Décryptage
Politique agricole 2022+: durabilité et compétitivité comme maîtres mots

Respecter davantage l’environnement, gagner en compétitivité sur les marchés internationaux, améliorer l’esprit entrepreneurial: ce sont les ambitions de l’Office fédéral de l’agriculture pour les paysans suisses.

Politique agricole 2022+: durabilité et compétitivité comme maîtres mots

«Que ce soit en termes de compétitivité, d’utilisation des ressources naturelles ou d’esprit entrepreneurial, force est de constater que l’agriculture a encore des progrès à faire.» Le directeur de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), Bernard Lehmann, a rapidement donné le ton lors de sa présentation de la politique agricole 22+, en décembre dernier. Ce projet, en consultation jusqu’au 6 mars, prévoit passablement de changements afin de répondre à trois grandes préoccupations tout en garantissant un maintien de l’enveloppe budgétaire. Primo, préparer l’agriculture suisse à l’ouverture progressive des marchés. «Même si nos propositions d’accès au marché ne font à proprement parler plus partie du projet de PA22+, la pression sur la protection à la frontière reste forte, met en garde le vice-directeur de l’OFAG Adrian Aebi. Il faut donc à tout prix améliorer la compétitivité des paysans sur les marchés suisses et internationaux. C’est une tâche du secteur privé, l’État n’est là que pour soutenir la filière.»
L’OFAG souhaite ensuite améliorer l’empreinte environnementale du secteur agricole. «Il y a clairement un excès d’éléments nutritifs dans les sols de notre pays, soutient Bernard Lehmann. Quant aux objectifs concernant les émissions de gaz à effet de serre, ils ne sont pas atteints.» Enfin, l’Office entend pousser les agriculteurs à faire preuve de davantage d’esprit d’entreprise, afin d’accroître la plus-value dégagée sur la vente de leurs produits. Pour cela, elle envisage de réduire «le carcan administratif et la régulation». «Notre projet de PA22+ vise aussi à répondre aux nombreux parlementaires qui s’interrogent sur les coûts de la politique agricole ainsi que sur son efficacité et sa complexité, poursuit Bernard Lehmann. Et elle se veut aussi une réponse aux attentes sociétales et aux initiatives zéro pesticide et eaux propres.» L’OFAG l’affirme sans ambages. D’après son modèle, la PA22+ devrait permettre d’augmenter les surfaces arables, d’améliorer les revenus des producteurs, d’augmenter le nombre de calories produites tout en diminuant le nombre d’unités gros bétail (UGB). Reste que la série de mesures dévoilées récemment suscite d’ores et déjà la controverse.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Bon à savoir

Paiements directs – Un «revenu universel» sans condition pour tous les paysans
En 2022, il faut s’attendre à une redistribution des paiements directs, avec entre autres un transfert (de l’ordre de 200 à 300 millions) des paiements destinés à la sécurité de l’approvisionnement vers les systèmes de production. «Chaque franc investi doit permettre de produire des calories», justifie le vice-directeur de l’OFAG Jean-Marc Chappuis. En outre, une contribution égale et unique pour chaque exploitation, uniquement liée à la zone, sera introduite. Cette proposition a immédiatement trouvé ses détracteurs: c’est «la création d’une distorsion» pour les uns, «un frein à l’évolution structurelle» pour d’autres. Anne Challandes, de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales, s’inquiète de la façon dont ce concept de revenu universel sera reçu par le grand public: «Il découple en effet les notions de travail et de soutien étatique.» Autre nouveauté, le plafonnement du montant maximal des paiements à 250 000 francs par exploitation. «Septante exploitations touchent aujourd’hui 27 millions de paiements directs, ce qui n’est pas sans poser un problème d’image», poursuit Jean-Marc Chappuis. Enfin, une protection sociale (y compris perte de gain et prévoyance professionnelle) pour le conjoint qui collabore à l’exploitation sera obligatoire pour accéder aux paiements.

Formation – Le brevet devient obligatoire pour toucher des aides
«Selon Agroscope, il y a une corrélation positive entre le niveau de formation et le revenu du travail.» D’où la proposition de l’OFAG de revoir les exigences de formation donnant droit aux paiements directs à la hausse. Désormais, les jeunes agriculteurs, s’ils veulent toucher les paiements directs, devront avoir accompli une formation supérieure, soit au moins le brevet. De quoi susciter l’incompréhension au sein d’une partie de la profession, pour qui imposer le brevet semble inutile, voire trop ambitieux.

Ecologie – Fusion entre réseaux écologiques et qualité des paysages
Afin de «simplifier le système existant et de le rendre plus efficace», la PA22+ prévoit de réunir sous un même type de contribution les réseaux écologiques, les projets «qualité du paysage» et «ressource». L’idée étant de promouvoir une agriculture plus adaptée aux conditions locales. «Les réseaux écologiques avaient le soutien de la profession et commençaient à peine à porter leurs fruits, regrette la secrétaire romande de Pro Natura, Sarah Pearson Perret. Ça me semble contre-productif de les abandonner pour autre chose.» Le directeur de la Chambre d’agriculture du Jura, Michel Darbellay, s’inquiète quant à lui du financement de ces nouvelles contributions. La PA22+ prévoit en effet que les cantons élaborent et cofinancent ces stratégies agricoles régionales. «En somme, la Confédération refile la patate chaude plus loin, poursuit Sarah Pearson Perret, qui reproche également à l’OFAG de ne pas s’être fixé d’objectifs plus ambitieux en termes de biodiversité.

Élevage – Les quantités de fumure à l’hectare vont être revues à la baisse
En vue d’atteindre les objectifs environnementaux, la PA22+ prévoit de réduire la limite d’UGB fumure de 3 à 2,5 par hectare de surface fertilisable. Une mesure qualifiée d’hypocrite par Vanessa Renfer, du syndicat Uniterre. «Autant dire clairement qu’ils veulent diminuer le nombre de vaches en Suisse!» Cette mesure inquiète également dans les cantons. «L’OFAG semble cautionner le fait que les paysans s’orientent vers des systèmes sans bétail», déplore Michel Darbellay. L’Union suisse des paysans, si elle n’a pas encore officiellement pris position, regrette d’ores et déjà l’absence de simplification administrative et la baisse d’attractivité de la production animale engendrée par de nombreuses mesures contraignantes. «La PA22+ va favoriser une typologie d’exploitation par rapport à une autre, craint François Monin, collaborateur à l’USP. Les exploitants devront satisfaire à plus d’exigences et adapter leur système de production pour compenser les pertes de certaines contributions. Ils devront sans doute consentir à des investissements, qui traduiront par un surcoût, uniquement dédié à maintenir le niveau des paiements directs. Une fois encore, il y aura des gagnants et des perdants à cette réforme. C’est regrettable et inutile.»