Agriculture
Strip-till et semoirs directs remplacent herses et charrues

Le printemps approche et avec lui la saison des semis de maïs, de tournesol et de betteraves. Mais cette année, les charrues se feront plus rares et laisseront la place à de nouveaux outils de travail simplifié.

Strip-till et semoirs directs remplacent herses et charrues

«Le défi agronomique de demain? Augmenter les rendements, tout en diminuant les phytos. Le semis direct, pilier de l’agriculture de conservation, est une des réponses pour repousser ces limites techniques!» À Pampigny (VD), Jacky Bussy est l’un des premiers en Suisse à avoir franchi ce pas il y a une vingtaine d’années: adieu herses et charrues, déchaumeurs, chisels et autres décompacteurs. Le non-labour, c’est là la clé pour l’agriculteur vaudois. «Laisser le sol fonctionner en toute autonomie, le nourrir avec des engrais verts, mais ne plus le travailler en profondeur ni toucher à sa structure.» Aujourd’hui, outre son domaine d’une vingtaine d’hectares de grandes cultures, Jacky Bussy est parvenu à convaincre de nombreux producteurs de grandes cultures de faire de même et pratiquer le semis direct sur plus de 500 hectares au pied du Jura.
«La dernière fois que j’ai accroché une charrue derrière mon tracteur, c’était en 1993.» À Aubonne, Christian Streit est lui aussi un convaincu de longue date. L’exploitant vaudois a dans un premier temps abandonné le labour pour un travail superficiel du sol, et, depuis dix ans, pour le semis direct sous couvert végétal. «Je sème à la volée un engrais vert au moment des moissons, puis mes céréales et mon colza quelques semaines plus tard.» Le semoir qu’il utilise ouvre des sillons sous le couvert végétal, à quelques centimètres de profondeur afin d’y déposer la semence. «Les racines des engrais verts aèrent et décompactent naturellement le sol, facilitant la rétention d’eau. Ils ont aussi une grande capacité à retenir l’azote du sol pour éviter qu’il se fasse lessiver. Les couverts végétaux se décomposent et apportent de la matière organique, véritable garde-manger pour le sol.»
Sur le papier, le semis direct et ses nombreux avantages ont de quoi séduire. Mais le pas reste difficile à franchir et les agriculteurs qui ont osé le faire en Suisse romande se comptent sur les doigts des mains. «Mes rendements vont diminuer…»; «Je vais devoir augmenter mes doses d’herbicides!»; «Comment planifier les rotations?»: telles sont les inquiétudes et interrogations qui retiennent bien des cultivateurs à adopter cette technique de semis.

Un bon intermédiaire
Mais plusieurs facteurs tendent à changer la donne. À commencer par les aides financières accordées par la Confédération dans le cadre du programme de conservation des sols de la politique agricole 2014-17. «Elles ont clairement créé un appel d’air, observe Jean-Daniel Etter, collaborateur chez Proconseil et représentant romand au sein du comité de Swiss-no-till, l’association de promotion du non-labour. Avec 150, 200 ou 250 francs l’hectare selon le système utilisé (respectivement semis sous litière, strip-till ou semis direct), il devient financièrement très intéressant de faire appel à un entrepreneur pour la mise en place de ses cultures.»
L’arrivée du strip-till, signifiant littéralement «labour en bande», a également ouvert des perspectives encourageantes. Largement répandu en Amérique du Nord pour réduire les coûts et lutter contre l’érosion, cette technique a fait son apparition en Suisse ces cinq dernières années. Tracté ou porté, l’outil éponyme fissure la future ligne de semis pour les cultures à écartement large, soit maïs, betteraves, tournesol et colza. «Le strip-till ouvre un passage étroit à travers les résidus qu’on laisse en surface, dans l’inter-rang, et créée un lit de semences. On conserve ainsi les avantages du semis direct, à savoir la conservation de l’humidité et la réduction des levées adventices», résume Christian Streit. «En réalisant un travail vertical sur la ligne de semis de 15 à 20 cm de profond, le strip-till constitue un excellent intermédiaire entre les techniques traditionnelles de travail du sol et le semis direct», affirme Jacky Bussy.

