Un jardin en permaculture 10/12
Une forêt comestible prend naissance dans un coin du verger

Chaque mois, notre collaboratrice Aino Adriaens nous fait part de ses expériences en permaculture. En octobre, les vieux arbres du verger s’habillent de vigne et de kiwi tandis que petits fruits et légumes vivaces prennent place sous les couronnes.

Une forêt comestible prend naissance dans un coin du verger

Le jardin a changé de couleur. Désormais c’est au-dessus du poêle à bois que sèchent nos dernières pommes. Les travaux d’extérieur ne faiblissent pas pour autant, car c’est le bon moment pour planter vivaces, arbres et arbustes. L’an dernier, nous avions renoncé à de nouveaux fruitiers, par manque de place dans notre vieux verger déjà suroccupé par les hautes tiges. La découverte de la permaculture a complètement changé la donne! De bonnes lectures en reportages dans des «jardins-forêts» ou «jardins-vergers» en Suisse et en France, j’ai réalisé que cela n’avait guère de sens d’avoir un pré sous les arbres alors que nous n’avons ni vaches ni moutons pour en profiter. Autant y planter des choses qui se mangent et créent de la biodiversité tout en exigeant relativement peu d’entretien. Car telle est bien l’idée maîtresse du jardin-verger: du comestible à tous les étages de la végétation, avec un fonctionnement comparable à celui d’un écosystème forestier naturel.

Densification végétale
La première étape a débuté en mars dernier déjà, avec le choix d’un bout de verger propice à cette métamorphose: peu de fleurs sauvages, un vieux pommier décharné et un jeune pruneautier adossé à la haie champêtre. Une escapade au verger de Rétropomme à Pierre-à-Bot (NE) et le marché est vite conclu: je reviens avec une brassée d’anciennes variétés de pommiers basse tige restés sur le carreau. Comme le débourrage est imminent, nous les plantons dans l’urgence, serrés et en quinconce, à proximité des grands arbres, avec la ferme intention d’améliorer ce coin à l’automne. Les mois ont passé et, par miracle, les dix petits pommiers ont vaillamment survécu à la canicule et échappé aux campagnols. Et depuis ma visite au jardin-jungle des Fraternités ouvrières de Mouscron, en Belgique, je ne les trouve même plus aussi serrés que ça! Il reste de la place pour un nashi et un prunier, et en suivant les conseils du permaculteur québécois Stefan Sobkowiak, je compte y rajouter en novembre des arbustes fixateurs d’azote, comme le baguenaudier, particulièrement bienvenus pour nourrir le sol et la végétation. Un peu plus loin dans la prairie, en situation plus ensoleillée, nous installons encore deux asiminiers, ou arbres à banane, que nous entourons d’une collerette de cailloux en guise de chaufferette.

Du pied jusqu’à la canopée
Si les étages «arbres et arbrisseaux» sont en bonne voie, tout reste à faire pour peupler leurs dessous. Afin de nous débarrasser de l’herbe sans nous éreinter, nous adoptons la technique des buttes qui a fait ses preuves au potager. Composées d’un empilement de bois, de compost d’écorces et d’herbe fraîche coupée au hache-paille, elles commencent à prendre forme entre les arbres et dessinent déjà un cheminement en arc de cercle pratique et agréable à l’œil. Je les trufferai encore de quelques rameaux épineux, comme me l’a suggéré une amie jardinière particulièrement remontée contre les campagnols et autres rongeurs opportunistes! Quoi qu’il arrive, je me réjouis d’y planter bientôt mes boutures de cassis, groseilles, aronias et amélanchiers, mais aussi des plantes aromatiques, des légumes pérennes et les incontournables de mi-ombre que sont la consoude, l’oseille et les hostas.
Le vieux pommier décharné n’est pas sorti indemne de ces bouleversements: le voilà doté de trois espaliers en bambous autour desquels s’agrippent déjà une courge calebasse, une ronce ‘Tayberry’ et un kiwi. Dans le même élan, j’habille de la sorte notre grand cerisier, car il se dégarnit chaque année un peu plus: un kiwaï et une vigne devraient bien se plaire dans ses frondaisons et on pourra grimper dans la cabane des garçons pour aller en cueillir les fruits. Les vieux pruniers ne sont pas en reste: depuis quelques années déjà, de superbes rosiers lianes leur confèrent une seconde vie et nourrissent une kyrielle de butineurs.

Compost fait maison
D’ici à ce que notre jardin-forêt se suffise à lui même, il faudra bien le nourrir un petit peu. Comme nous ne sommes pas très convaincus par le fumier de cheval, local mais non bio, c’est l’occasion rêvée de mettre en œuvre un projet qui nous turlupine depuis longtemps: fabriquer des toilettes à compost. Je devine déjà quelques réactions de dégoût, mais quoi de plus naturel pourtant que de valoriser nos propres déjections pour amender nos plantations? Les techniques se sont aujourd’hui nettement améliorées et facilitent la récupération d’un précieux compost (voir encadré ci-dessous), qui chez nous pourra être certifié 90% bio car nous savons ce que nous mangeons! En totale cohérence avec la permaculture, l’usage de toilettes sèches s’accorde aux cycles naturels, mais surtout respecte l’eau, trésor du jardinier.
+ d’infos Créer un jardin-forêt, Patrick Whitefield, Éditions Imagine un colibri, 2011, 188 pages.

Texte(s): Aino Adriaens
Photo(s): Aino Adriaens / Antoine Lavorel

Questions à ....

Emmanuelle BigotEmmanuelle Bigot – Conseillère en environnement et spécialiste des toilettes sèches
«LE COMPOST ISSU DES TOILETTES SECHES EST PARFAIT POUR AMENDER UN VERGER»

Quel type de toilettes sèches recommandez-vous pour un usage familial?
Tout dépend de la place disponible, du nombre de personnes dans le ménage, du budget, des possibilités de compostage et du seuil de tolérance de la personne qui l’entretiendra. Les toilettes à compostage intégré sont les plus faciles à utiliser, mais elles sont plus chères et volumineuses. Les toilettes à séparation d’urine sont une solution intermédiaire, mais la méthode la plus simple reste le seau que l’on va vider régulièrement, car elle ne nécessite pas de système d’aération. Les copeaux que l’on déverse après chaque usage entravent efficacement les odeurs.
Quelles sont les précautions à prendre lors d’un compostage à l’extérieur?
Le composteur doit avoir un fond et un couvercle étanches afin d’éviter les écoulements dans le sol, mais il faut néanmoins une bonne aération. Il doit aussi être inaccessible aux animaux.
Ce compost est-il un apport intéressant pour le verger?
Sa qualité est parfaite pour les haies et les arbres fruitiers. Grâce aux urines, il est particulièrement riche en phosphore. L’Organisation mondiale de la santé, qui encourage les toilettes sèches, recommande un compostage de dix-huit mois avant de l’utiliser pour le maraîchage, car au bout de ce terme, il est totalement irréprochable au niveau sanitaire.