Elevage
Reine du pré et des teneurs, la jersey est un choix du cœur et de la raison

Deuxième race laitière du monde, championne incontestée en termes de qualité du lait, la jersey peine à convaincre en Suisse. Les éleveurs qui en ont fait le choix ne tarissent pourtant pas d’éloges sur cette petite vache.

Reine du pré et des teneurs, la jersey est un choix du cœur et de la raison

Avec ses 3 millions de vaches en lactation, la race jersiaise est la deuxième race laitière du monde. Mais en Suisse, sur les 450 000 vaches que compte le cheptel bovin, on ne comptabilise actuellement que 3000 femelles jersiaises en lactation. La petite vache originaire des îles anglo-normandes se classe loin derrière la brune, la tachetée rouge et la holstein. Ses effectifs ont cependant rapidement augmenté ces dernières années, le nombre total de jerseys passant de 7500 têtes en 2007 à plus de 10 500 en 2014. Si l’essor de cette race est assez récent en Suisse allemande – de nombreux producteurs de lait ont opté pour elle lors de la dernière mise aux normes des bâtiments agricoles plutôt que de reconstruire une nouvelle stabulation –, cela fait déjà plus d’une quinzaine d’années que la jersey a convaincu de nombreux éleveurs romands.
Au Sépey (VD), les Chablaix ont été parmi les premiers éleveurs à importer de la génétique d’Amérique du Nord il y a près de vingt ans. Fin des années nonante, Blaise Chablaix choisit de troquer ses montbéliardes pour un troupeau laitier mixte composé aux deux tiers de jerseys. «Au départ j’y voyais un intérêt technique: le lait de la jersey, particulièrement riche, était intéressant pour nous qui le transformons en fromage l’été à l’alpage. Et puis, petit à petit, nous avons vendu de nombreuses bêtes de garde dans tout le pays, nous permettant ainsi de tirer un revenu complémentaire non négligeable.»

Son lait, son atout
Aujourd’hui, même si la proportion de jerseys a diminué au sein de leur troupeau comptant 43 vaches, les éleveurs ormonans restent plus que jamais attachés à leurs petites vaches à la robe fauve. «C’est à la fois un choix de la raison et du cœur, résume Diane Chablaix, qui exploite avec son père et son frère le domaine familial de 60 hectares. Nous aimons cette race, son esthétique, son caractère. Sa rusticité et ses qualités laitières correspondent toujours à notre stratégie d’exploitation, d’autant plus que nous fabriquons du fromage désormais également l’hiver.» Plus de 5% de matière grasse, quasi 4% de protéines: son lait est particulièrement riche en matière utile. C’est d’ailleurs là que réside l’argument principal dans la décision que prennent les éleveurs d’opter pour cette race. «On estime qu’on a un rendement fromager de 25% supérieur à un lait standard», poursuit Diane Chablaix. Et ce qui coagule en plus dans la chaudière, on le retrouve également dans le porte-monnaie.
«Je gagne 15 centimes de plus par kilo de lait, grâce aux teneurs», affirme Michel Guex. Cet éleveur fribourgeois établi à Matran produit du lait d’industrie avec un troupeau 100% jersey. Sa centaine de laitières produisent environ 600 000 litres de lait à l’année, tout en pratiquant la pâture intégrale et le vêlage saisonné. «C’est la meilleure race pour tirer parti de l’herbe, affirme-t-il. Rustiques, maniables, les jerseys sont idéales pour valoriser des parcs. Grâce à leur légèreté, elles causent bien moins de dégâts aux pâtures humides.» Même son de cloche chez Christophe Viret, à Gollion (VD), qui a franchi le pas en 2008, avec l’acquisition de 45 vaches. «Située au pied du Jura, mon exploitation est fréquemment exposée à la sécheresse. À la différence des vaches hautes productrices, la jersey résiste bien au changement de qualité des fourrages, et remonte vite en lait si l’herbe vient à manquer. Dans mon cas, le choix de cette race est un facteur qui réduit le risque lié au contexte pédoclimatique de ma ferme.»
De l’avis général, les jerseys sont de redoutables machines à tondre, ne laissant que peu, voire pas de refus, et s’adaptant aussi bien aux prés gras de la plaine qu’aux pâturages plus difficiles des alpages «On les envoie sans scrupule brouter dans les couloirs d’avalanche, où l’on n’oserait pas mettre des holsteins», signale Blaise Chablaix.

