Point fort
Par solidarité, des paysans romands accueillent des réfugiés

Plusieurs familles d’agriculteurs disposant d’une chambre ou d’un logement libre hébergent des Ukrainiens arrivés en Suisse à la suite du conflit qui sévit depuis février dans leur pays. Témoignages.

Par solidarité, des paysans romands accueillent des réfugiés

C’est Kira qui propose de faire la traduction. Yeux bleus en amande et rose sur les lèvres, la jeune femme de 18 ans pianote sur son téléphone portable comme toutes les ados de son âge et parle un anglais fluide qu’elle a appris très tôt à l’école. À côté d’elle, autour de la grande table en bois, il y a sa mère Hanna Konovalova, sa sœur cadette Marta, 9 ans, leur tante Ksenia Holman. Et aussi Olga Chihrina et sa fille Arina, 11 ans, des proches de la famille. Il y a encore deux mois, elles étaient écolières, responsable d’une boutique de prêt-à-porter, directrice de garderie ou cheffe d’une entreprise de traiteur à Kharkiv, deuxième plus grande ville d’Ukraine avec son million et demi d’habitants. Depuis le 13 mars, elles vivent dans le petit village de Begnins (VD), chez Reynald et Susanne Parmelin.

De Kharkiv au vignoble vaudois
Comme d’autres agriculteurs romands, ce couple à la tête d’un domaine viticole bio sur La Côte accueille des réfugiés ayant fui le conflit. «L’appartement de nos employés saisonniers était disponible. Cela nous paraissait absurde d’avoir ce logement vide alors que tant de familles cherchent un toit», explique le couple. Kira et sa famille sont arrivées en voiture et en train depuis l’Ukraine après un voyage interminable. Leurs pères, frères et époux sont, eux, restés pour combattre ou aider les civils et soldats sur place. Désormais, leurs téléphones sont les seuls liens qui les rattachent à leurs proches. «Nous nous écrivons tous les jours et suivons ce qui se passe là-bas depuis internet. Un ami nous a dit que notre immeuble avait été touché par des tirs. Le balcon est détruit et une fenêtre de l’appartement a été brisée», témoigne Hanna, les larmes aux yeux.

Les mots sont difficiles à prononcer, les émotions souvent confuses. Il y a d’un côté l’indicible douleur de la guerre et, de l’autre, une forme de reconnaissance d’être aujourd’hui en lieu sûr dans cette belle maison pendant que tant de compatriotes cherchent toujours à échapper aux bombes. «Cet endroit ressemble à un lieu de vacances», confie pourtant Ksenia en admirant la vue sur le vignoble et le Léman. Les premiers jours, le bruit des avions de ligne qui survolent cette commune située à une trentaine de kilomètres de l’aéroport de Genève les a terrifiées. Elles ont mis du temps à réaliser qu’ici, elles ne risquaient plus rien.

 

Quand la nature adoucit la peine
Les Parmelin les ont aidées dans leurs démarches administratives et la scolarisation des enfants. Ils ont lancé un appel aux Paysannes vaudoises pour récolter des vêtements et quelques affaires. Le couple de viticulteurs accompagne aussi les trois femmes dans leurs recherches d’emploi. «Mais elles ne parlent pas français et les postes sont forcément limités. Nous leur avons proposé de travailler avec nous à la vigne cet été si elles n’ont rien trouvé d’ici là. L’autre jour, l’une d’elles m’a donné un coup de main au jardin. Elles font tout ce qu’elles peuvent pour se rendre utiles, même si nous leur disons que nous n’attendons aucune contrepartie», témoigne Susanne Parmelin.

