Point fort
Partie de cache-cache en montagne avec le hérisson

Durant tout l’été, la rédaction de Terre&Nature participe à des projets de volontariat en faveur de la biodiversité, du patrimoine ou de l’agriculture. Sixième épisode à la recherche de traces de hérissons.

Partie de cache-cache en montagne avec le hérisson

Un grand panneau de plastique noir, un bocal de la même couleur, un pinceau, quelques trombones et une poignée de croquettes pour chat: voilà ce que j’étale sur l’herbe, en me demandant comment ce matériel va bien pouvoir me permettre de participer à un grand recensement des hérissons de Suisse. Soyons honnêtes: la campagne de relevés à laquelle je participe n’est pas destinée à un recensement national. Ce dernier a déjà été réalisé entre 2018 et 2020 et a servi de base à la publication de l’Atlas des mammifères de Suisse et du Liechtenstein, édité au printemps dernier. «Depuis, nous continuons de récolter des données pour compléter le tableau de la répartition du hérisson dans certaines régions, notamment dans les Préalpes fribourgeoises et vaudoises, explique Michel Blant, biologiste engagé dans le projet Nos voisins sauvages, qui supervise des actions de relevés faunistiques. Ce recensement, en particulier, convient parfaitement à une approche participative. La méthode, mise au point en Grande-Bretagne, est facile à appliquer et donne des résultats concluants au niveau scientifique.» Sur le papier, en effet, cela a l’air simple: 10 tunnels en plastique placés dans une zone mesurant 1 km2 durant cinq jours permettent de confirmer la présence ou l’absence de hérissons dans le secteur.

Les tunnels sont en place
Plier le plastique pour former un tunnel triangulaire: c’est le premier geste de ma mission. Puis il me faudra essayer de me rappeler les instructions dispensées par Jean-Christophe Fallet, secrétaire exécutif de l’association Alpes vivantes qui organise cette campagne de relevés dans le village des Plans-sur-Bex (VD). «Prenez l’autre plaque et fixez une feuille blanche sur chacune de ses extrémités, a-t-il expliqué à la poignée d’habitants du village qui se sont portés volontaires pour participer à l’expérience. Appliquez ensuite un mélange d’huile et de graphite au centre de la languette. Si un animal marche dessus, il laissera des traces sur le papier. Et n’oubliez pas de déposer quelques croquettes dans la coupelle, sinon les hérissons n’auront aucune raison de passer dans votre tunnel!» Le jour décline. Voilà mon tunnel, numéroté «412», prêt à accueillir la petite faune nocturne. Reste à le placer dans un emplacement favorable au hérisson: «Il se déplace en ligne droite, en suivant des axes naturels, nous a-t-on dit. Privilégiez les haies, les bordures de prairie et de forêt.» Avisant une lisière qui me semble particulièrement accueillante, j’y place mon installation avant de relever scrupuleusement les coordonnées de l’emplacement et de me mettre en marche pour positionner avant la nuit les deux autres tunnels dont j’ai la responsabilité.

Le sentiment du devoir accompli

Rien. Ou presque: à la première déception qui m’envahit lorsque j’examine le tunnel au petit matin suivant succède la certitude que des animaux sont bien passés par là. Seulement, ce ne sont pas des hérissons. Formulaire de recension des résultats dans une main et crayon dans l’autre, je chasse une limace qui s’accroche au papier humide de rosée et l’examine. Un étroit réseau de minuscules traces de pattes, quelques crottes de la taille d’un petit grain de riz. Un campagnol, sans doute! Voire toute une famille, qui a dévoré les croquettes et dansé la gigue sur la feuille blanche avant de disparaître avec le lever du jour. Même bilan dans le tunnel 414, à une centaine de mètres de là, puis dans le 419. Sans me démonter, je renouvelle les feuilles, dispose à nouveau quelques croquettes et repasse une couche de graphite avant d’essuyer mes doigts huileux sur le revers de mon pantalon. J’aurai plus de chance demain…

Faux espoir: les matins suivants ne sont pas plus concluants. Les campagnols – ou sont-ce des souris? – s’en donnent à cœur joie, s’attaquant même au plastique du tunnel qu’ils dévorent nuit après nuit, laissant sur le papier de fins copeaux noirs. «Alors?», demande Cécile, une voisine qui a elle aussi participé à l’aventure, à l’heure de démonter nos installations temporaires. «Nous, on n’a rien eu d’autre que des campagnols… et un chat!» Le bilan est le même partout. Il sera confirmé lorsque les scientifiques qui chapeautent le projet auront reçu et analysé nos relevés: il n’y a de toute évidence pas de hérissons aux Plans-sur-Bex. Ce n’est pas vraiment une surprise (voir l’encadré ci-dessous). Et aussi frustrant soit-il, le résultat n’en est pas moins extrêmement utile aux chercheurs qui esquissent un portrait de la Suisse sauvage grâce à a la participation d’innombrables curieux. «Je sers la science et c’est ma joie», disait l’autre.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Comment participer?

Des campagnes de recensement des hérissons et de la petite faune sont ponctuellement mises sur pied par diverses organisations locales. C’est le cas de l’association Alpes vivantes, qui table sur des projets concrets de valorisation du patrimoine naturel des Alpes vaudoises. Au niveau national, les scientifiques du groupement Nos voisins sauvages centralisent les données récoltées et les utilisent pour l’établissement de cartes de répartition des espèces.

+ D’infos www.alpesvivantes.ch; www.nosvoisinssauvages.ch

Un citadin en mauvaise posture

Où trouve-t-on des hérissons en Suisse? Au moment de récolter des données pour réaliser une carte nationale de répartition destinée au dernier Atlas des mammifères de Suisse et du Liechtenstein, les biologistes se sont heurtés à un écueil d’un genre particulier: dans certaines zones, l’espèce est si commune que personne ne pense à signaler ses observations. En effet, le hérisson d’Europe est bien représenté dans tout le pays, à basse altitude en tout cas: il semble qu’il se risque rarement au-dessus des 1000 mètres. Surtout, les chercheurs ont réalisé qu’il affectionne particulièrement les zones périurbaines, mais qu’il est étonnamment rare en milieu agricole. Menacé par la fragmentation de son habitat et la multiplication des axes routiers,
le mammifère voit toutefois ses effectifs baisser: si les données manquent encore, une étude comparative réalisée en région zurichoise montre que son nombre y a fondu de 30% en dix ans seulement. Les résultats des études actuelles serviront de base pour évaluer l’évolution à venir. Rendez-vous dans une dizaine d’années.