Une vache économique
La vache se laisse également apprécier à l’étable: «Je n’ai pas de problèmes de fécondité, ni de vêlages difficiles ou de boiteries. Mes vaches me permettent de couler mes 200 000 kg de lait en limitant clairement mes frais», résume Christophe Viret. Depuis l’an dernier, le Vaudois a opté pour un robot de traite. «Elles s’y sont plus vite adaptées que moi!» Des vaches dociles et faciles: le constat est partagé par Alfred Hoffmann. L’exploitant de Cossonay (VD) a changé de race depuis qu’il a investi dans un robot de traite. «Auparavant, j’avais des browns suisses qui n’ont jamais réussi à s’y adapter. Avec les jerseys, tout est nettement plus facile.» Mais alors pourquoi, malgré toutes ces qualités, la jersey ne progresse-t-elle pas en Suisse? Sa productivité laitière, qui dépasse difficilement les 7000 kg, rebute bien des producteurs, désormais habitués aux résultats à cinq chiffres. «C’est regrettable, affirme Christophe Viret. La jersey est plus efficace qu’une holstein à utiliser l’énergie pour produire du lait, et surtout elle fabrique de la matière utile.»

Sa viande, sa faiblesse
De l’avis général, le principal point faible dans l’élevage de jerseys, c’est la faible valorisation des carcasses. «Ce n’est pas une race à viande», admettent les Chablaix, qui reconnaissent avoir longtemps perdu de l’argent avec les veaux mâles. La généralisation des semences sexées a en partie réglé ce problème. Et désormais, comme la plupart des éleveurs de jerseys en Romandie, Diane et son père sélectionnent quelques lignées laitières et croisent le reste de leurs femelles avec des taureaux de race blanc bleu belge. «Les veaux croisés offrent un bon potentiel de valorisation, on en tire un bon revenu», observe Dominique Decrausaz, à Vuiteboeuf (VD), qui livre 360 000 kg de lait à la fromagerie villageoise. Parmi les quarante vaches qu’il élève, quatorze sont des jerseys. «Aujourd’hui, avec les restrictions sur le gruyère AOP, ce n’est plus avec la quantité de lait, mais avec les teneurs qu’on peut espérer obtenir un meilleur revenu. Et là, la jersey fait tout son sens.» Avec la matière utile supplémentaire que ses jerseys produisent, Dominique Decrausaz a amélioré sa paie du lait de 5 à 6 centimes par kilo. «Si je devais reconstruire un bâtiment, je le ferais uniquement pour des jerseys. En plus de leurs qualités laitières, ce sont des vaches éminemment sympathiques. Et aujourd’hui, avoir du plaisir à travailler, ça n’a pas de prix!»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

En chiffres

La jersey en Suisse, c’est:
3080 vaches en lactation.
10 000 vaches inscrites à la BDTA, dont plus de 7000 femelles.
800 détenteurs, dont 400 inscrits au Club de la race jersey.
Moyenne laitière de 5600 kg de lait par an, avec 6% de matière grasse et 4,2% de protéines.

+D’infos www.jersey.ch

Elle fournissait le lait à bord des bateaux

La jersey est originaire des îles anglo-normandes, dont celle de Jersey, situées dans la Manche. Cette vache doit sa petite taille – 1 m 23 au garrot en moyenne pour un poids de 400 kg – aux conditions climatiques difficiles ainsi qu’à la pauvreté nutritivejersey diane chablaix des herbages salés des îles. Mais elle est tout de même la deuxième race laitière du monde! Un succès bâti sur la richesse de son lait, dont la qualité fromagère est reconnue, ainsi que sur sa longévité et sa rusticité. Aux États-Unis, où la sélection a davantage été axée sur la productivité, la jersey donne plus de 7451 kg de lait à 4,62% de matière grasse (MG) et 3,60% de protéines, alors qu’au Danemark, sa production est de 6603 kg de lait à 5,85% de MG et 4,01% de protéines. La jersey se caractérise par une grande pureté raciale conservée grâce à des restrictions en matière d’importation de bétail sur les îles dont elle est issue et à une sélection poussée. Dès le XVIe siècle, les émigrants quittant Jersey ont popularisé cette race en emmenant des vaches pour fournir du lait à bord des bateaux.