De saison
Quoi, des palmiers enracinés dans la neige sur La Côte?

Vous avez bien lu: le chou palmier ou nero di Toscana est cette bizarrerie faussement exotique qui adore le froid. La preuve à Ballens (VD), où il s’est merveilleusement acclimaté.

Quoi, des palmiers enracinés dans la neige sur La Côte?

Avis de grand froid sur les contreforts du Jura vaudois. On se gèle les pattes pour entamer un safari dans les neiges et parvenir jusqu’aux seules taches colorées dans le décor immaculé du pied du Jura. Des taches? Plutôt une alternance de lignes de couleurs différentes: rouge violacé, vert bleuté, vert sombre. En approchant, on reconnaît d’abord des silhouettes hirsutes, rebelles, aux feuilles chiffonnées, rouges et vertes: celles du kale ou chou plume, tocade de la dernière décennie. Derrière cette envolée de plumes se dresse une étrange forêt de choux palmiers, une minipalmeraie aux troncs fièrement dressés dans la neige, dominant le tout d’une cinquantaine de centimètres.

De longues feuilles gaufrées d’un vert bleuté surgissent du tronc, avec une régularité et une esthétique qui le font vraiment ressembler à quelque dattier égaré sur la banquise. L’origine du chou palmier, dit aussi chou noir de Toscane ou corne de cerf, n’a pourtant pas grand-chose d’exotique, puisqu’il est commun à une bonne partie de l’Europe.

Il résiste aux frimas
Nous sommes au domaine des Biolettes, à Ballens, 700 mètres d’altitude et un froid polaire. Gilles Roch cultive ces élégantes brassicacées depuis qu’il est présent sur les marchés, soit plus de quinze ans: «Entre le rouge, le vert et le noir, ça ajoute de la variété et les consommateurs se sont mis à l’apprécier. On a plus que doublé la surface de choux palmiers pour en produire quelque 2000 mètres carrés cette année. Il n’a pas bénéficié du même effet de mode que le kale, mais on peut néanmoins lui trouver une saveur plus délicate et moins soufrée.»

Le maraîcher détache à la main, entre deux doigts, en partant du haut de la plante les plus belles feuilles pour les déposer dans une cagette destinée au marché du jour. C’est en septembre que ce chou est le plus beau, précise le producteur vaudois: «Magnifique avec sa végétation brillante qui peut s’élever à plus d’un mètre de hauteur.» Mais là, à l’heure de notre visite, les chutes de neige répétées ont contribué à enfoncer les plantes et à les ratatiner: elles ont pourtant tenu tête à la couche blanche de 20 centimètres et se redressent après chaque coup de froid. A contrario, précise Gilles Roch, il faut savoir que le gel contribue à bonifier ces choux: «Le froid l’attendrit et rend ses feuilles plus savoureuses», l’amidon se transformant en sucre.

Pas compliqué à vivre
Qu’en est-il de la culture de cette brassicacée? «Plutôt rustique, solide et peu compliqué, comme la plupart de ses cousins, il est gourmand d’éléments fertilisants, compost et autre fumier qu’on peut apporter au champ avant la culture. Au préalable, il faut aussi désherber, puis à nouveau dès que les plantons ont repris, voire une seconde fois, et arroser la palmeraie si nécessaire», explique Gilles Roch. Il va en planter deux séries afin de faire durer la saison, en principe à fin mai et début juillet. Et la croissance est plutôt rapide: on peut commencer à récolter les feuilles dès septembre. En fin de cycle, au printemps, le champ se parsème enfin de petites fleurs jaunes qui pourraient le faire passer pour du colza, cette autre brassicacée. Les ennemis de ce costaud? «La mouche blanche, qui peut éventuellement se combattre en mode bio à l’aide d’une solution de pyrèthre en cas d’invasion, voire les pucerons», précise le maraîcher.

Facile à cuisiner
Et en cuisine, alors? «Il a un goût très particulier, rien à voir avec d’autres choux», estime Pascale Roch, qui l’aime simplement à la vapeur ou alors coupé très fin et juste sauté à la poêle avec un peu d’huile d’olive et de sel. On l’a aussi dégusté juste avant le confinement chez Natürlich, à Genève, où le formidable chef Svante Forstorp accompagnait une féra du Léman légèrement fumée, au beurre blanc, de délicates feuilles de chou noir toscan. Goûteux donc, mais sans la nature tonitruante du kale, ce chou un peu fou reste ferme et garde son croquant à la cuisson, se marie volontiers à toutes sortes de pâtes et d’huiles parfumées, mais aussi à des apprêts asiatiques, sauté au wok. À découvrir de toute urgence!

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): François Wavre/Lundi13

Chou à tout faire

Dans la tribu des choux, on connaît ainsi les pommés, les frisés et les rouges, les pointus et les cavaliers, les minis (Bruxelles) et la version plume (kale), pour ne rien dire des brocolis, pak-choï
et autres choux-fleurs. Le chou est un des rares légumes natifs de nos régions: les Celtes et les Germains le cultivaient abondamment, les Romains aussi, qui y virent une panacée. Restent sa réputation, méritée, contre le scorbut, du fait de sa teneur en vitamine C, et ses vertus antimicrobiennes dues aux dérivés sulfurés. Comme le brocoli, notre chou palmier (Brassica oleracea var. palmifolia) est d’origine italienne. Il est cultivé pour ses feuilles et non sa tête, ce qui le place dans la catégorie des choux non pommés. Produit depuis le XIXe siècle, il est tombé dans un relatif oubli, avant de resurgir récemment dans la foulée des cousins plumes (kale) du fait de son exotisme
et de ses saveurs plus complexes.

Le producteur

Gilles Roch

À l’origine, voilà plus d’un siècle, l’exploitation familiale des Roch est dévolue aux céréales et au bétail. Son père renonce à l’élevage pour s’orienter de plus en plus vers les cultures maraîchères, à commencer par l’endive. Dès les années 1980, Gilles est un des pionniers de la pratique biologique; le domaine des Biolettes, repris avec son épouse Pascale, sera intégralement certifié bio en 2000. Il compte désormais 25 hectares, auxquels s’ajoutent des parcelles louées sur les communes voisines, d’Aubonne à Saint-Livres. Une trentaine d’hectares sont consacrés au maraîchage, soit une surface importante qui nécessite beaucoup de main-d’œuvre et de savoir-faire. À côté des grandes cultures, des farines et des huiles qui sont produites s’épanouissent une bonne centaine de légumes, destinés à la vente directe: marchés régionaux, marché hebdomadaire à la ferme, coopérative Le Jardin potager proposant ses propres paniers bios. Les Biolettes se signalent par une formidable diversité et un goût marqué pour l’insolite et les variétés rares ou anciennes.

+ D’infos https://domainedesbiolettes.ch