Arboriculture & maraîchage
Stocker sur la durée est un défi pour les producteurs et les grossistes

Pour répondre aux exigences croissantes de la grande distribution et des consommateurs, producteurs et grossistes s’efforcent d’adopter les dernières technologies pour prolonger la durée de vie des fruits et des légumes. Voici trois exemples en Suisse romande. Que ce soit chez les metteurs en marché ou directement chez l’arboriculteur et le maraîcher, de nouvelles technologies permettent de conserver plus longtemps sans perdre la qualité des produits stockés.

Stocker sur la durée est un défi pour les producteurs et les grossistes
Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Olivier Maire / Claire Muller

Producteurs: conserver plus longtemps grâce à des caissons respirants

À Crissier (VD), Michel Blondel s’apprête à commercialiser ses derniers plateaux de pruneaux, après plus d’un mois de stockage. «Pouvoir vendre des pruneaux jusqu’à la mi-octobre sur le marché de Lausanne, c’est quelque chose que je n’aurais jamais cru possible!» Des pruneaux qui tiennent un mois et demi, des cerises vingt-cinq jours, et des pommes au moins six mois, le tout sans avoir à équiper une cellule d’un générateur d’atmosphère contrôlée: on doit cette prouesse à une société familiale bourguignonne, Janny MT, à l’origine de caissons de conservation uniques en leur genre.
Le principe est simple. On remplit un compartiment avec fruits ou légumes, on le place dans un frigo standard (2 degrés) et on le referme avec un couvercle hermétique équipé de membranes respiratoires à perméabilité sélective. Les végétaux stockés respirent, créant naturellement une ­atmosphère où la teneur en oxygène varie entre 1 et 5%. Les six membranes sont plus ou moins ouvertes en fonction du contenu et régulent cette pseudo-atmosphère contrôlée où l’humidité est proche des 100%.
Pour Michel Blondel, qui soigne 4,5 hectares de fruitiers et réalise les deux tiers de son chiffre d’affaires en marchés et livraisons,ce système de stockage est synonyme d’une plus grande autonomie. «Auparavant je louais pour 20 à 40 tonnes de produits des cellules frigorifiques dans des entrepôts d’Aigle ou de Senarclens. Je passais un temps fou en transport et en manutention. Désormais, j’ai tout sous la main et j’ai gagné en flexibilité.» Financièrement, le Vaudois s’y retrouve également. «Louer des cellules équipées de l’atmosphère contrôlée me coûtait 30 à 35 centimes le kilo. Avec mes boîtes, j’estime que mes frais de conservation tournent autour de 20 à 25 centimes le kilo.»
Le système Janny séduit également en Valais, où les maraîchers s’orientent de plus en plus vers la vente directe. «On évite bien des pertes, relève Daniel Vouilloz, maraîcher à Saxon. Les marchés ne collent en effet pas toujours à la récolte. Pouvoir stocker plutôt que de devoir labourer une parcelle faute d’acheteur, c’est un sacré avantage.»
Une boîte permet en effet de stocker 50 kg de mâche, 200 kg de choux de Bruxelles ou 300 kg de pommes. Pendant toute la durée de la conservation, les teneurs en oxygène et dioxyde de carbone sont mesurables par un appareil spécialement conçu, permettant ainsi de maintenir les qualités gustatives des produits. «Et comme il n’y a pas de ventilation, on n’a pas de problème de dessiccation ni de perte de poids inhérente.»
Michel Blondel ne reviendrait en arrière pour rien au monde. «Avant, quand on m’ouvrait une cellule, il fallait que je réussisse à vendre dix palettes en quelques semaines. Une gageure! Désormais, j’ai une pression en moins.» Daniel Vouilloz apprécie quant à lui la flexibilité offerte par les boîtes Janny. «Je peux travailler avec des plus petits volumes, augmenter la diversité de mon assortiment et ainsi accéder à de nouveaux marchés!»Des pruneaux à la mi-octobre: voilà ce que permet la technologie Janny à Michel Blondel.

