De saison
Retour en grâce de la crème double

Elle est la complice de la fraise, qu’elle nappe merveilleusement bien. La crème double commence sa saison en étant la star d’un festival, une occasion de goûter à celle de Pringy (FR).

Retour en grâce de la crème double

S’il y a bien un délice dans lequel on peut céder à la tentation d’y tremper un doigt sans hésiter, c’est bien celui-là. La crème double, onctueuse et consistante, est l’une des spécialités fribourgeoises restées jusque-là dans l’ombre du gruyère, du vacherin et de la cuchaule. Pourtant, elle fait la renommée du canton de Fribourg, à tel point qu’un festival lui sera entièrement consacré, ce week-end dans la cité médiévale de Gruyères.

À déguster en terrasse, accompagnée de meringues, de fraises, et pourquoi pas d’une boule de glace vanille, ce mets ravit les papilles depuis des décennies. Il a fallu toutefois attendre le XIXe siècle pour que des écrits évoquent la renommée de la fameuse crème de Gruyère, racontent les historiens. Servie traditionnellement dans un baquet en bois à l’aide d’une cuillère également en bois sculpté, ce produit, figurant aussi sur la recette des macaronis du chalet, n’est pour l’heure protégé par aucun label. Aujourd’hui, pour revendiquer le titre de crème double, il suffit de proposer une crème épaisse avec au minimum 45% de matières grasses. La crème double de Gruyère doit quant à elle être faite uniquement avec du lait de cette région.

L’aide de la force centrifuge
Dans les gobelets de Jacques Écoffey, fromager à la Maison du Gruyère de Pringy, ce taux dépasse les 50%, allant même jusqu’à 54% en juin et juillet. Pour obtenir de tels pourcentages, l’artisan peut compter sur le lait de vaches pâturant dans des prés de la région à plus de 800 mètres d’altitude. Autrefois, la crème la plus concentrée, celle affleurant le lait ayant reposé toute une nuit dans une grande cuve, était prélevée sur les alpages à la main. Aujourd’hui, les fromagers utilisent pour la plupart une centrifugeuse pour effectuer ce travail minutieux. «Le lait, amené par le producteur encore quelques minutes plus tôt, y est brassé à 9000 tours par minute, explique Jacques Écoffey. La crème, plus légère que le lait, est extraite du centre de la machine, par le haut et s’écoule dans une cuve.»

Chaque fois qu’il en fabrique, l’artisan la déguste, pour vérifier sa tenue et surtout son goût, à la fois léger et doux. «L’été dernier, elle était particulière, un peu acide, se souvient le maître fromager. J’ai démonté les tuyaux de ma centrifugeuse pour voir s’il y avait un problème, mais je n’ai rien trouvé. En fait, cela venait de la luzerne donnée aux vaches après la canicule, à cause du manque de fourrage. Comme le beurre, ce produit est très influencé par le régime alimentaire des bêtes.»

Épaissie par le froid
Une fois l’écrémage terminé, Jacques Écoffey vérifie la teneur en matières grasses des 91 litres de crème double du jour, la standardisant ensuite au taux voulu, l’assouplissant en y ajoutant du lait maigre au besoin. Puis la belle masse écrue est pasteurisée non loin des cuves où l’on fabrique les meules de gruyère, une opération longue. Il faut alors plus de quarante minutes pour qu’elle passe de 26 à 75 degrés afin d’éliminer les bactéries indésirables, avant d’être refroidie à 20 degrés.
Ce n’est qu’ensuite que le précieux liquide est mis au froid. Le choc thermique dynamise alors les cristaux de gras afin qu’ils s’organisent pour offrir la texture souhaitée par le fromager. «La crème doit ensuite reposer un jour et demi avant d’être dégustée», ajoute Jacques Écoffey. Il fabriquera donc ce jeudi la crème double qui pourrait accompagner la plus longue meringue du monde, le but étant de façonner un biscuit de 100 mètres de long dans le cadre du premier festival consacré à ce délice régional samedi. Dix mets à base de ce précieux produit pourront y être dégustés.
Cette spécialité, que l’on ne trouve que dans le canton de Fribourg, est intimement liée à la fabrication d’une autre spécialité régionale, le gruyère, un fromage classé dans la catégorie des pâtes dures grasses. Une précision qui a toute son importance. «Dans le lait entier, il y a environ 4% de matières grasses, alors qu’il n’en faut que 3,5% pour la fabrication du gruyère, détaille Jacques Écoffey. S’il y en a plus, il sera mis dans la catégorie des fromages à la crème.»

Cet été, le marché de la crème double, vivant actuellement un vrai retour en grâce, sera étudié de près, conclut Romain Castella, gérant de l’Association des produits du terroir du Pays de Fribourg chargé de son dossier AOP. Un groupe de travail sera aussi créé afin de demander, à terme, une protection pour la crème double.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Mathieu Rod

Bon à savoir

Moitié-moitié de gras
Les premières traces de l’utilisation de crème de la Gruyère remontent au XIIIe siècle. Elle est intimement liée à la production de fromage, de gruyère en particulier, qui se fait à partir de lait partiellement écrémé. Aucun texte ne fait cependant mention de la fameuse réputation de la crème jusqu’au XIXe siècle. Elle peut être estampillée «double» si elle contient au minimum 45% de matières grasses. L’originale, la gruérienne, en contient jusqu’à 50%, un beau score quand on sait que le beurre en renferme 82%. C’est d’ailleurs sa composition qui lui assure son maintien parfait sur une meringue, elle qui ne supporte pas d’être fouettée ni upérisée. En UHT, la crème est plus liquide et doit alors être épaissie, ce qui en change légèrement le goût, mais est toléré.

Plus d'infos

Le 1er Festival de la crème double a lieu les 4 et 5 juin à Gruyères.
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