Reportage
Profitant du changement climatique, l’amandier débarque en Romandie

Faisant fi des accidents météorologiques de ce printemps, des producteurs s’intéressent de près à l’amande douce, dont la culture serait possible grâce à la hausse des températures. Exemple à Préverenges (VD).

Profitant du changement climatique, l’amandier débarque en Romandie

Le réchauffement donnera-t-il bientôt à La Côte vaudoise des airs de Central Valley, cette région de Californie où poussent 80% des amandiers de la planète? La comparaison fait sourire Pierre Gillard et son fils Armand, agriculteurs à Préverenges (VD), qui ont planté ce printemps un demi-hectare de Prunus dulcis sur leur domaine du Monteiron, situé à quelques encablures du lac et culminant à 400 mètres d’altitude. C’est pourtant bien la nouvelle donne climatique – une hausse des températures associée à une baisse des précipitations – qui a convaincu les Gillard de jouer les pionniers et de se lancer à grande échelle dans la production d’amandes.

«Notre situation topographique est quasi idéale pour la production fruitière, a fortiori de fruits à noyau», confie Pierre Gillard, 62 ans, à la tête d’une dizaine d’hectares tournés jusqu’à présent essentiellement vers la viticulture. «Nos sols ne sont pas trop lourds et, surtout, le climat est propice, le lac jouant un effet tampon et la bise brassant l’air en permanence, nous protégeant efficacement des gelées tardives.»

Car si l’amandier n’aime rien tant que des températures élevées et des terrains séchards, sa floraison ultraprécoce – il est le premier à fleurir au verger, avant le cerisier et l’abricotier – le rend extrêmement vulnérable aux gels de printemps. Le retour des frimas ces dernières semaines n’a heureusement pas eu d’impact sur les jeunes protégés des Gillard. «Ils n’ont toujours pas débourré, observait Pierre en fin de semaine passée, parfaitement conscient du risque. On sait que le froid sera notre ennemi Nº1, mais on est persuadés qu’il y a là quelque chose à explorer.»

Un terroir historique
Chercheur à la station Agroscope de Wädenswil (ZH), Andreas Näf partage l’analyse de l’agriculteur vaudois: oui, la Suisse pourrait bien redevenir un terroir à amandiers. «On sait qu’il a été diffusé autrefois en Suisse, en témoignent les lieux-dits valaisans tels Amandoley ou Mandolaire», observe le scientifique, qui a recensé une vingtaine d’exploitations en Suisse ayant planté un total de 330 arbres d’une quinzaine de variétés différentes. «Cette essence pourrait constituer une bonne alternative aux cerisiers haute tige, sous forte pression sanitaire et de moins en moins attractifs économiquement, explique-t-il. En outre, sa floraison précoce en fait un réel atout pour la biodiversité.» Le potentiel agronomique à en attendre est cependant à relativiser. «S’il s’avère robuste et se suffisant à lui-même mené en haute tige et en conditions extensives, la rentabilité économique d’une exploitation plus intensive reste encore à démontrer!» Pour répondre à cette question centrale, Agroscope vient donc de lancer un projet, plantant quarante arbres d’une vingtaine de variétés différentes sur le verger expérimental de Breitenhof (BL). «Quel mode de taille adopter? Quels moyens de lutte utiliser? Tout est à apprendre, conclut Andreas Näf. Une chose est sûre, il y a un marché pour les amandes suisses.»

Défi agronomique
Ce n’est pas Julien Bugnon qui dira le contraire. Patron de Dicifood, entreprise spécialisée dans la production et la valorisation de noix et de noisettes, l’agriculteur de Cottens (VD) vient de planter une vingtaine d’amandiers sur son domaine. «Cela s’insérerait parfaitement dans notre chaîne de valorisation des fruits à coque, poursuit le producteur, qui est déjà équipé en machines de récolte, de tri, et de calibrage. Et entre sa réputation de superaliment et son côté indispensable à la pâtisserie, l’amande locale trouverait aisément preneur, malgré son prix élevé. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le défi agronomique est de taille.»

À Préverenges, on a pris les choses très au sérieux. Armand, 33 ans, de retour sur l’exploitation après une expérience d’ingénieur en micromécanique, a passé des heures à s’informer et à échanger avec des collègues arboriculteurs de la vallée du Rhône, faute de conseils disponibles plus près de son milieu de production. «Nous avons opté pour une plantation peu dense, en disposant nos amandiers tous les 5 mètres sur des lignes distantes de 4 mètres», explique le jeune homme, qui prévoit de tailler ses hautes tiges en palmettes afin d’ouvrir un maximum la végétation. «Ils culmineront à 4m50 de haut», s’enthousiasme-t-il en tirant des conduites pour le goutte-à-goutte sur sa parcelle. S’ils les fruits ne craignent pas la grêle grâce à leur coquille protectrice, les arbres devront en revanche être irrigués, afin de garantir un rendement suffisant même en cas de canicule. Il ne reste plus aux Gillard qu’à patienter avant de pouvoir évaluer le potentiel de l’amandier sur les rives du Léman.

+ D’infos Amandiers en Suisse – Opportunité ou utopie, à télécharger sur www.agroscope.admin.ch.  L’Union fruitière lémanique met de son côté en place un projet pilote sur la culture d’amandiers en Romandie (www.ufl.ch)

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Questions à...

Maxime Perret, collaborateur à l’Union fruitière lémanique

L’amandier a-t-il sa place en Suisse?
Oui, il y a une opportunité agronomique et commerciale à explorer. L’amande permettrait d’élargir l’offre de fruits à coque qui a émergé ces dernières années en Romandie. En outre, le marché de niche (confiserie, chocolaterie, épicerie fine, etc.) est très ouvert à travailler avec des matières premières locales.

Quelles conditions agronomiques requiert-il?
Un microclimat favorable, des terrains légers et un risque de gel tardif réduit sont absolument nécessaires. Après quoi, il subsiste plusieurs inconnues quant à la technique culturale: le choix variétal (assez précoce pour une récolte en fin d’été, mais à floraison tardive pour éviter les gels printaniers), celui d’un porte-greffe adapté à nos terrains plus lourds que dans le pourtour méditerranéen où poussent la majorité des amandiers européens.

Et à quelles difficultés faut-il s’attendre?
On peut s’inspirer des expériences française et espagnole pour adapter le type de taille et de conduite, mais on ignore encore l’impact potentiel des maladies comme le fussicoccum, ou les monilioses sur les rendements, faute de pratique et de recul.

Marché à saisir

«À l’échelle de notre entreprise, les amandes sont les oléagineuses les plus transformées après les noisettes», confie Sandro Ott. Le responsable marketing de Patiswiss (leader suisse de la fabrication de produits de pâtisserie semi-finis) ne cache pas son intérêt pour une amande cultivée localement. «Elle compléterait idéalement notre gamme existante, poursuit-il. La demande existe, c’est une certitude, aussi bien chez les boulangers et confiseurs que dans l’industrie biscuitière et chocolatière. Nos clients recherchent tous le Swiss made, même si le prix est élevé et la disponibilité limitée.»