AGRICULTURE
«Les paysans sont une population à risque pour le stress et le burn-out»

Les paysans sont deux fois plus exposés que le reste de la population à l’épuisement professionnel. Pour Rachel Vuillaume, thérapeute spécialisée, il faut prendre à bras le corps cette problématique.

«Les paysans sont une population à risque pour le stress et le burn-out»

C’est la première fois que des cours destinés à prévenir le stress chronique et le burn-out sont mis sur pied pour un public agricole. Pourquoi un tel projet?

➤ Parce qu’il y a urgence! L’épuisement professionnel concerne en effet un paysan sur huit en Suisse, selon une récente étude. Les paysans sont deux fois plus exposés que le reste de la population au stress chronique et au burn-out! Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils ne sont pas préservés du stress parce qu’ils travaillent au grand air, en contact avec la nature. Bien au contraire. Raison pour laquelle il faut prendre à bras le corps ce phénomène préoccupant et s’en occuper.

Le stress fait partie de la vie quotidienne. En quoi peut-il être dangereux pour la santé?

➤ Le stress fait partie de nous, il nous est même vital. Un coup de stress, à la base, c’est un réflexe, une réaction de notre cerveau reptilien. Si le «bon stress» nous fait avancer, nous rend performants, voire nous donne des ailes, il y a aussi un «mauvais stress», destructeur quand il devient chronique. Et c’est là que réside le danger. Une mauvaise gestion de ce stress peut par exemple engendrer des crises de panique. Sur le long terme, il épuise physiquement et psychiquement, on parle alors de burn-out.

Observez-vous, dans le cadre de vos activités de thérapeute, que l’agriculture est davantage touchée que d’autres activités par le stress et l’épuisement?

➤ Pas directement, puisque rares sont les agriculteurs ou agricultrices à oser consulter, malheureusement. Le burn-out ne figure pas en tant que tel dans les classifications médicales et le Parlement a récemment refusé de le reconnaître comme maladie professionnelle. L’assurance accidents ne le prend donc pas en charge, ce qui complique l’acceptation du trouble et n’incite pas les personnes touchées à consulter.

Quels sont les principaux symptômes liés au stress?

➤ Des douleurs au dos, un sommeil haché, des problèmes d’endormissement, une respiration plus rapide, une irritabilité, de l’impatience, un changement de comportement avec l’entourage peuvent avoir pour cause un trop grand stress. Ce dernier est causé par un environnement changeant auquel l’individu ne s’adapte pas. Une modification dans la politique agricole, le brusque changement d’un marché, le passage de la vache laitière à la vache mère, par exemple, sont des événements subits, brutaux, qui engendrent un fort stress.

Où se situe la limite avec le burn-out?

➤ Le burn-out s’installe progressivement, sur un temps assez long. Il se traduit plutôt par une fatigue constante, des pertes de la mémoire immédiate, des problèmes de concentration, des frustrations qui s’accumulent. Pour corriger une telle situation, la personne s’investit encore plus dans son travail, jusqu’à l’épuisement. Et c’est une situation qui peut durer des années. Le déni et l’impression de toute-puissance sont par ailleurs typiques de l’épuisement professionnel, ce dernier étant souvent vécu comme un aveu d’échec.

Que faire si on se reconnaît dans ce que vous venez de décrire?

➤ Trouver un vis-à-vis à qui confier sa vulnérabilité. Ça peut être le ou la partenaire, un voisin, ou un professionnel de la santé. Dans la plupart des cas, le médecin généraliste va mettre la personne concernée à l’arrêt et/ou lui donner des médicaments. Ces derniers vont la soulager, mais ne régleront pas les causes du problème. En consultant un thérapeute spécialisé, on peut apprendre à gérer son stress, via différentes approches. Les exercices respiratoires sont un exemple parmi d’autres, ils permettent de ramener du calme dans la physiologie de l’organisme, qui dans le cas de stress et d’épuisement, est malmené d’un point de vue neuronal et hormonal.

Peut-on se remettre d’un burn-out?

➤ Bien sûr. Une fois qu’on a pu mettre un nom sur les troubles, débute une longue période, de plusieurs mois, au cours de laquelle il faut récupérer de l’épuisement d’abord physique, puis psychique. Plus on tarde à s’occuper d’un burn-out, plus il sera long à soigner. Mais tout comme pour une fracture, on s’en remet. Et on est même plus fort après coup!

L’épuisement professionnel touche-t-il autant les hommes que les femmes?

➤ Il y a un phénomène évident de burn-out chez les paysannes, malheureusement encore tabou. Paysanne est en effet une des seules professions où l’on s’identifie totalement à ce qu’on fait. Or nous n’existons pas seulement par le métier que nous exerçons, notre identité est bien plus complexe. Les paysannes souffrent de cette confusion. Et elles souffrent par ailleurs du manque flagrant de reconnaissance de leur statut. L’absence, dans la majorité des cas, de salaire, de troisième pilier et d’assurance maternité constitue une carence évidente de considération à leur égard. Or la considération et la reconnaissance sont pourtant essentielles dans le développement de tout être humain.

Vous appelez agricultrices et agriculteurs à prendre conscience des spécificités de leur profession. Mais ce sont des métiers qui exigent un investissement à plein temps et dans lesquels il est difficile de prendre recul…

➤ C’est une croyance! La paysanne peut être autre chose que celle qui fait les repas, tient la compta et élève les enfants. Elle doit dépasser ce qu’elle croit être. Je recommande ainsi à mes patientes paysannes d’explorer autrement leur personnalité, par la créativité, le chant, la pratique d’un art, la recherche de la fantaisie dans leur quotidien. En tant que thérapeute, je peux aider mes patientes touchées par l’épuisement à revoir leurs priorités, à s’organiser différemment pour prendre soin d’elle. S’offrir une respiration ne doit pas être une couche supplémentaire dans l’organisation du quotidien, mais une bouffée d’oxygène.

Agriculteur a toujours été un métier difficile, comment expliquez-vous que les cas de burn-out soient plus nombreux aujourd’hui?

➤ Parce que la place du paysan dans la société a changé et que son statut social s’est détérioré, tout comme ses conditions de vie. La population agricole est aujourd’hui minoritaire dans nos sociétés occidentales et un fossé s’est creusé entre producteurs et consommateurs. Devenir paysan ou paysanne, c’est adopter un mode de vie différent du reste de la population à cause du rythme de travail. Et quelque part, c’est se mettre en marge de la société.

Que faire pour que la santé des paysans soit davantage prise en considération?

➤ Il faut une prise de conscience sociétale. On a jusqu’à présent délaissé le bien-être psychologique de la population agricole, alors même qu’il s’agit de personnes à risque, de par leur isolement, la précarité de leurs conditions de vie et les pressions qu’ils subissent de la part des marchés et des consommateurs. Il faut que ça change!
Prévenir le stress et le burn-out en agriculture doit devenir une priorité politique.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Nicolas de Neve

Deux cours chez Agridea

Rachel Vuillaume animera cet automne deux cours organisés par Agridea, à Lausanne. Ces deux journées de formation visent à informer et à former exploitants, paysannes, conseillers agricoles ainsi que toutes personnes en contact avec la profession agricole à la gestion du stress et à l’accompagnement des personnes en burn-out. Intitulées «La gestion du stress au quotidien – Comprendre, s’adapter et développer des stratégies» et «Prévenir le burn-out chez la paysanne et le paysan – Prendre soin de soi dans la vie quotidienne», elles ont lieu les 25 novembre et 16 décembre prochains.