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Pour escalader une cascade de glace, il ne faut pas manquer de sang-froid

Pratiquer l’escalade sur une cascade gelée, c’est de saison. Nous nous y sommes essayés en compagnie d’un guide de haute montagne dans les Préalpes vaudoises. Piolets, casque et crampons sont de rigueur.

Pour escalader une cascade de glace, il ne faut pas manquer de sang-froid

La paroi bleutée s’élève devant nous. Haute de vingt mètres, la falaise est recouverte d’une épaisse gangue de glace. C’est à cet obstacle de taille que je vais m’attaquer aujourd’hui. Mais pas tout seul, heureusement: le guide de haute montagne vaudois Jérôme Gottofrey (lire l’encadré ci-dessous) m’accompagne pour cette initiation à l’escalade sur cascade de glace.
Nous sommes seuls dans ce vallon des Préalpes. Il faut dire que le jour vient juste de se lever et que l’emplacement – le «spot», materiel escalade sur glacedisent les adeptes – est connu uniquement de quelques spécialistes de la grimpe hivernale. La température est glaciale, mais je ne vais pas avoir froid longtemps. À peine ai-je sanglé mon baudrier que Jérôme Gottofrey m’enjoint d’enfiler mon casque: «Il faudra le garder durant tout le temps que nous passerons sous la falaise, précise-t-il. Des blocs de glace peuvent se détacher.» Puis il sort de son sac une paire de crampons dotés de pointes acérées. «Je n’ai pas de permis de port d’arme», lancé-je sur le ton de la plaisanterie, en partie pour cacher ma nervosité. Car si je suis amateur d’escalade, je ne me suis jamais frotté à une cascade de glace. Le matériel fait à lui seul son petit effet. Après les crampons, place aux piolets, eux aussi dotés de crans pointus, et me voilà prêt.

Apprivoiser la glace
«On va débuter par un petit exercice. Suis-moi sur la glace. Si tu plantes bien tes crampons, impossible de glisser.» La sensation est surprenante: en effet, les pointes me permettent de progresser sur la masse luisante. La deuxième étape consiste à apprendre à manier les piolets. À accepter, surtout, le fait que je puisse me suspendre de tout mon poids à l’une de ces minces lames de métal. «Tiens-toi toujours dans l’axe de ton piolet. Lorsque tu plantes le gauche, décale ton corps pour t’y aligner avant de monter, puis recommence avec le droit.»
Pour mes débuts, Jérôme a choisi la voie la plus aisée. Il me tend la corde puis vérifie mon nœud de huit. Un coup de piolet après l’autre, je m’élève contre la paroi glacée. La sensation est magique: là où mon œil de grimpeur du dimanche ne voit aucune prise escalade glacesuffisante pour poser une main ou un pied, mes pointes m’assurent un appui solide. Un coup de piolet dans le creux que je devine plus haut et je le sens assez stable pour m’y tirer. Prenant confiance en mes appuis, je progresse plus vite et suis bientôt au sommet de la cascade.
Les choses se corsent: cette fois, direction le milieu de la falaise gelée. La glace qui n’est pas répartie uniformément sur la roche se rétrécit en un mince passage à une dizaine de mètres du sol. Je n’ai pas le choix, il faut passer par là. Jérôme s’élance le premier pour mettre en place l’assurage. Tous les cinq mètres, il ancre une vis à glace. Ces tubes d’aluminium suffiraient-ils vraiment à me retenir en cas de chute? «Pas d’inquiétude, me rassure-t-il. La glace est bien assez résistante. Mais le plus sûr, c’est encore d’éviter de tomber!» Je prends note.
Plus tard, Jérôme m’expliquera que l’escalade sur cascade de glace n’est pas franchement plus dangereuse que la grimpe traditionnelle. «Par contre, on peut se faire mal, nuance-t-il. Avec les crampons aux pieds, on a tôt fait de se fouler une cheville en cas de mauvaise réception. Et la chute de morceaux de glace peut avoir des conséquences: j’ai dû recevoir trois points de suture après avoir été touché au visage par un bloc aux arêtes tranchantes.»

