De saison
L’ortie mal-aimée est promue super­aliment dans la cuisine de Patricia

Les 2 et 3 juin prochain, le village gruérien de Charmey organisera la troisième Fête de l’ortie. La plante urticante mérite mieux que sa réputation, selon Patricia Lebigre, qui la transforme en de nombreuses spécialités.

L’ortie mal-aimée est promue super­aliment dans la cuisine de Patricia

C’est un parfum surprenant, puissant et presque entêtant, qu’on peine à décrire. À sa porte, Patricia Lebigre préfère nous prévenir: la maison est habitée… La chambre d’amis, en effet, en est pleine, tout comme la cuisine et le salon, pour ne rien dire du jardin, littéralement colonisé. Urtica dioica a envahi une partie du lieu de vie de la dame, massothérapeute à Conthey (VS), mais aussi reine de la cueillette sauvage. Le parfum floral et herbacé, mi-foin mi-verveine, est celui de l’ortie, ramassée par brassées dans le val d’Hérens ces derniers jours et disposée à tous les étages du séchoir et jusque dans les pièces de la maisonnée; la même plante macère dans des bocaux de vinaigre; ailleurs elle se transformera en lotion capillaire; ici, elle a été réduite en poudre pour parfumer du sel de Bex (VD) et là elle servira à remplir des sachets mousseline de tisane.

Précédée d’une quinzaine gastronomique sur le même thème, la troisième Fête de l’ortie se tient début juin à Charmey: Patricia Lebigre y participe avec ses spécialités. En guise d’avant-goût, elle nous propose une recette de cookies à l’ortie et au chocolat, facile à réaliser avec des enfants.

Des cookies doublement bons

«Fraîche ou sèche, l’ortie se prête à de nombreux usages culinaires, mais elle est surtout une de mes plantes préférées. Les anciens du val d’Hérens l’utilisaient pour combattre la fatigue et stimuler les défenses immunitaires. Particulièrement riche en fer, protéines, vitamine C et magnésium, bonne pour les reins, la peau, les cheveux, on l’utilise des racines aux graines, crue, cuite, en jus, soupes, légume, salade, pesto et tarte… Ce n’est pas tout, l’ortie est aussi intéressante pour ses fibres, jadis utilisées pour produire des textiles, et en agriculture biologique.»

Et alors, ces cookies à l’ortie? «C’est une recette de mon amie Aline, un peu revisitée», précise Patricia Lebigre. Pour cette recette, il faut 150 g d’ortie fraîche, 200 g de copeaux de chocolat à 70%, 80 g d’huile végétale, par exemple caméline, 150 g de compote de fruits (pomme ou prune, par exemple), 100 g de sucre roux, 140 g de farine, un bol de noix, une pincée de poudre à lever et une autre de bicarbonate. «C’est superfacile et vite fait, précise Patricia Lebigre. On va juste hacher l’ortie, concasser grossièrement les noix et mélanger tous les ingrédients dans le robot mélangeur. Le four est préchauffé à 180°C. Comme je ne respecte jamais les recettes à la lettre, je vais y ajouter une pincée de gingembre… Nous allons garnir une première plaque, en déposant la valeur d’une cuillerée à soupe de pâte par cookie, et hop on enfourne!» Compter 25 min de cuisson à 170°C, en surveillant de temps en temps. Le résultat est délicieux, meilleur encore le lendemain.

À consommer tous les jours

Patricia Lebigre confectionne aussi du caviar d’herbes, du sel aux orties, des tisanes et des cakes, notamment pour la Fête de l’ortie ou d’autres marchés. «L’ortie fait partie à mes yeux du trio de plantes vraiment magiques, avec la consoude et l’impératoire. En homéopathie, on l’associe à la mort du père: elle aide à faire le travail du deuil, souligne la spécialiste. Ma tante, qui souffrait de diabète, a vu sa santé grandement améliorée après l’avoir intégrée à son régime. Il en faudrait tous les jours à notre table, pour sa richesse en fer et en vitamine C, son taux de protéines supérieur au soja. Utile en cas d’hémorragie, de piqûres d’insectes, antihistaminique, cette plante aide à mincir et à bien dormir et préviendrait même les ronflements.»

Mais qu’est-ce qu’on attend pour en cueillir? «Personnellement, je porte des gants, le truc consistant à retenir son souffle, c’est bidon», rigole la dame sous son chapeau. «Je les attrape comme ça, montre-­
t-elle d’un geste du poignet qui s’enroule au-dessus de l’extrémité des plantes. Et hop j’y vais à la serpette!» Patricia Lebigre cueille les orties essentiellement dans les alpages du val d’Hérens. «À la belle saison, mes activités de cueillette et de cuisine me prennent 80% de mon temps», relève cette militante de la plante piquante.

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Céline ribordy

L’ortie en fête

L’idée est venue d’un chef de la région, Alain Bourgeais, du Restaurant Le Chêne, à Charmey, voilà quelques années et s’est désormais étoffée. Pour sa troisième édition, la Fête de l’ortie est précédée d’une quinzaine gastronomique à laquelle contribuent une demi-douzaine d’établissements. Pour la première fois, Françoise Rayroud, fameuse cueilleuse de plantes sauvages pour la Pinte des Mossettes et divers chefs, proposera des ateliers d’initiation à la cuisine de l’ortie. Au programme aussi: des conférences de spécialistes, notamment Germaine Cousin, un accent sur le thème de la permaculture, des films, ateliers et animations destinés aux familles et aux enfants. Enfin, un marché proposera de nombreuses ­spécialités et produits à base d’orties.

L'artisane: Patricia Lebigre

Cueilleuse, guérisseuse, masseuse, rebouteuse pour les humains et parfois aussi pour les vaches… Patricia Lebigre a plus d’une casquette et plus d’une vie aussi, semble-t-il. Ses parents étant restaurateurs et son père rebouteux et distillateur à la vallée de Joux, elle a suivi la voie familiale en commençant par travailler dans la restauration au Tessin et en Valais notamment, avant de suivre une école de massage et de réflexologie à Zurich ainsi qu’une formation en homéopathie, de parfaire ses connaissances auprès des références de l’herboristerie Maurice Mességué, Nelly Grosjean et Germaine Cousin, avec laquelle elle travaille depuis une vingtaine d’années. Une science des plantes et de leurs vertus qu’elle exerce de mille manières, en confectionnant des spécialités culinaires vendues lors de manifestations – tisanes, pestos, vinaigres de plantes, caviar d’herbes –, mais aussi en proposant des ateliers et balades à la découverte de la flore sauvage dans les vallées alpines et en réalisant ses propres produits de soins.