiliser leurs propriétés bioprotectrices en les complantant avec des cépages traditionnels fait sens, même si les vendanges s’en trouveraient certainement compliquées», note Dominique Lévite.
Reste que le renoncement total à un produit qui a précédé le boom des phytos (et risque bien de leur survivre) n’est pour l’heure pas vraiment envisagé. «L’efficacité du cuivre contre les bactérioses ou le black rot, endémique en certaines régions, justifierait son usage complémentaire à la larixine», pense Dominique Lévite. Sans compter que devoir se passer du cuivre lors d’une reconversion au bio risque de dissuader certains de se lancer, le risque étant lourd à assumer. Ce qui serait dommage: en favorisant la santé et l’équilibre de sols rendus à la vie, les pistes explorées par les vignerons en bio ou biodynamie sont bel et bien de nature à diminuer, encore, le recours au cuivre.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): dr

Bon à savoir

Dans le cadre légal, les quantités de cuivre pur utilisables en viticulture varient en fonction du modèle suivi:

  • Vitiswiss 4 kg/ha/an en moyenne sur 5 ans, maximum 5 kg/ha/an, pas de traitement avant floraison ou alors limitation parcellaire à 3 kg/ha/an.
  • Bio Suisse 4 kg/ha/an en moyenne sur 5 ans.
  • Demeter 3 kg/ha/an, maximum annuel de 4 kg/ha/an, max. de 500 g/ha par traitement.
  • Union européenne 4 kg/ha/an en moyenne sur 7 ans, pas de limite annuelle.

quelle utilisation en suisse?

Chaque année, selon l’Office fédéral de l’agriculture, une moyenne de 67,8 tonnes de produits phytosanitaires à base de cuivre est vendue en Suisse, la plupart étant des composés d’oxychlorure contenant 50% de métal pur, le reste des sulfates utilisés dans la fameuse «bouillie bordelaise». Cette quantité varie peu: les extrêmes sont de 77,9 t en 2006 (maximum) et 60,8 t en 2009. En 2017 (derniers chiffres disponibles), elle a été de 71,68 t.
Le cuivre figure dans le top dix des phytos les plus vendus depuis dix ans. Par rapport aux trois produits figurant sur le podium, c’est cependant environ trois fois moins que l’huile de paraffine (198 t en moyenne), quatre fois moins que le glyphosate (273 t en moyenne) et presque cinq fois moins que le soufre (380 t). La teneur des sols viticoles en cuivre est difficile à quantifier, en raison des grandes différences entre les régions. Les prélèvements opérés par l’Observatoire du sol sur une centaine de sites (tous genres d’exploitations) montrent une teneur stable sur les cultures spéciales. Une étude de Greenpeace de 2016, très médiatisée, faisait état de teneurs allant de 167 mg/kg à Erlenbach (SH) à 602,9 mg/kg à Ligerz (BE). L’étude relève que le cuivre est le seul pesticide trouvé dans les sols bios, à des teneurs moins élevées que dans les parcelles conventionnelles.