Gare à la chute!
Alors que j’arrive au point délicat de la paroi, seul compte le fait de ne pas tomber. Question de fierté, sans doute. Mes piolets bien arrimés, je m’éloigne du mur gelé pour parcourir du regard le pilier qui me domine. Je lance mon bras droit dans une anfractuosité de la glace, ferme les yeux sous une pluie d’éclats. La prise est bonne. Suspendu à la colonne de glace, je me rends compte que la sueur coule sur mon front malgré le froid. Ce n’est pas le moment de traîner. Aïe! Un pied glisse au moment où je prends mon élan, et je me retrouve pendu par les bras, battant de la jambe pour retrouver un point d’appui. Par la magie de mes crampons, un grand coup de pied dans la glace suffit. C’est le souffle court que je redescends en rappel quelques minutes plus tard.
La matinée est bien avancée. Le soleil baigne le versant d’en face, mais notre falaise reste dans l’ombre. C’est ce qui permet la materiel escalade sur glaceformation d’un beau massif de glace. Quatre grimpeurs nous ont rejoints. Ils avaient prévu de s’attaquer à une autre cascade, mais elle s’est écroulée pendant la nuit. «Il faut beaucoup d’expérience pour être capable d’évaluer si une cascade est stable, dit Jérôme. Mieux vaut être accompagné d’un guide. De brusques changements de température, par exemple, fragilisent la glace.» Mais le jeu en vaut la chandelle. Escalader une paroi gelée est une expérience surréaliste: contrairement à la roche, la glace prend chaque année des formes différentes. «C’est fascinant de se dire que tu grimpes sur une matière éphémère. L’escalade sur glace, c’est magique.» Magique, certes, mais aussi fatigant pour le novice. Je peux presque imaginer les courbatures qui m’attendent. Pourtant, ce n’est pas encore fini: «Et si on repartait par le haut?», me demande mon instructeur. Je ne suis pas sûr de comprendre… Par la cascade? «Oui, comme ça on n’a même pas besoin de marcher! Prends ton sac, je vais monter en premier et je t’assurerai depuis là-haut.»

Une vis qui tombe dans le vide
C’est parti pour une dernière voie. Sur la portion la plus difficile de la falaise, et avec un sac à dos qui me tire en arrière. Tendu et concentré, je choisis précautionneusement mes appuis pour économiser mes forces. Au-dessus de ma tête, la glace épaisse forme des dizaines de colonnes laiteuses. Le passage semble infranchissable. Suspendu dans le vide, j’avance lentement jusqu’à voir apparaître la vis placée par le guide. Je suis au sommet de la paroi! Je m’empresse de la dévisser pour la récupérer, puis passe une main dans mon dos en cherchant un mousqueton auquel l’accrocher. Mes doigts fatigués sentent la boucle leur échapper. Un tintement métallique, vingt mètres plus bas, confirme ce que je craignais: j’ai lâché la vis à glace. Heureusement, les jeunes grimpeurs qui sont encore dans le vallon l’attacheront à notre corde pour nous permettre de la récupérer. «Alors? me demande Jérôme à l’heure de ranger le matériel. Ça t’a plu?» De mon côté, aucune hésitation: qu’on me laisse quelques jours de repos et je remets ça!

+ D’infos Le bureau de guides Passe-Montagne organise des initiations à l’escalade sur glace, comme de nombreux bureaux romands. Pour des questions de matériel comme de sécurité, il est indispensable de s’entourer de professionnels. www.guides-passemontagne.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Benoît Grandjean

Notre accompagnant

guideJérôme Gottofrey, 36 ans, est guide de haute montagne depuis sept ans. Il travaille au sein du bureau de guides Passe-Montagne. S’il pratique aussi bien la grimpe classique que le ski de randonnée ou l’alpinisme – avec à son actif plusieurs sommets renommés, du Pérou à l’Himalaya –, il affectionne tout spécialement ce que les experts appellent le «dry-tooling», une technique d’escalade qui permet de progresser à la fois sur la roche et la glace. Chaque hiver, il effectue plusieurs dizaines de sorties sur des cascades de glace en Suisse ou dans les pays voisins, et encadre fréquemment des stages d’initiation.