Décryptage
Reine des cultures fourragères, la luzerne a tout pour plaire

Productive, riche en protéines, résistante au sec, la luzerne s’impose progressivement dans les campagnes romandes. Reportage à Nods (BE), où l’on apprécie ses qualités au champ et dans la ration du bétail.

Reine des cultures fourragères, la luzerne a tout pour plaire

Sur le plateau de Diesse, à quelques pas de sa ferme située au pied du Chasseral, Thierry Droz observe sa luzerne en pleine repousse. La première récolte, effectuée début mai, est au séchoir. «La deuxième coupe aura lieu vers la fin juin», prévoit l’agriculteur qui exploite un domaine d’une cinquantaine d’hectares à Nods (BE), à 900 mètres d’altitude. D’ici l’automne, il effectuera au total quatre, voire cinq coupes si le temps le permet. De quoi remplir les réserves fourragères promises à ses 35 vaches laitières, dont le lait est destiné à la transformation fromagère.

Un pilier du succès
Le choix de la luzerne en guise de fourrage pour son bétail, le Bernois l’a fait il y a plus de dix ans. «Nous en avons petit à petit augmenté la surface, prenant conscience de ses avantages», relate l’agriculteur, qui consacre 6 hectares de son assolement à cette légumineuse. Celle-ci représente désormais le tiers de la ration hivernale de ses bêtes. «Elle constitue la base de ma réussite, tant en termes de production laitière qu’au niveau agronomique.»

De fait, la luzerne est une des plantes fourragères les plus productives. «Elle génère plus de 15 tonnes de matières sèches par hectare en conditions de plaine», précise Gérald Huber, conseiller agricole auprès de l’organisme vaudois Proconseil. Et si sa valeur énergétique est médiocre, elle demeure la plus généreuse en termes de protéines à l’hectare: jusqu’à 2,5 tonnes contre 0,8tonne pour le soja. «Avec des taux de matières azotées excédant 20%, elle nous permet de nous affranchir des aliments protéiques du commerce», confirme Thierry Droz.

À l’auge, les avantages de cette légumineuse sont nombreux. «Elle a une double fonction pour nos vaches: les feuilles, qui concentrent les protéines, viennent soutenir la productivité laitière. Quant à la tige, riche en lignine, elle va piquer le rumen et inciter la rumination.» Outre son côté nutritif, la luzerne peut donc ainsi donc être considérée comme un aliment santé (voir encadré ci-dessous). «Depuis que nous l’avons introduite dans la ration de nos vaches, notre facture vétérinaire a diminué de façon conséquente.»

Bon pour la santé
Du côté agronomique, la luzerne ne manque pas d’atouts. «Les légumineuses fixent l’azote de l’air, rappelle Gérald Huber. La luzerne s’avère donc un excellent précédent pour les céréales, a fortiori pour les exploitations bios.» Chez Thierry Droz, elle est semée en direct, dans des terres meubles riches en matières organiques: «Une luzernière est en place pour quatre années. En outre, je prends garde à attendre au moins huit ans avant d’en semer au même endroit.» Une fois en place, elle se contente de peu. «De la potasse et de la chaux pour corriger le pH du sol, que la luzerne apprécie alcalin», détaille le conseiller.

Productive, rustique et peu exigeante, la luzerne demande par contre beaucoup de minutie à la récolte. «La fauche est éminemment stratégique, résume Thierry Droz. Tardive, pendant ou après la floraison, elle fournira un aliment trop grossier qui perdra en valeur nutritive.» Le transport du fourrage sec nécessite aussi des précautions. «Toute la protéine est dans les feuilles! Il faut donc être réactif et rentrer la récolte avant que celles-ci ne cassent, faute d’humidité.» Pour manipuler la luzerne avec un maximum de soin, l’exploitant bernois a d’ailleurs acquis l’an dernier un andaineur à tapis. «L’investissement en vaut la peine, assure-t-il. Le fourrage rentré au séchoir est de meilleure qualité.» S’il est techniquement possible de se passer d’un séchoir en grange, l’opération n’en est pas moins délicate. «Les feuilles sèchent plus vite que la tige, met en garde Gérald Huber. Par contre, l’ensilage est une bonne option dans les régions au climat changeant, notamment en début et en fin de saison.»

Un regain d’intérêt
Enfin, et l’avantage n’est pas des moindres, cette plante fourragère se révèle intéressante au niveau économique. «Une fois mise en place, généralement en fin d’été, la luzernière sera productive pendant trois à quatre ans et fournira 20 décitonnes de fourrage par hectare et par année, sans autres coûts que ceux liés aux chantiers de récolte», résume Thierry Droz. Ce n’est donc pas par hasard que cette ancienne plante légumineuse fourragère, présente partout dans le monde avec 30 millions d’hectares – largement devant le maïs d’ensilage – connaît un regain d’intérêt en Suisse aussi. «On l’a trop longtemps abandonnée, regrette Gérald Huber. C’est pourtant une culture qui répond aux enjeux environnementaux et économiques auxquels l’agriculture doit faire face aujourd’hui.»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Filet de sécurité

À la différence de sa cousine méditerranéenne, la luzerne de type flamand utilisée sous nos latitudes affiche un repos marqué en hiver, mais s’avère très résistante au froid (on la cultive jusqu’à 1800 mètres d’altitude). Et grâce à sa puissante racine pivotante, sa capacité d’endurer chaleur et sécheresse est également impressionnante. «Dans le contexte du réchauffement climatique, la luzerne est une plante qui tire son épingle du jeu, observe Gérald Huber. Elle se révèle dès lors un intéressant filet de sécurité d’un point de vue fourrager.»

Questions à...

Lucienne Gaillard, conseillère en production animale auprès de l’organisme vaudois Proconseil S. à r.l.

Quel est l’intérêt de la luzerne dans la ration des vaches laitières?
C’est un fourrage grossier et fibreux qui, au contraire de la paille par exemple, présente une très bonne valeur nutritive. La luzerne est connue pour sa teneur en protéines, mais ses taux de calcium, bêta-carotènes, oméga 3, vitamines et oligoéléments sont également loin d’être négligeables. Par ailleurs, elle a un effet tampon dans la panse des ruminants en y maintenant un pH suffisamment élevé. En ce sens, elle complémente parfaitement le maïs dans la ration.

Sous quelle forme la distribuer à ses animaux?
Ensilée, séchée, en bouchons… tout est bon à prendre, mais cela dépend des objectifs de production! Les bouchons et l’ensilage permettront généralement d’obtenir des teneurs en protéines plus élevées alors que le foin de luzerne, plus ligneux, fera davantage saliver les animaux. Globalement, la luzerne peut s’avérer une aide précieuse pour améliorer la santé et la longévité de l’animal, et participer à régler certains problèmes de fertilité.

+ D’infos Cours en ligne disponible sur https://www.prometerre.ch/grandes-cultures-2020