Point fort
Et si la Suisse favorisait l’économie circulaire?

Visant à lutter contre le gaspillage, une loi en faveur d’un droit de réparation des objets est discutée en Suisse. À Berne, une coalition vient de se former pour soutenir la démarche et faire pression sur la distribution.

Et si la Suisse favorisait l’économie circulaire?

Chaque année, les Suisses produisent en moyenne 23 kg de déchets électroniques par personne, ce qui fait de notre pays le troisième plus gros pollueur au monde dans ce domaine, selon Greenpeace. Pourtant, d’après une enquête d’opinion effectuée l’année passée par la même organisation, une grande majorité de la population est disposée à réparer ou à faire réviser ses biens défectueux, tels que des appareils ménagers ou des smartphones, mais se heurte à divers obstacles, comme le coût élevé du service ou l’indisponibilité des pièces de rechange. «C’est dommage, car prolonger la durée d’utilisation de nos objets du quotidien contribue grandement à diminuer les émissions de gaz à effet de serre, affirme Joëlle Hérin, experte en consommation et économie circulaire chez Greenpeace. Il est urgent de mettre fin à ce gaspillage inutile et de sortir de ce système de consommation où tout est constamment remplacé par du neuf.» Mais, pour l’heure, notre pays est à la traîne en comparaison de l’Union européenne. Cette dernière a adopté en 2020 un plan d’action pour l’économie circulaire prévoyant un droit à la réparation. Ainsi, depuis l’an passé, les fabricants de certains appareils sont tenus de mettre à disposition des pièces de rechange ainsi que des outils et informations facilitant les réparations pendant une période de dix ans. Si la Suisse a repris cette mesure pour six groupes de produits – dont les frigos, lave-linges, écrans et luminaires –, peu de détaillants l’appliquent dans les faits. «La plupart ne sont même pas au courant de ce nouveau règlement», regrette la spécialiste.

Un texte pas assez ambitieux
Mais tout n’est pas perdu. Une révision de la loi sur la protection de l’environnement portant sur la thématique de l’économie circulaire – dont l’avant-projet a été publié l’année dernière – est en effet en discussion au Conseil national et pourrait aboutir au plus tôt cet hiver, au plus tard lors de la session d’été 2024. En parallèle, plusieurs organisations suisses font campagne afin que le Parlement adopte un texte plus ambitieux. Quatorze d’entre elles, telles que la Fédération romande des consommateurs, Greenpeace, Circular Economy Switzerland, swisscleantech et Pro Natura, se sont même rassemblées au sein d’une coalition baptisée «Longue vie à nos objets!», lundi passé. «Actuellement, le texte manque d’objectifs chiffrés en matière de préservation des ressources, d’incitations au réemploi et de mécanismes de contrôle. Nous militons pour que la notion de «droit à la réparation» soit inscrite noir sur blanc. Cela n’est pas encore le cas, ce qui laisse une trop grande place au recyclage, plus gourmand en énergie. De plus, rien n’est prévu pour limiter la destruction des invendus. Il est important de dialoguer avec les acteurs économiques et de communiquer auprès du grand public sur ces sujets», expose Joëlle Hérin. En avril dernier, Greenpeace avait également remis une pétition pour un droit à la réparation signée par 17’383 citoyens.

De nouveaux modèles d’affaires
Mais comment encourager une culture du réparable? La plupart des biens mis en vente étant fabriqués à l’étranger, les distributeurs – en particulier les grands groupes –, ont un rôle majeur à jouer, estime Greenpeace. «En choisissant de vendre uniquement des produits respectant des exigences dites d’écoconception, ces entreprises ont le pouvoir de prémunir les utilisateurs contre l’obsolescence programmée.» De nouvelles offres qui ne seraient pas basées sur les marges découlant de la vente de produits neufs pourraient aussi voir le jour, afin de construire un modèle d’affaires viable. Parmi celles-ci, on peut citer la remise en vente de produits reconditionnés ou la location de biens. «À terme, la commercialisation de services pourrait même remplacer le produit lui-même. Par exemple, le consommateur payerait pour un certain nombre de cycles de lavage d’une machine à laver, et non pour l’appareil. Ainsi l’enseigne aurait intérêt à fournir un produit de qualité», expose la spécialiste. Chez nos voisins, d’autres mesures ont déjà été mises en place. En France, un indice de réparabilité doit être indiqué sur plusieurs produits – dont les smartphones et les aspirateurs –, depuis 2021. L’Autriche rembourse aux consommateurs la moitié des coûts de réparation ou de devis, pour un montant jusqu’à 200 euros par appareil. Enfin, en plus de l’existence d’un droit de garantie dans l’Union européenne, un règlement prometteur sur l’écoconception des smartphones et tablettes pourrait bientôt entrer en vigueur. Des décisions pionnières qui essaimeront peut-être un jour sur nos étals.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Flurin Bertschinger

Succès à la clé

Actuellement, 76% des Suisses disent faire appel à des réparateurs professionnels, selon une enquête de Greenpeace. À Eysins (VD), l’Écrou – étonnant centre de réparation d’objets usés, mais pas fichus – constate une hausse de la demande depuis son lancement en 2019, avec un taux de succès d’environ 75%, majoritairement sur des appareils électroniques. Depuis bientôt dix ans, les repair cafés se sont également multipliés dans le pays. Initiés par la Fédération romande des consommateurs, ces événements ponctuels permettent aux consommateurs d’apprendre à réparer eux-mêmes leurs objets, à moindre coût.

Pour un droit de garantie élargi

En Suisse, la garantie légale est de deux ans pour les objets neufs. Dans ce laps de temps, le client peut demander une baisse de prix, un échange, voire un remboursement en cas de défaut important. En revanche, la réparation n’est pas proposée. Dans les cas où le client la souhaite, la procédure s’avère compliquée, a constaté la Fédération romande des consommateurs (FRC) à la suite d’une enquête publiée le mois dernier. «Parmi les grandes enseignes, seules Migros et Coop acceptent cette option, à raison d’au moins deux semaines d’attente. Dans les autres magasins, l’appareil a été automatiquement remplacé par un neuf, car plus rentable. Ce fonctionnement n’est pas du tout incitatif», regrette Laurianne Altwegg, responsable environnement, agriculture et énergie à la FRC, qui informe qu’un tel règlement existe au sein de l’Union européenne. «Même si le vendeur peut refuser la réparation, le consommateur est en droit de la demander, ce qui a pour mérite d’ouvrir la réflexion autour de l’économie circulaire.» Pour s’aligner sur ces pratiques, l’organisation vient de déposer une initiative parlementaire en ce sens au Conseil national.