Rencontre
Perché à l’alpage, le berger peint les paysages jurassiens

Six mois par an, François Duruz monte au chalet isolé des Begnines (VD), où il partage son temps entre surveillance du bétail et aquarelle. Un quotidien au grand air, entre contemplation, émotions et transmission.

Perché à l’alpage, le berger peint les paysages jurassiens

La vue depuis l’alpage des Begnines (VD) se mérite. Après une longue traversée dans la forêt humide et les pâturages recouverts de givre, une vieille bâtisse isolée surplombant une combe dégagée apparaît au bout d’un chemin en gravier. Nous sommes à 1500 mètres d’altitude, sur le balcon du Jura, entre la Dôle et le Mont-Tendre. Sur le pas de la porte, l’unique habitant du coin nous attend. «La première fois que je suis monté ici, j’ai tout de suite été séduit par les lieux. C’est le plus bel alpage que j’aie jamais vu», lance-t-il en nous invitant à nous asseoir près de la cheminée, dont les flammes éclairent des dizaines de tableaux accrochés aux murs de la grange centenaire. Depuis sept ans, du printemps à l’automne, François Duruz investit l’endroit en tant que garde-génisse, tout en profitant des paysages idylliques pour s’adonner à son autre passion, l’aquarelle. Une trentaine de ses toiles seront exposées à la galerie l’Essor, au Sentier (VD), dès ce dimanche.

 

De la ville à la ferme

Rien ne prédestinait pourtant ce citadin, fils d’une infirmière et d’un père directeur d’un centre médico-social, à devenir berger. D’abord habitant de Lausanne, puis de Genève, le jeune homme rêvait d’un tout autre métier. «À l’âge de 6 ans, je voulais devenir boulanger solitaire», pouffe-t-il. Peu scolaire, il passe son temps à dessiner en cours. «J’imaginais un monde dans lequel j’aurais aimé vivre. Ce que je préférais, c’était aller me promener dans la nature, ma bouffée d’oxygène.» À 15 ans, il arrête l’école, «un fiasco», et enchaîne les petits boulots, de fleuriste à livreur. «Mais j’ai eu un accident de voiture en service.» C’est le déclic. Il décide de changer radicalement de mode de vie. Le Morgien d’origine effectue plusieurs années de stage dans des fermes, jusqu’à être embauché en tant qu’alpagiste pour sa première saison. «Quand on m’a demandé si je savais traire, j’ai dit oui, alors que j’avais encore tout à apprendre, se rappelle-t-il en riant. Je devais me lever à 2 h 45 pour m’occuper seul d’une quarantaine de bovins, puis livrer le lait. C’était un travail d’une grande rigueur, qui m’a fait du bien. Mais cet emploi du temps ne correspondait pas au grand rêveur que j’étais.»

Le jeune homme s’oriente alors vers le métier de garde-génisse, au rythme plus doux. «Je me réveille avec le lever du soleil puis passe une demi-journée à compter les 185 bêtes et entretenir le pâturage.» Mais surtout, l’artiste en herbe prend le temps de contempler les sommets et s’imprégner des ambiances, attentif aux couleurs changeantes au gré des saisons. «J’ai la chance de vivre dans un décor fantastique avec 300 hectares de jardin, sans voisins. Cela me donne envie de partager ce que je vois.»

 

Artiste tout-terrain

L’aquarelle devient vite une évidence. Grâce à un matériel transportable et peu contraignant, François Duruz fait de la nature son atelier à ciel ouvert. Une fois le point de vue idéal repéré, il se munit de ses pinceaux et dépose une toile au sol ou sur ses genoux, puis se lance «sans trop réfléchir». «J’aime peindre dans l’immédiateté, avec l’œil comme unique filtre, en essayant de saisir la magie de l’instant, raconte-t-il. C’est une technique exigeante, car il est difficile de faire des retouches après coup. Tout est dans l’instinct.» Sommets, ciel et forêts sont ses sujets de prédilection, qu’il affectionne particulièrement en temps de brouillard, aux premières heures de la journée ou du soir. «J’ai dessiné le Mont-Tendre plus de vingt fois, mais je ne m’en lasse pas, assure-t-il en sortant du chalet pour profiter des premiers rayons du soleil. Je n’essaie pas de représenter des paysages, mais des atmosphères aux nuances subtiles.» Sa connaissance précise des alentours l’a même poussé à improviser des panoramas du Jura vaudois, qu’il connaît sur le bout des doigts.

 

Cultiver la magie des lieux

C’est à l’alpage des Begnines que le trentenaire a tout naturellement organisé sa première exposition, en 2018. «Certains bergers proposent du fromage aux promeneurs. Alors je me suis dit: pourquoi pas des tableaux?» Le succès est au rendez-vous. «Sentir les gens touchés par mon travail a été le plus beau des compliments», glisse le peintre, humble, dont les toiles se vendent aujourd’hui de Zurich à la France. Chaque année, celui qui est également guitariste accueille aussi des artistes en résidence. «Trois danseurs contemporains et un jeune chanteur sont venus cet été. Ça change du cor des Alpes. J’aime ouvrir ma porte à toutes les cultures.» Le reste de l’année, ce père de deux enfants habite dans les Pyrénées françaises. «Mais j’attends toujours le dernier moment pour redescendre, car l’automne est ici une saison magique», dit-il en regardant au loin. Alors que les troupeaux ont retrouvé la plaine, notre homme profite du calme pour stocker du bois. Peu à peu, les températures baissent, les chemins de randonnée sont désertés et les giboulées tombent, annonçant l’hiver. «Quand novembre survient, la nature devient trop austère. Il est temps pour moi de m’en aller», souffle le poétique berger, qui s’empressera de revenir au printemps prochain, pinceaux à la main.

+ d’infos Ses toiles seront exposées à la galerie l’Essor, au Sentier (VD), du 21 novembre au 12 décembre. Son compte Instagram: @fdz__art

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): François Wavre/Lundi13