Objectif zéro chimie
Qu’ils soient équipés de disques ou de dents, les strip-till vendus aujourd’hui sur le marché s’adaptent à tous les types de sol et de culture. Joël Pettermann, un des patrons d’Alphatec SA à Orbe (VD), en commercialise depuis cinq ans, qu’il conçoit lui-même selon les besoins de ses clients ou qu’il importe de France. «Mes clients sont avant tout des entrepreneurs agricoles ou des associations d’exploitation, qui ont les reins assez solides pour débourser environ 35 000 francs pour un tel outil.» Pour l’entrepreneur, l’aide financière de la Confédération ainsi que l’économie à l’hectare réalisée motivent les agriculteurs romands à recourir à ces techniques. En 2011, l’association Swiss-no-till estimait ainsi à 16 500 le nombre d’hectares semés en direct ou de façon simplifiée. «Depuis, les introductions de programmes fédéraux et cantonaux ont provoqué un boom», estime Jean-Daniel Etter. Suivant l’exemple bernois (voir encadré ci-dessus), le canton de Vaud propose une aide financière aux exploitants qui participent au programme Sol Vaud (voir encadré ci-contre).
«L’intérêt de ces programmes d’aides, c’est qu’ils participent à créer une prise de conscience sur l’importance de la matière organique et de la vie des sols», poursuit Jean-Daniel Etter. «Petit à petit, les agriculteurs comprennent que le semis direct ou simplifié va de pair avec une couverture du sol quasi permanente, qui est une façon d’occuper le terrain et d’empêcher la nature de le faire avec des mauvaises herbes», renchérit Christian Streit. Maîtriser la levée d’adventices avec des couverts végétaux plutôt qu’avec de la chimie, voilà également ce qui anime ces pionniers des techniques de conservation du sol. Et Jacky Bussy de confier: «Les attaques contre l’utilisation de phytosanitaires sont toujours plus virulentes. Jusqu’à quand pourra-t-on utiliser des herbicides? Le semis direct et plus largement l’agriculture de conservation permettent de se préparer à ce nouveau paradigme: produire sans chimie.»
+ d’infos Association pour la promotion du non-labour en Suisse: www.no-till.ch
Site d’informations sur les techniques simplifiées de travail du sol: www.agriculture-de-conservation.com
Jacky Bussy, Pampigny (VD)
«Le sol est notre allié, pas un substrat»
Convaincu par l’agriculture de conservation et ses techniques, l’exploitant sème chaque année plus de 500 hectares en direct à façon chez des agriculteurs du pied du Jura.
Il y a vingt ans, il faisait partie des pionniers à adopter le non-labour, participant à des formations, organisant des démonstrations, n’économisant ni son temps ni sa salive pour la promotion de cette technique agronomique. Aujourd’hui, Jacky Bussy a réussi à convaincre nombre de collègues de sa région. Dans les terres séchardes et caillouteuses du pied du Jura, l’exploitant de Pampigny sème avec son Greatplain des dizaines d’hectares chaque année. Le concept est simple: un disque ouvreur ondulé prépare la ligne de semis où les socs déposeront les graines. «Je perfore seulement le sol en superficie. Je ne touche pas à sa structure», explique Jacky Bussy, pour qui le semis direct s’insère dans une démarche globale: «Le sol ne doit plus être considéré comme un support, un substrat, mais comme un partenaire. Je cherche à le conserver, à le faire fonctionner par lui-même, bref, à le rendre vivant.» Et tout commence parl’installation d’une couverture végétale du sol, permettant de le nourrir. «On crée un mulch en surface, où l’activité biologique est intense. Quant aux cailloux, ils restent en profondeur, on ne les voit plus.» Augmentation du taux de matière organique, amélioration de la portance, diminution des intrants: les avantages du semis direct entraînent un intérêt grandissant de la part des paysans pour les techniques prônées par Jacky Bussy. «Il y a des économies évidentes à la clé. À commencer par l’usure du matériel, dans nos terrains calcaires particulièrement demandants. Certains de mes clients n’investissent plus du tout dans du matériel de travail du sol et se contentent de me faire semer.» Et d’évoquer également les économies de carburant: «De l’ordre de 60 francs par hectare.» Dans les sols sensibles à la sécheresse des contreforts du Jura, le semis direct prend tout son sens. «Malgré les conditions caniculaires de l’été 2015, dans les parcelles non labourées, on a réussi à conserver de l’humidité. La couverture de mulch a joué un rôle protecteur vis-à-vis de la chaleur.» La mise en œuvre des programmes fédéraux et cantonaux réjouit Jacky Bussy: «On prend enfin conscience de la valeur du sol.»

