Adrienne Barman
Sous son crayon, les merveilles de la nature prennent de belles couleurs

L’illustratrice d’origine tessinoise Adrienne Barman n’aime rien tant que dessiner les animaux. Dans son prochain livre, elle mettra son trait naïf au service des plantes.

Sous son crayon, les merveilles de la nature prennent de belles couleurs

C’est le petit événement de 2013 au rayon littérature jeunesse: la Drôle d’encyclopédie née sous le crayon d’Adrienne Barman devient un best-seller en Suisse et à l’étranger. Aujourd’hui, ce bestiaire déjanté et coloré a été écoulé à des milliers d’exemplaires, traduit en treize langues, il a valu à sa dessinatrice une bourse et le Prix suisse Jeunesse et médias. Et la plus surprise, dans tout ça, c’est sans doute Adrienne Barman. «Je peux mourir tranquille», sourit-elle derrière sa tasse de thé.
Rendre hommage à la vie sauvage sonnait comme une évidence pour l’illustratrice. Il faut dire que la nature n’est jamais bien loin dans son parcours. Non pas qu’elle soit du genre à tout plaquer pour vivre en ermite dans la forêt, mais Adrienne Barman y voit une nécessaire source d’apaisement. Dans sa voix, les souvenirs prennent forme. Les arbres fruitiers de son Tessin natal, le jardin de la maison familiale ou le camping dans les bois qui dominent Lugano. «Je suis sensible aux couleurs et aux odeurs, confie-t-elle. Quoi de plus beau qu’un coin de forêt recouvert par la mousse?» Le Tessin, Adrienne Barman le quitte en 2001 pour Genève, où elle intègre un collectif de graphistes et, en parallèle, travaille à la mise en page du quotidien Le Courrier. Là, alors qu’elle découvre l’univers foisonnant des petites maisons d’édition de bande dessinée, la jeune femme se prend à rêver: et si elle vivait, elle aussi, de son crayon?

Tout commence avec une chèvre
Un jour, l’occasion se présente: on lui demande de réaliser un «strip» hebdomadaire dans le journal. Ce sera une série de recettes glanées auprès de ses amis et de sa famille. Parce qu’Adrienne aime cuisiner? «Parce que j’aime manger, corrige-t-elle. Je ne suis pas très douée aux fourneaux!» Ses dessins tarabiscotés, reconnaissables en un coup d’œil, font mouche. Son premier livre sera l’adaptation d’un classique d’Alphonse Daudet, La chèvre de Monsieur Seguin. «Cette histoire m’a marquée quand j’étais enfant, dit-elle. Une fin aussi tragique, ça sort de l’ordinaire!» Surtout, Adrienne s’amuse follement à dessiner cette biquette éprise de liberté et le terrible loup qui finira par la croquer.
Il y a dix ans, Adrienne Barman lâche tout pour se lancer en indépendante. Elle aligne les mandats, dessine des affiches pour des musées, des associations et des collectivités, tout en poursuivant ses expérimentations graphiques et ses projets personnels. Drôle d’encyclopédie en est un, qui demande à l’illustratrice trois ans de travail acharné. Car si elle a toujours dessiné des animaux de son trait un peu enfantin, c’est une autre histoire que de s’atteler à une telle somme. Documentation, classement des 600 espèces en familles telles que «les sauteurs», «les maîtres du camouflage» ou «les disparus», dessin et mise en couleur, la tâche est herculéenne. S’y ajoute le perfectionnisme de l’artiste, qui reprend parfois ses planches six fois, jusqu’à obtenir le bon équilibre. «Il faut que l’animal soit reconnaissable sans pour autant aller trop loin dans le détail, explique-t-elle. Mon style s’est un peu assagi.» Si les personnages d’Adrienne ont encore souvent un œil plus grand que l’autre, le genre de détail qui caractérise son coup de crayon depuis ses débuts, les proportions deviennent plus réalistes et les couleurs sont rigoureusement calquées sur les animaux réels.

Place aux plantes
Si la tâche est épuisante, Adrienne Barman aime l’approche didactique des naturalistes d’autrefois. «L’illustration a longtemps été le seul moyen de rendre compte des découvertes scientifiques, dit-elle. Mais les dessinateurs s’offraient toujours une certaine marge de liberté.» L’appartement que la Tessinoise partage depuis trois ans avec son conjoint sur les hauts de Grandson (VD) trahit cet intérêt pour les sciences naturelles: contre les murs, les anciennes illustrations de poissons du lac voisinent avec des masques animaliers ou des planches d’anatomie. Sa Drôle d’encyclopédie lui vaut d’ailleurs d’être contactée par un éditeur belge qui lui demande un livre sur l’histoire de la vie sur Terre. Sur le bureau de l’illustratrice, les bestioles exotiques cèdent alors la place à une ribambelle de dinosaures et autres australopithèques.
Devant le succès de son encyclopédie, Adrienne a décidé de lui offrir une suite. Consacrée au monde végétal, elle paraîtra début 2018. «Cela n’a pas été facile, note-
t-elle. Sans yeux ni bouche, les plantes n’ont pas le potentiel comique des animaux!» Mais l’illustratrice a trouvé la parade: entre les fleurs parfumées et les légumes loufoques se baladent quelques-unes de ses attachantes bestioles. Forcément, celle pour qui les plantes représentaient jusqu’ici un simple élément de décor a dû rivaliser d’imagination pour restituer la complexité de ces organismes.
Sur la table du balcon, une pile d’épreuves fraîchement corrigées attend l’illustratrice. En vraie indépendante, Adrienne Barman ne compte pas ses heures. Mais elle se ménage toujours un peu de temps pour expérimenter. Dernièrement, elle a travaillé en noir et blanc dans le style des découpages du Pays-d’Enhaut. Une fois terminés, les dessins partent sous presse, dans un classeur ou dans la nature… «Les dessins, c’est comme les recettes de cuisine, ça doit se partager.»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

En dates

1979 «L’année de ma naissance, au Tessin. Je grandis à Novaggio, un petit village non loin de Lugano.»
2001 «Je débarque à Genève en compagnie de ma sœur. J’y rencontre de talentueux illustrateurs et auteurs de bande dessinée.»
2007 «Je deviens illustratrice et graphiste indépendante.»
2013 «La publication de Drôle d’encyclopédie me vaut un prix et une bourse. Un succès inattendu qui m’encourage à me lancer dans un deuxième volume.»