Agriculture
«Ortie-culture» d’un genre nouveau sur les hauteurs de la Glâne

À Auboranges (FR), Ortica vient de planter un demi-hectare d’orties pour l’élaboration de son purin, auparavant issu exclusivement de la cueillette sauvage. Une première que Terre&Nature a suivie en direct.

«Ortie-culture» d’un genre nouveau sur les hauteurs de la Glâne

L’ortie, on l’aime en soupe et on en apprécie les vertus nutritives, anti-infectieuses et dépuratives. Les sols et les plantes, eux, la consomment volontiers sous sa forme fermentée, dont le nom évocateur de «purin d’ortie» en dit long sur son odeur âcre et caractéristique. Ses bienfaits suivent trois axes: Ortica dioica stimule la croissance végétale, renforce les capacités immunitaires des plantes et active la vie microbienne des sols.

Depuis l’homologation du purin d’ortie en 2015 par l’Office fédéral de l’agriculture, Raphaël Bonzon, paysagiste et horticulteur à Ropraz (VD), commercialise ainsi sa propre préparation, à base de plantes sauvages récoltées dans le Jorat et à Denges (VD). Un purin qui rencontre un succès croissant auprès des jardiniers, des horticulteurs et des maraîchers, amateurs ou non. Mais c’est surtout pour satisfaire sa clientèle privée que la nécessité d’augmenter ses volumes, confrontée au côté aléatoire de la cueillette sauvage, l’a incité à faire œuvre de pionnier. Et à se lancer dans la plantation d’orties – une première en Suisse. Un contrat de bail a donc été signé avec le propriétaire du champ attenant au hangar agricole où son entreprise fabrique son purin d’orties (ainsi que du purin de consoude et de prêle), à Auboranges (FR). Dès lors, la partie facile était terminée…

Plantation en plein champ

«On a essayé le semis, qui s’est soldé par un échec, raconte Raphaël Bonzon. Nous nous sommes donc tournés vers le planton.» Contacté, un producteur de plantons de tabac a fait part de son intérêt, avant de renoncer; en fin de compte, c’est l’entreprise spécialisée Swiss Plant, à Monsmier (BE), qui a relevé le défi. L’objectif d’Ortica: disposer d’une parcelle en production d’un hectare à l’automne 2020 ou au printemps 2021. Pour mettre toutes les chances de son côté, Raphaël Bonzon a d’abord réservé un demi-hectare à sa plantation pionnière; après quelques semaines de suspens chez Swiss Plant (l’ortie met beaucoup de temps à germer), un premier contingent de 70000 plantons lui a été livré fin juin.

«L’ortie a besoin d’un sol ultrafertile pour s’épanouir, indique-t-il. Nous avons donc amendé le sol avec un mélange de poudre de charbon concassé et d’eau épandu à la bossette, afin de stimuler le développement de la vie microbienne souterraine.» Et pour permettre à cette dernière de se maintenir sur la durée, une centaine de kilos de poudre de roche basaltique paramagnétique ont été semés sur la parcelle.

Assurer la croissance de la plante

Mais même sur ce terrain bichonné, tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Les mottes, tout d’abord, se sont révélées trop humides, puis trop petites pour la planteuse louée à un maraîcher; résultat, neuf plantons sur dix se retrouvaient tristement couchés, à repositionner à la main, une par une, par Raphaël Bonzon et son équipe – en prenant garde à ne pas en toucher les feuilles, bien urticantes en dépit du jeune âge des plantes. Après avoir troqué la machine pour une autre, au calibre adéquat, le pourcentage de plantons récalcitrants est tombé à 30%. «Mais les mottes n’étaient pas recouvertes pour autant…» Finalement, toute l’opération, évaluée à une journée, en a pris quatre; et le temps sec et venteux qui a suivi la plantation n’a pas contribué à rassurer Raphaël Bonzon, même s’il se montre philosophe.

«On s’aventure sur un domaine inédit. C’est si tout s’était déroulé sans problème que je me serais fait du souci! Heureusement, neuf plantes sur dix sont reparties sans difficulté. Le principal défi sera maintenant de lutter contre les adventices et de voir comment cette plante de sous-bois se comporte en plein champ, avec des étés tendanciellement plus chauds. À long terme, l’agroforesterie serait idéale pour apporter un peu de fraîcheur aux orties, mais cette solution n’est pas envisageable sur un champ en location!» Un système d’arrosage automatique a donc été installé. «Pour augmenter la teneur des plantes en fer, un élément qu’elles adorent et dont elles sont naturellement riches, nous allons faire macérer de la ferraille propre dans l’eau de pluie et l’eau de source à laquelle nous recourons, précise-t-il encore. Le complément azoté sera apporté sous forme de fumier de poule.»

Deux récoltes par an prévues

Dès l’automne, Ortica S. à r.l. s’attaquera à son second demi-hectare d’orties; la première récolte interviendra au printemps prochain. «La période idéale se situe juste avant la floraison, alors que la plante atteint 60 cm; on la coupe à 10 ou 15 cm du sol. Nous visons deux récoltes annuelles et 100000 litres de purin à chacune», espère l’entrepreneur. Entre-temps, les orties d’Auboranges feront la joie des papillons, dont plusieurs espèces ne comptent que sur leurs feuilles pour y pondre leurs œufs et laisser leurs larves s’y développer à l’aise.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): François Wavre

Questions à Raphaël Gétaz, maraîcher en biodynamie, Aubonne (VD)

L’ortie, une panacée en biodynamie?

Oui, elle a l’aura d’une plante quasi magique par la variété de ses propriétés. C’est un traitement naturel pour améliorer un compost: elle en augmente la teneur en soufre, véhicule la potasse et le calcium et régule efficacement le fer en l’absorbant s’il est en excès ou en le libérant dans le cas inverse. On l’utilise à titre préventif, en purin dilué dans l’eau d’irrigation des cultures ou pulvérisé sur les plantons avant leur mise en terre, mais aussi en poudre de feuilles séchées ou en infusions. On récupère même les déchets de fermentation pour les épandre sur les plantations qui manquent de vigueur! Et nous sommes en train de tester le paillage d’orties. Bref, on expérimente beaucoup.

L’agriculture ne s’y est pourtant guère intéressée à ce jour…

La recherche scientifique sur le sujet est en effet très lacunaire et manque de systématique. Sans doute parce qu’il s’agit avant tout d’un auxiliaire préventif, au service du sol et de l’interaction de ce dernier avec la plante; or, jusqu’à présent, ce domaine de recherche a été largement sous-estimé. Mais ça change.

La recette

Chez Ortica, les orties entières sont placées dans 14 cuves de fermentation de 1000 litres chacune (bientôt 20, plus une grande cuve de 6000 litres) remplies d’eau préalablement chauffée lentement à 28°C. La fermentation intervient en sept à neuf jours. Le purin est ensuite soigneusement filtré à la mise en bouteille, pour éviter que des résidus n’induisent une nouvelle refermentation dans les flacons (ce qui n’a toutefois pas d’influence sur l’efficience du purin).

+ d’infos www.purindortie.ch