Reportage
Quand le solaire marche sur l’eau

Un parc photovoltaïque est en construction sur le lac des Toules, en Valais. Première mondiale en milieu alpin, ce projet a pour objectif de tester le potentiel de production solaire des lacs artificiels.

Quand le solaire marche sur l’eau

Une immense plateforme aux reflets irisés qui se balance doucement au gré des courants sur la surface d’un lac artificiel. C’est le spectacle inattendu qui attend les automobilistes en route vers le col du Grand-Saint-Bernard. Situé sur la commune de Bourg-Saint-Pierre (VS), ce projet est une première mondiale: un parc photovoltaïque flottant sur un lac d’altitude. En l’occurrence, le lac des Toules, plan d’eau artificiel destiné à alimenter le barrage hydroélectrique du même nom.

Plus de soleil en montagne
Des silhouettes casquées s’éloignent de la rive sur un bateau pneumatique. Ce sont les ouvriers spécialisés dans les constructions maritimes qui sont chargés de l’assemblage des structures flottantes. Il y en aura 35, équipées chacune de 40 panneaux photovoltaïques, dont la moitié a été héliportée sur l’eau la semaine dernière tandis que le reste sera posé à la prochaine fenêtre météo favorable. Un cercle de flotteurs donne déjà une idée de la surface totale de l’installation: 8200 m2 pour une puissance de 448 kW, soit de quoi couvrir la consommation électrique de plus de 200 ménages. Mais cet impressionnant chantier n’est qu’un projet de démonstration. S’il est concluant, le fournisseur d’électricité Romande Énergie, à l’origine de cette centrale solaire, prévoit d’installer pour 2021 un parc d’une puissance de 12 mW.
«Utiliser un plan d’eau pour en faire un parc photovoltaïque n’est pas une idée nouvelle, explique Guillaume Fuchs, responsable du projet. Il en existe sur des bassins de rétention ou d’irrigation un peu partout dans le monde. Par contre, nous sommes les premiers à tenter l’expérience en montagne.» Situé à 1810 mètres d’altitude, le lac des Toules présente un potentiel important – couche atmosphérique plus fine et basses températures obligent, des panneaux photovoltaïques produisent plus de courant en altitude qu’en plaine –, mais aussi des défis de taille: «Nous devons composer avec des températures qui oscillent entre -25°C en hiver et 30 en été, des vents qui vont jusqu’à 120 km/h et une variation saisonnière du niveau du lac», énumère Guillaume Fuchs.

Du courant, l’hiver aussi
La neige, elle, n’est pas un problème. C’est même tout le contraire: «L’effet d’albedo, soit la réflexion de la lumière du soleil sur le sol, est décuplé par la neige, note Guillaume Fuchs. Nous avons choisi des panneaux photovoltaïques dont les deux faces sont vitrées pour profiter de ce rayonnement. La chaleur du soleil suffit par ailleurs à faire fondre la neige qui pourrait recouvrir la face supérieure des panneaux.» Les premiers tests, menés dès 2013 avec l’installation de panneaux sur la terre ferme près du lac des Toules, révèlent un potentiel enthousiasmant pour ce parc flottant: les instigateurs du projet estiment qu’il permettra de produire 50% de plus qu’un parc de même dimension équipé de panneaux standard en plaine. Tandis qu’une installation de basse altitude produit surtout en été, lorsque l’ensoleillement est maximal, ce parc flottant de montagne laisse envisager une courbe beaucoup plus stable, la réflexion sur la neige contrebalançant la durée réduite des journées en hiver.

Nombreux défis pour le futur
Alors, va-t-on voir des parcs solaires coloniser tous les lacs de montagne suisses? Aucun risque: si le lac des Toules a été plébiscité, c’est parce qu’il s’agit d’un plan d’eau artificiel. «La valeur de ces lacs de retenue d’un point de vue de la biodiversité est réduite, car ils se vident chaque année, signale Guillaume Fuchs. Les organisations environnementales auxquelles nous avons soumis le choix du site l’ont trouvé excellent.» Le potentiel de reproduction de ce projet, s’il s’avère concluant et concurrentiel sur le marché de l’électricité, est donc limité aux lacs de retenue alpins, soit une dizaine de sites en Suisse romande.
Soutenu financièrement par l’Office fédéral de l’énergie, il a surtout pour vocation d’éprouver ce mode de production et de mettre en lumière les questions qui attendent les fournisseurs d’électricité. En effet, au-delà de la dimension novatrice du parc solaire du lac des Toules, le vrai enjeu est ailleurs: «Poser des panneaux solaires, c’est un processus que l’on maîtrise, note Philippe Landry, responsable photovoltaïque chez Romandie Énergie Services. Le prochain vrai défi sera d’apprendre à gérer les variations de cette énergie et à la stocker.» Dans ce contexte, le test grandeur nature du Grand-Saint-Bernard apportera aussi bien des réponses que de nouvelles pistes de réflexion.

+ D’infos www.romande-energie.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Romande Energie

Questions à...

Karin Söderström, spécialiste Cleantech à l’Office fédéral de l’énergie
Pourquoi ce projet bénéficie-t-il d’un soutien de votre office?
Le domaine de l’énergie se caractérise par des investissements très lourds, ce qui lui procure une grande inertie. Ce parc photovoltaïque flottant s’inscrit, parmi des dizaines d’autres, dans le programme de soutien aux projets pilotes et de démonstration – baptisé «P+D+L» – mis sur pied par la Confédération dans le cadre de la Loi sur l’énergie pour accélérer l’innovation. Il faut réaliser cette phase pilote pour déterminer si ce type d’installation a du sens ou non.
Ce projet mise sur un rapprochement entre la production de l’énergie et sa consommation. Est-ce la tendance actuelle?
On se dirige certes vers un modèle qui sera plus décentralisé, mais les deux approches sont nécessaires: les énergies renouvelables se prêtent bien à la production domestique, tandis que les grandes installations permettent de diminuer les coûts. Ces importantes différences de taille entraînent de nombreux défis en ce qui concerne la gestion du réseau.