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Se lancer dans l’agriculture impose prise de risques et planification

Reprendre une exploitation ou louer une parcelle pour se lancer dans cette activité en privilégiant la proximité nécessite de solides connaissances, un financement adéquat et une bonne dose de débrouillardise.

Se lancer dans l’agriculture impose prise de risques et planification

Cela fait un an et trois mois, précisément, que Gilles Berger exploite les terres de Rovéréaz, au-dessus de Lausanne. En novice, il multiplie les expériences sur ces 28 hectares de cultures maraîchères et de terres ouvertes. Les heures supplémentaires aussi! Elles s’accumulent comme les tomates, si nombreuses en cette fin d’été. Mais le trentenaire est heureux. Seul maître à bord, il met enfin à l’épreuve du terrain son intérêt pour l’agroécologie, la vente directe et les méthodes de culture bios. Comme lui, de nombreux jeunes souhaitent se lancer, revenir au coet, travailler la terre, miser sur l’agriculture de proximité. Pour les aider dans leur première démarche, le FiBL a organisé récemment un cours d’une journée à Rovéréaz.

Un lieu et des outils

«La première difficulté consiste souvent à trouver une parcelle à louer ou à acheter. Au niveau légal, c’est le droit foncier rural ainsi que les lois sur le bail à ferme qui donnent le cadre. La location d’une parcelle peut être un bon moyen de commencer un projet de maraîchage, par exemple. Les démarches pour reprendre une entreprise agricole sont plus complexes», signale Bettina Erne, de l’Association des petits paysans. En tant que responsable Romandie pour le projet remise extrafamiliale de fermes, elle met en relation des jeunes en quête d’une exploitation et des agriculteurs sans successeur désireux de remettre leur domaine.
La ferme de Rovéréaz appartient quant à elle à la ville de Lausanne. Lorsque le fermier est arrivé à la retraite, la Municipalité a lancé un appel à candidatures pour réorienter le domaine vers l’agriculture bio de proximité. Un collectif a remporté la mise. Désormais deux projets cohabitent: le Jardin aux 1000 mains, un espace pédagogique en permaculture, et la S. à r.l. Ferme de Rovéréaz de Gilles Berger. Elle compte, en 2018, 3,5 hectares de cultures maraîchères, un tunnel de 450 mètres carrés et 20 hectares de terres ouvertes en partie sous contrat de multiplication de blé et de trèfle pour le semencier Sativa.
Le cahier des charges exigeait que le repreneur soit un professionnel de l’agriculture. Un prérequis fortement conseillé et un avantage dans un marché où la demande dépasse l’offre. «Les difficultés de la culture des légumes, notamment, sont souvent sous-estimées. Je conseillerais au moins d’avoir suivi un stage pratique sur une exploitation ou une formation en maraîchage, relève Bettina Erne. Un CFC agricole ou une formation OPD est toutefois indispensable pour toucher des paiements directs.» Au bénéfice d’un CFC complet d’horticulteur et d’un master en agronomie, Gilles Berger avait toutes les cartes en main. Il a pourtant conservé un emploi salarié annualisé à 45% chez Sativa. «Il ne faut pas oublier que lorsqu’on commence ses cultures, la première année, on n’a aucun revenu jusqu’aux premières récoltes. Et les paiements directs, on ne les touche qu’en novembre. Les factures, elles, n’attendent pas. Cet emploi salarié m’apporte une certaine sécurité. L’activité de la ferme ne m’a pas encore permis de me dégager un salaire, mais je suis nourri et logé. Par contre, je rémunère mes employés, modestement, mais cela représente tout de même quatre salaires et demi.»
Hormis la location ou l’achat d’un terrain, ou plus souvent d’une exploitation dans son ensemble (voir l’encadré ci-contre), les premiers frais sont assez importants. «J’ai déjà investi 70 000 francs dans le matériel, les semences, les traitements, etc.», relève le jeune maraîcher. Pour limiter les frais, les bonnes affaires et une certaine débrouillardise sont de mise (voir l’encadré ci-dessous).

Des compétences théoriques

On ne cultive, récolte, lave et prépare pas 2 tonnes de carottes comme dans son jardin! «Nos cours et nos fiches abordent la question des variétés, les problématiques phyto, les techniques de compostage, les plantes de service ou la biodiversité fonctionnelle. En agriculture biologique, agir préventivement permet de limiter les moyens techniques et humains», souligne Flore Lebleu, collaboratrice au FiBL.
À Rovéréaz, des bandes fleuries poussent entre choux, poireaux et maïs doux. «En vente directe, l’assortiment doit être varié, se félicite Gilles Berger. Cela me permet de limiter les risques, mais complique aussi la gestion des rotations et des quantités.» Des notions qui s’affinent avec la pratique et les années.
+ d’infos www.rovereaz.ch, www.fibl.org, www.remisedeferme.ch


Quatre secteurs importants pour commencer une activité agricole

Le matériel
Difficile de faire du maraîchage sans tunnel. Les arceaux de celui de Rovéréaz sont de deuxième main. Ils ont été démontés dans une autre exploitation et réinstallés sur place par l’équipe, pour des questions d’économie. Le système d’aspersion et les tuyaux d’irrigation sont eux aussi d’occasion. Ce qui ne facilite pas toujours leur utilisation. Il a également fallu s’équiper d’une chambre froide de stockage.

La mécanisation
Indispensable pour rationaliser le travail, elle représente un important investissement et nécessite des talents de bricoleur. Gilles Berger a principalement acquis des machines d’occasion qu’il a remises en état ou adaptées. «En bio, le désherbage est un challenge. Je bricole mes machines pour pouvoir sarcler au plus près de la ligne. Mais le lavage des légumes exige aussi un équipement spécifique.»

La main-d’œuvre
«Pas facile de trouver des gens qualifiés, motivés à travailler près de 50 heures par semaine en pleine saison, pour un salaire somme toute bien modeste.» Pourtant, il faut savoir s’entourer et déléguer certaines tâches pour ne pas s’épuiser. Le recours à des bénévoles ou à des stagiaires peut être une solution. D’autant que la charge de travail est inégalement répartie sur l’année.

Les débouchés
Produire, c’est bien, mais pour en vivre, il faut vendre. Avant de lancer sa première saison de culture, Gilles Berger avait signé quelques contrats avec des épiceries en circuit court, un restaurant et une coopération d’agriculture contractuelle de proximité. «Le système de paniers est idéal pour débuter. On sait combien on plante, on distribue ce qu’il y a. Et selon les systèmes on est aussi payé d’avance.»

Texte(s): Marjorie Born
Photo(s): François Wavre

Bon à savoir

Si l’on souhaite acquérir une exploitation, il existe trois options: l’affermage ou location des terres et/ou des bâtiments; l’achat de l’ensemble du domaine ou que des terres ou que des bâtiments; l’achat des bâtiments en droit de superficie avec affermage conjoint des terres. Dans un achat extrafamilial, c’est la valeur vénale (deux à quatre fois supérieure à la valeur de rendement) qui fait foi. L’acquéreur est limité par la charge maximale d’endettement: les banques ne prêtent qu’à hauteur de 135% de la valeur de rendement. Un dépassement de cette charge maximale peut être autorisé par le Service de l’agriculture cantonal si la viabilité financière est assurée. Le solde doit être couvert par des fonds propres ou des aides structurelles: crédits cantonaux, cautionnement, aide initiale fédérale jusqu’à 35 ans, financement participatif, avancement d’hoirie ou retrait du 3e pilier.