Pierre Leuba, Chabrey (VD)
«Plus qu’un gain de temps»
En parallèle de ses 16 hectares de grandes cultures, l’exploitant vaudois pratique depuis une quinzaine d’années le semis direct et simplifié chez des collègues. Un sol meuble, décompacté, fin, spongieux, grumeleux à souhait, dont on extrait un plant de colza très facilement, malgré les conditions humides de ce mois de février. Dans la parcelle de Pierre Leuba, la terre est une véritable semoule. «Je me suis mis au semis direct en 2003. À l’époque, je voulais gagner du temps, car j’avais une autre activité professionnelle à côté de la ferme. Et puis, j’ai vite compris qu’il y avait autre chose que du temps à gagner en abandonnant la charrue. À commencer par des terres de meilleure qualité.» Après une dizaine d’années d’expérimentations, l’exploitant acquiert un semoir de la marque américaine Greatplain, équipé d’un strip-till élaboré en collaboration avec l’entreprise spécialisée Alphatec, à Orbe (VD). Avec cet outil, il sème désormais près de 90 hectares chez une vingtaine de clients dans un rayon de 15 kilomètres autour de Chabrey. «Grâce à cette technique, chaque disque travaille sur une largeur de 4 à 5 cm seulement, se contentant de relever la terre.» Combiné sur un porte-outil, le semoir monograine équipé d’étoiles chasse-débris permettra d’implanter maïs, betteraves, soja, tournesol ou colza dans du couvert végétal ou encore dans une prairie le printemps venu.
Depuis la mise en œuvre de la PA 2014-17 et du programme de conservation des sols, Pierre Leuba a noté un regain d’intérêt pour cette technique chez les cultivateurs, qui bénéficient d’un subside de 200 francs par hectare semé à l’aide d’un strip-till. «L’évidente économie de carburant est une motivation supplémentaire. Avec un strip-till combiné avec un semoir, j’utilise 30 litres pour semer 4,5 hectares. Alors qu’en général, pour implanter une culture (labour, hersage, semis), on compte 60 litres par hectare!» Pierre Leuba reste cependant convaincu que le semis direct est l’idéal. «Dans notre région aux terres relativement légères, on peut sans hésiter se lancer. Il y a évidemment une période de transition de quelques années, au cours desquelles le sol se régénère. Les rendements ont alors tendance à chuter, c’est là qu’il ne faut pas se décourager.
Au bout de six à sept ans, les rendements remontent. La conservation des sols, c’est une histoire de patience!»L’agriculteur vaudois se bat contre l’idée reçue selon laquelle «semis direct» est forcément synonyme d’utilisation accrue d’herbicides. «Bien au contraire! Personnellement, je réduis d’année en année mon utilisation de glyphosate. Comment? En ayant recours aux couverts végétaux, qui permettent de maîtriser la poussée d’adventices indésirables.» Semer en direct ou en simplifié permet de respecter les horizons géologiques du sol. «La vie reprend dans le terrain. Il n’y a qu’à voir la quantité de vers de terre, de carabes et de collemboles. Supprimer le labour, c’est préserver l’habitat de tous ces insectes auxiliaires.» Pierre Leuba va même jusqu’à noter une diminution des maladies fongiques – cercosporiose, notamment. «Diminuer les interventions dans un sol participe à améliorer globalement sa santé et améliorer son immunité.»

