Les tubes de l’été 4/4
Sans Cenovis, les Suisses n’en auraient pas fait une telle tartine

La Suisse, c’est le chocolat, les banques, les montres, mais encore... les aliments en tube. Car dans ce domaine, nous avons aussi été des précurseurs. Zoom sur ces produits devenus emblématiques.

Sans Cenovis, les Suisses n’en auraient pas fait une telle tartine

C’est une histoire de blonde. Dans les années vingt du siècle dernier, un brasseur allemand parvient à supprimer l’amertume des levures de bière. Cette technique donne des idées à un groupe d’industriels de la région de Bâle. Après avoir acheté ce procédé de traitement des levures, ils en font une pâte à tartiner, en y ajoutant du sel et des extraits de légumes. Le Cenovis, tel que nous le connaissons, voit ainsi le jour en 1931. Si les détails de cette préparation demeurent top secret, la formule, qui gagne très vite les faveurs du consommateur, est toujours restée la même. À ses débuts, le Cenovis s’invite sur la table d’une Suisse touchée par la récession. Dans les années trente, la population n’a pas de la viande tous les jours sur la table. La Confédération surveille de près l’approvisionnement du pays en produits laitiers. La pomme de terre est reine dans le panier de la ménagère.

Dans la besace du soldat
Dès lors, pas étonnant que le Cenovis séduise rapidement la population en mal de goûts relevée. Cette pâte à la fois douce et amère, à la saveur inimitable d’un concentré de bouillon présente également un autre avantage: elle est riche en vitamine B1. De quoi offrir à cette pâte à tartiner une carrière militaire. Très vite, le Cenovis devient l’amie du soldat. En 1955, le Cenovis se glisse même dans la ration de secours des écoles de recrue et des cours de répétition.
Avec le développement rapide l’industrie agro-alimentaire, le Cenovis perd de son attractivité, concurrencé par toute une gamme de produits qui lui disputent sa présence au petit-déjeuner: confitures industrielles et céréales de toutes sortes font leur entrée sur les rayons des nouveaux supermarchés. Le Cenovis ne disparaît pas complètement, mais il est cantonné aux tartines de goûters d’anniversaire. La Suisse romande lui fera plus longtemps la fête qu’en Suisse alémanique, où il finit carrément par être oublié.
Il faudra le souvenir d’enfance de Michel Yagchi, banquier suisse d’origine irakienne, pour lui redonner des couleurs. Cenovis lui rappelait son séjour en pension à Château-d’Œx. Ce financier rachète la marque en 1999. En 2008, après avoir subi des années de cure de jouvence, elle repasse en mains alémaniques. C’est désormais Sonaris, une société basée à Arisdorf (BL), qui assure la production de l’indétrônable Cenovis.


La pâte revient de loin
Dès les années septante, le Cenovis se vend de moins en moins bien, au risque de la disparition de la production. Le rachat en 1999 de la marque par le financier genevois Michel Yagchi s’accompagne d’une campagne publicitaire de grande ampleur. Entre 2000 et 2001, le chiffre d’affaires de l’entreprise augmente de près de 50%. Le déplacement de la production dans la Cité de Calvin contribuera notamment à entretenir la nostalgie et l’habitude de ce produit en Suisse romande. Aujourd’hui, le Cenovis est vendu dans toutes les chaînes de distribution suisse et aussi dans certaines épiceries et d’autres magasins, mais pas systématiquement.


Latin de cuisine
Le terme Cenovis dériverait, selon la version officielle, de la fusion des mots latins cena, cenae (repas) et vis, roboris (force) et signifierait approximativement: aliment fortifiant.


Aussi en condiment
En version liquide ou en poudre, le Cenovis est employé comme condiment dans des préparations culinaires variées. Dans sa version liquide, du condiment au soja est rajouté aux ingrédients de base. Le Cenovis en poudre est composé quant à lui de sel marin de geyser d’Islande iodé, levure en poudre, amidon modifié, extrait de levures, légumes, graisse végétale hydrogénée, épices, anti-agglomérant (E 551).


Comment ça se mange
Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, le Cenovis se consomme de préférence sur une tartine beurrée au petit-déjeuner. Il est aussi d’usage de l’ajouter aux potages et aux sauces, pour l’assaisonnement des salades ou bien pour raviver la saveur des sandwiches. Considéré comme un produit sain, il est conseillé par certains organismes suisses de protection de la santé.


Le sel en question
Bien entendu, le Cenovis aura été examinée sous toutes les coutures par les nutritionnistes. Ceux-ci n’auront pas manqué de relever un taux de sel élevé: 7 à 9% de NaCI, ce qui n’est pas rien. La pâte à tartiner rentrerait ainsi dans la catégorie de produits peu conseillés pour la tension. Bon, bon… Mais le Cenovis a plus d’un tour dans son sac. La pâte à tartiner est désormais aussi proposée à base de sel marin, qui contient 60% de moins de sodium que le sel de cuisine. Et si vraiment, il existe même un Cenovis sans la moindre trace de NaCI.

Texte(s): Nicolas Verdan
Photo(s): DR