Nature
La numérisation de l’herbier vaudois promet une révolution scientifique

Quelque 120 000 plantes séchées sont actuellement scannées aux Musée et jardins botaniques cantonaux de Lausanne. Ce précieux patrimoine sera ensuite mis à la disposition du public.

La numérisation de l’herbier vaudois promet une révolution scientifique

Imperturbable, Nicolas Bonzon enfile ses gants, s’empare d’un des nombreux dossiers déposés derrière lui et commence son travail d’ouvrier à la chaîne. Depuis plus d’une semaine, cet étudiant en biologie passe près de neuf heures par jour à scanner, une à une, les centaines de milliers de plantes séchées de l’herbier des Musée et jardins botaniques cantonaux de Lausanne, le troisième plus grand de Suisse après ceux de Genève et de Zurich. «C’est très répétitif. On se croirait de retour à l’époque du taylorisme», plaisante-t-il. Bien que les conditions de travail rappellent effectivement celles du XVIIIe siècle, l’impressionnante machine qui trône au centre de la pièce a plutôt des airs futuristes.

Partage des connaissances

Grâce à un senseur laser et à un tapis roulant sur mesure, le scanner, mis au point par une entreprise néerlandaise, permet de numériser quelque 500 spécimens par heure, des fougères aux edelweiss, en passant par les graminées et les feuilles de saule. Pour Christophe Randin, conservateur des lieux, c’est une vraie révolution qui s’opère. D’ici au 13 avril prochain, il devra avoir atteint son objectif: saisir les données des 120 000 plantes récoltées dans le canton de Vaud depuis les années 1800. «Ce n’est qu’une petite partie de la totalité de notre herbier puisque nous avons également des plantes provenant du reste de la Suisse et de l’étranger. Mais cela représente déjà un travail considérable, explique-t-il. Nous nous préparons depuis des années.»

En effet, les employés du musée, accompagnés de stagiaires, ont d’abord comptabilisé minutieusement les différentes parts d’herbier organisées par espèces et par régions. Cet inventaire fastidieux a ensuite permis d’établir un système de code-barre, servant à indexer l’herbier numérique. «Grâce à ce travail en amont, nous avons pu constater que nous possédions la totalité des 2600 plantes présentes dans la région, ce qui est une belle avancée», souligne-t-il.
Pour concrétiser le projet de numérisation cher à la petite équipe, le Canton a subventionné l’établissement à hauteur de 210 000 francs. Un montant raisonnable compte tenu des avantages d’une telle opération, estime Christophe Randin: «Ce projet permet de conserver notre patrimoine naturel dans l’espace et dans le temps, en le rendant accessible à tous plus facilement. C’est d’un intérêt public incontestable.»

Stimuler la recherche

Créé en 1824 grâce aux précieuses donations des biologistes suisses Jean Muret et Jean Gaudin, l’herbier vaudois est actuellement conservé dans le sous-sol d’un des bâtiments du jardin, avec le reste des collections. Bien que l’édifice d’une cinquantaine d’années soit loin d’être vétuste, il n’est pas à l’abri des possibles inondations et incendies, rappelle le conservateur. Sans compter que les insectes peuvent venir pondre dans certaines plantes. Quant à la consultation de l’herbier, elle n’est pas des plus ergonomiques. «Comme c’est un lieu ouvert au public, nous passons beaucoup de temps à chercher des planches pour les visiteurs. Cela fragilise nos vieux spécimens récoltés il y a plus de deux cents ans», relève Christophe Randin.

Pour préserver au maximum ces précieuses archives, les parts d’herbier sont dupliquées et stockées à l’Université de Lausanne. Dans quelques mois, un moteur de recherche permettra à tout utilisateur, en particulier aux scientifiques, de trier les données par espèce, lieu, nom du collecteur et date de récolte. Un sacré gain de temps en perspective! Au-delà de l’aspect pratique, cette initiative permettra de stimuler et faciliter la recherche en biologie. Nicolas Bonzon a même déjà pu le constater. «Après avoir numérisé tous les spécimens de feuilles de chêne du canton, j’ai remarqué grâce à des modèles statistiques que leur taille variait selon les précipitations et l’ensoleillement, relève-t-il. Si j’avais dû faire le même travail à la main, j’aurais mis beaucoup plus de temps!»

Adoptée par de plus en plus de jardins botaniques d’Europe dont celui de Paris – qui abrite l’herbier le plus grand du monde – la numérisation souffle un vent nouveau sur la science. Pour Christophe Randin, l’avenir de ce support est très prometteur. «Un herbier n’est pas un endroit poussiéreux et inerte comme beaucoup de gens se l’imaginent. Encore aujourd’hui, des biologistes nous amènent des espèces nouvelles apparues en Suisse depuis peu. C’est un puits de savoir infini en perpétuelle évolution.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): François Wavre/Lundi13

Carte en ligne

L’herbier 2.0 sera mis à disposition du public grâce à une interface en ligne disponible sur smartphone dès la fin de l’année. Par l’intermédiaire d’une carte, les internautes pourront visualiser l’évolution de la biodiversité du canton de Vaud. Pour enrichir l’application, chacun sera invité à vérifier les informations ou à compléter les données manquantes. «Voir l’évolution des espèces dans le temps et l’espace permettra de sensibiliser la population à l’impact des changements globaux depuis la première révolution industrielle», se réjouit Christophe Randin, conservateur.