À Romainmôtier (VD), Marc et Muriel Benoit ont eux aussi accueilli des réfugiés dans leur exploitation laitière. «Au village, une voisine d’origine ukrainienne nous a informés qu’elle cherchait des lieux d’hébergement. Nous n’avons pas d’apprenti en ce moment et notre studio était libre», dit Muriel Benoit. Yuliya et Leonid Nikoialev sont arrivés il y a six semaines. Cette cheffe d’un restaurant âgée de 49 ans a fui Kiev avec son adolescent de 14 ans. Tous deux ont rapidement obtenu leur permis S. Leur nouvelle vie dans la petite commune vaudoise de 600 âmes est bien différente de celle qu’ils menaient dans la capitale de leur pays. «Ils n’avaient jamais côtoyé de bétail ni vécu à la campagne. Yuliya passe de longues heures à se promener en nature. Je crois que cet environnement adoucit un peu leur peine, même si la colère et l’incompréhension sont vives», ajoute Muriel Benoit. Un aspect émotionnel dont l’agricultrice n’avait pas mesuré l’ampleur. «Cette femme a le même âge que moi. Il y a encore quelques semaines, elle avait un emploi et un certain niveau social, son fils des amis et des projets. La guerre leur a tout volé», lâche-t-elle, impuissante. Yuliya a commencé à apprendre le français en vue de trouver un travail et Leonid est scolarisé à Vallorbe. Mais leur souhait le plus cher est de rentrer au pays sitôt que la situation le permettra.

Nouvelle vie aux côtés des animaux
Cultivateurs et producteurs laitiers à Villars-le-Terroir (VD), Anne et Pierre Cardinaux partagent eux aussi, depuis le 1er avril, leur quotidien avec Alina Boldesova et sa fille Polina, 9 ans. «Mon épouse et moi étions très touchés par la situation et souhaitions agir avec nos moyens. Nous avons élevé cinq enfants et notre ferme est grande», raconte l’agriculteur de 61 ans. Économiste et comptable, l’Ukrainienne de 34 ans a pu poursuivre une partie de son activité professionnelle à distance. Elle tient également à aider Anne Cardinaux à la cuisine les jours où celle-ci travaille à l’extérieur de l’exploitation. Polina, de son côté, aime assister à la traite du soir à l’écurie, cajoler les chats et s’occuper des lapins. «Elle adore le contact avec les animaux. Notre vie doit lui paraître bien exotique à côté de celle qu’elle avait à Kiev», dit Pierre Cardinaux. Le paysan et son épouse échangent souvent avec leurs hôtes le soir après le repas, s’aidant du traducteur de leurs téléphones. Depuis qu’ils ont accueilli Alina Boldesova et sa fille, ils suivent l’actualité «loin de leur regard, pour les préserver un peu».

En plus d’un hébergement, ces trois familles d’agriculteurs donnent aussi de leur disponibilité et de leur écoute. Tous ont confié être prêts à proposer leur accueil le temps qu’il faudra. «Personne ne sait quand la guerre s’arrêtera. Le plus important est qu’Alina et Polina puissent vivre en sécurité chez nous. Mais nous savons déjà que le jour où elles repartiront, nous ressentirons un grand vide et beaucoup d’émotion», admettent Anne et Pierre Cardinaux. À Begnins, alors que la séance photo touche à sa fin, Kira et sa famille tiennent à nous dire une fois encore leur reconnaissance envers les Parmelin. «Sans eux, nous ne savons pas où nous serions aujourd’hui. Entre nous, d’ailleurs, nous surnommons Susanne ‘la fée des Ukrainiens’», glissent-elles dans un sourire au moment de se quitter.

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Des milliers d’Ukrainiens en Suisse

La barre des 5 millions de réfugiés liés à l’offensive russe a été franchie en milieu de semaine dernière, selon les chiffres publiés par l’ONU. Un peu plus de deux mois après le début du conflit, 41559 réfugiés ukrainiens se sont enregistrés en Suisse et 33975 d’entre eux ont obtenu le statut de protection S, indiquait mardi 26 avril le Secrétariat d’État aux migrations. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), en collaboration avec des partenaires, coordonne leur accueil dans les familles. Les personnes qui souhaitent proposer un hébergement peuvent s’inscrire sur le site de l’OSAR.

+ D’infos www.osar.ch