Recherche: la piste de l’ozone pour lutter contre les champignons


Si elle ralentit le processus métabolique des fruits, les mettant dans une forme de dormance, l’atmosphère contrôlée – même dynamique – ne peut stopper la croissance de champignons, aux conséquences dévastatrices lors de l’entreposage. Et comme l’explique la chercheuse Séverine Gabioud Rebeaud, experte dans les questions de conservation à Agroscope Conthey (VS): «Dans les frigos, malgré les basses températures, il peut y avoir des fruits contaminés par des spores, notamment dans le cas de productions biologiques, où les traitements antifongiques préalables sont moins efficaces qu’en production intégrée.»
C’est d’ailleurs de la filière bio qu’a émané la demande d’étudier l’efficacité de l’ozone comme traitement antifongique au moment de l’entreposage. Voilà donc deux ans que Séverine Gabioud Rebeaud teste ce gaz à la fois sur les pommes et les petits fruits en conditions de stockage (température de 8°C et humidité relative de 92%). «L’ozone a un fort potentiel d’oxydation et agit comme un désinfectant, en dégradant la matière organique», explique la chercheuse.
Composé de trois atomes d’oxygène, il se dégrade rapidement en dioxygène lorsqu’il est en contact avec la matière.
Il ne laisse donc pas de résidus. «La principale difficulté inhérente au traitement, c’était de trouver le bon dosage. Pas assez d’ozone: le traitement est inefficace. Trop d’ozone: les molécules s’attaquent aussi au fruit, ce qui n’est pas le but recherché!»
En vaporisant sur des durées d’une heure et demie avec de l’ozone concentré à 2 à 3 ppm, l’effet escompté a été atteint. «On agit efficacement en superficie des fruits, résume Séverine Gabioud Rebeaud. Mais si la spore a déjà pénétré dans le fruit, on ne peut alors malheureusement plus faire grand-chose!»
Le traitement des fraises et des framboises à l’ozone a un potentiel intéressant pour améliorer la rentabilité du stockage de ces fruits en réduisant les pertes causées par les maladies fongiques. «L’efficacité du traitement peut cependant être influencée par de nombreux facteurs, tels que l’espèce bactérienne ou fongique et son stade de développement, la concentration en ozone et la durée d’exposition, la température et l’humidité relative dans la chambre frigorifique.
Mais le potentiel est là.» La chercheuse valaisanne Séverine Gabioud Rebeaud a testé avec succès l’ozone en guise de traitement antifongique sur fraises, framboises et pommes, au moment de l’entreposage. Une solution qui pourrait séduire la filière arboricole bio.

Commerce: les promesses de l’atmosphère contrôlée dynamique


À Charrat, un nouvel entrepôt s’élèvera bientôt aux côtés de la halle d’Union-Fruits SA exploitée par Fenaco. «Jusqu’à présent, nous louions beaucoup de frigos chez des entrepositaires, explique le gérant, Christian Bertholet. Mais certaines de ces installations commencent à dater. On a donc décidé d’investir dans notre propre outil de stockage et d’en profiter pour améliorer encore la qualité de conservation proposée.»
Du côté de la grande distribution, on est en effet de plus en plus exigeant quant à la fermeté des fruits fournis. «Or, actuellement, 80% de nos soucis sont dus à un manque de fermeté, poursuit Christian Bertholet. Pour répondre à cette demande, il faudrait pouvoir baisser encore plus le taux d’oxygène lors de la conservation, mais avec le risque croissant de causer des dégâts physiologiques importants aux fruits, en les asphyxiant.» Si on dépasse le point d’inversion anaérobique, les pommes commencent en effet à fermenter, ce qui altère la qualité et peut conduire à des pertes. «Quand on ouvre les frigos, c’est toujours le stress. On craint d’avoir une mauvaise surprise!»
Garder la mainmise sur l’évolution des fruits, c’est ce que permettra justement l’atmosphère contrôlée dynamique (AC dynamique). Cette technique mise au point par un chercheur canadien consiste faire varier la teneur en oxygène dans l’atmosphère d’entreposage en fonction de l’état des fruits. «Pour cela, on mesure l’évolution de fluorescence émise par la chlorophylle des fruits, explique Séverine Gabioud Rebeaud, chercheuse à Agroscope Conthey (VS) et experte dans les questions de conservation. Car lorsque la teneur en oxygène est trop basse, les pommes sont stressées et réagissent en émettant davantage de fluorescence.»
Les 25 cellules de la halle d’Union-Fruits seront donc équipées de palox témoins avec des capteurs qui mesureront en permanence l’évolution de la fluorescence. «Les variations mesurées seraient totalement indétectables à l’œil nu, reconnaît Christian Bertholet. Les mesures s’effectueront cellule fermée, en toute étanchéité.»
Et la teneur en oxygène sera ainsi adaptée en temps réel en fonction de l’état des fruits. «Dans nos essais, la fermeté des pommes entreposées en AC dynamique était significativement supérieure à celle des fruits témoins en atmosphère contrôlée», affirme Séverine Gabioud Rebeaud.
Christian Bertholet prévoit de consacrer les cellules aux goldens et aux galas, variétés qui évoluent rapidement et présentent facilement des problèmes de fermeté, mais aussi aux variétés club comme la jazz ou la pink lady: «Il y a un marché à occuper entre juin et août, mois au cours desquels la grande distribution importe passablem

ent de pommes de l’hémisphère Sud. Or, je suis convaincu que le consommateur est de plus en plus attaché à la provenance suisse!»
La technologie de l’atmosphère contrôlée dynamique est apparue au début des années 2010 sur les marchés. Largement employée dans le Tyrol du Sud, grande région productrice de pommes, elle est encore totalement confidentielle dans notre pays. L’entrepôt de Charrat sera ainsi le deuxième en Suisse à s’équiper. De quoi enthousiasmer Christian Bertholet: «On ne sera plus dépendant du MCP!» Cet inhibiteur de l’action de l’éthylène, synthétisé à base de méthylcyclopropène et agissant comme un régulateur, est largement utilisé dans la conservation des fruits. Il engendre aujourd’hui un surcoût que Christian Bertholet estime à un cinquième des frais de stockage, soit 27 centimes le kilo. «Même si on n’a pas de problème de résidus avec le MCP, on préfère anticiper une potentielle interdiction de cette molécule!»