Famille Schärer, Oppens (VD)
«Une alternative idéale»
Convaincus par le semis direct, David et Fabrice Schärer proposent avec succès la solution du semis avec strip-till à leurs clients agriculteurs du Gros-de-Vaud.
Un disque ouvreur muni de chasse-débris pour nettoyer la ligne de semis, une dent qui décompacte le sol sur 15 à 20 cm et ouvre un sillon, et deux roues de rappui pour éviter les poches d’air: le fonctionnement du strip-till combiné de la marque française Duro qu’utilisent les frères Schärer, entrepreneurs agricoles à Oppens, est on ne peut plus simple. «Nous avons opté pour une machine portée plutôt que tractée, vu la configuration parfois étriquée des parcelles dans lesquelles nous intervenons.» Les pattes-d’oie ne brassent pas la terre, se contentant de la décompacter et de limiter ainsi le travail en surface. «C’est une alternative idéale au semis direct, qui n’est parfois pas recommandé dans des terres trop lourdes ou peu homogènes.» Les deux frères, qui exploitent avec leur père Ernest une quarantaine d’hectares, pratiquent le semis direct depuis une vingtaine d’années. «Nous faisions face à de gros problèmes d’érosion dans le village. Au moindre orage, la terre coulait sur la route.» À l’époque, les outils de semis simplifié ne couraient pas les rues. «Nous avons développé notre propre matériel, utilisant des disques gaufrés pour les semis de printemps.» Aujourd’hui, avec leur strip-till combiné à un semoir de précision MaterMacc, les frères Schärer sèment à façon partout dans le Gros-de-Vaud. «On remarque que la technique fonctionne particulièrement bien dans les cultures de colza. D’ailleurs on voit une nette différence entre des colzas semés dans une parcelle labourée et ceux implantés avec un simple passage de strip-till: les racines pivots de ces derniers descendent bien mieux dans le terrain, garantissant l’approvisionnement en eau et en nutriments.» Le subside octroyé par la Confédération participe également au succès des frères Schärer: l’hectare semé avec un strip-till revient à 30 francs au producteur, contre environ 400 francs dans le cas d’un travail traditionnel. «Outre l’aspect financier, le semis simplifié avec strip-till convainc toujours plus de producteurs. L’amélioration de la portance des terrains, le renforcement de la vie microbienne sont gages de rendements meilleurs lors des récoltes!» David et Fabrice ont également remarqué que les terres sont moins sensibles aux épisodes climatiques extrêmes et craignent moins les fortes pluies ou le sec.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): DR/claire Muller

éclairage

L’expérience bernoise
Voilà une vingtaine d’années que les autorités du canton de Berne subventionnent les agriculteurs ayant opté pour un abandon du labour. Une mesure prise à la suite des problèmes récurrents de lessivage à cause d’un labour systématique déstabilisant des centaines d’hectares de terrain dans l’Oberland notamment.
Les résultats parlent d’eux-mêmes: le risque d’érosion a été réduit de 80% grâce au semis direct et/ou simplifié.

questions à...

Laurence Schaffner
Ingénieure en environnement, responsable du projet Sol Vaud
«Dans le canton de Vaud, 11000 hectares sont semés en non-labour»

Quel est le succès rencontré par le projet Sol Vaud, qui vise à maintenir des sols fertiles?
En 2015, 481 agriculteurs se sont inscrits à l’une ou plusieurs des six mesures de notre catalogue, soit 14% des exploitations du canton. Sur les 11 000 ha en non labour (semis direct, semis en bandes et semis sous litière), 40% appartiennent à des exploitations qui pratiquent ces techniques sur la quasi totalité de leurs surfaces dédiées aux grandes cultures.
Comment expliquer ces débuts relativement timides?
Avec la nouvelle PA, 2014 et 2015 ont été des années de grands changements pour les exploitants. Modifier sa façon de considérer le sol et de le travailler, c’est un gros pas à franchir. En revanche, on sent une réelle attente en termes de formation et de connaissances de la part des paysans quant au sol et à son fonctionnement, c’est réjouissant!