Terroir
Militons pour une réhabilitation du pâtisson, un vrai délice de saison!

La plus discrète des cucurbitacées a été quelque peu oubliée après un regain d’intérêt il y a quelques années. Sa chair au goût d’artichaut, son look d’ovni pourraient lui ouvrir à nouveau le chemin des cuisines.

Militons pour une réhabilitation du pâtisson, un vrai délice de saison!

Ça y est, l’heure a sonné de ramasser les dernières, par ce froid d’octobre qui pique, avant de passer aux semis nouveaux. Les dernières? Une tribu multicolore nommée muscade ou spaghetti, longue de Nice ou rouge d’Étampes, butternut, patidou et autres potimarrons. Parmi cette farandole bigarrée, une pâlichonne fait un peu bande à part: couleur ivoire, gabarit aplati, avec sa découpe mi-fleur, mi-bonbon, son épiderme coriace emballant un cœur tendre. Un ovni? Même son nom est un peu particulier, évoquant des saveurs douces, pâtissières, plutôt que salées et légumières. Le pâtisson, c’est elle, semble réfractaire aux étiquettes et aux modes. Là-dessus Pierre Gallay, maraîcher à Cartigny (GE), avance son explication. «Tous les apprêts qu’on lui connaît, style gratin ou à la crème, sont passés de mode, surtout auprès des nouvelles générations.»

Voilà quelques années pourtant, le pâtisson avait la cote; on le voyait fleurir partout, souvent en miniportion, taille bébé, que les chefs utilisaient en déco, dans des salades ou jardinières originales, voire en pickles. Et puis pouf, le soufflé est retombé. «On a cultivé des pâtissons de cinq ou six couleurs différentes: orange ou jaune, vert ou marbré comme un melon, il n’est resté que le blanc parce qu’on ne vendait pas les autres», raconte le maraîcher du domaine de La Brunette. Pour l’heure, on installe ces drôles de cucurbitacées dans les palox pour les stocker au frais, on les débarbouillera ensuite dans une grande bassine, à l’arrière du magasin attenant à la ferme. Puis on en gardera quelques-uns pour la déco de saison, en cette veille de Toussaint (ou Halloween, c’est selon).

Facile à vivre aux champs

Le pâtisson se cultive comme la plupart de ses cousines, en mode flemmard, même si la plante évoque davantage une courgette: «Elle n’est pas rampante, s’allonge un peu mais ne court pas sur le sol comme la courge, signale Pierre Gallay. Pour la culture, franchement, rien de plus simple: tu mets tes graines en terre après les saints de glace, fin mai, et tu attends que ça pousse tout seul. On peut aussi faire des plantons et les installer autour du 15 mai. Comme la plupart des courges, qu’on mettait autrefois sur le compost, voire le tas de fumier, le pâtisson aime bien les terres humifères.»

On peut aussi bien le cueillir dès l’été, avant maturité: l’avantage des minipâtissons, récoltés en juillet ou en août, en plus d’être ravissants en conserves, est qu’ils peuvent se manger crus, râpés par exemple. Cette cucurbitacée modèle ne requiert aucun traitement et ne connaît pas davantage de ravageurs: «Les mulots adorent les graines, mais sa peau épaisse le protège en principe, sauf s’il est abîmé», note le maraîcher. Selon ProSpecieRara, le pâtisson appartient aux cucurbitacées des origines. Ramené par les Portugais du Nouveau-Monde où il se cultivait 8000 ans avant notre ère, le bonnet d’électeur, aussi nommé artichaut d’Israël, ciblème ou bonnet de prêtre, a été apprivoisé dans les jardins européens dès 1600.

Savoureux en cuisine

Le livre Saveurs d’antan – Été-automne, publié par ProSpecieRara, propose une recette de minilégume farci de fromage blanc et servi avec une salade. Sa chair fine et discrète – hésitant entre cœur d’artichaut et courgette –, qu’on s’est longtemps cantonné à apprêter en
gratin avec force béchamel et gruyère râpé, mérite d’être revisitée. Le truc de Pierre Gallay pour l’apprêter plus facilement quand le pâtisson est dur? Le passer brièvement au four, voire au micro-ondes, après quoi il se laisse éplucher sans faire d’histoires…

On peut aussi se contenter de le rôtir au four, le décliner en soupe ou purée, poêlé avec des légumes et champignons, épicé sur un mode asiatique, voire farci à la grecque. Le magicien des légumes Alain Passard, chef trois étoiles et cinq toques, du restaurant parisien L’Arpège, suggère une version aigre-douce: rôti au four et arrosé de beurre salé, servi avec une confiture de citron au poivre noir. Alors, cucurbitophiles de tout poil, levez-vous! La couronne impériale est aujourd’hui en péril. Un peu d’imagination pour la réinventer, que diable!

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Nicolas Righetti

Sucré ou salé?

Depuis l’arrivée des cucurbitacées en Europe, les différentes époques leur ont réservé un accueil contrasté. Elles ont ainsi beaucoup inspiré nos ancêtres des XVIIIe et XIXe siècles, à en croire l’historien François de Capitani, dans Soupes et citrons – La cuisine vaudoise sous l’Ancien Régime, qui évoque moult recettes de purées, soupes, gâteaux, fritures salées et sucrées. On ne résiste pas à celle-ci, nommée «courgeon farci», genre de pouding mêlant crème, œufs, amandes pilées, sucre et sel. On adore aussi la «citrouille en andouille», véritable trompe-l’œil végétarien, déclinant un légume cuit avec des herbes, épices et œufs durs en forme d’andouillette. De quoi revisiter le pâtisson?

Le producteur: Pierre Gallay

Son grand-père était paysan, élevait quelques vaches et cultivait des céréales sur les mêmes terres, au tournant du siècle. À cette époque, Cartigny (GE) comptait encore une trentaine de fermes. Son père s’est lancé dans le maraîchage et la vente directe, un précurseur. Aujourd’hui, Pierre Gallay et son épouse Martine, issue elle aussi de l’École d’horticulture de Lullier (GE), sont à la tête d’une quinzaine de salariés et d’une exploitation florissante. Quand il a repris le domaine de la Brunette en 1992, les vaches faisaient déjà partie de son histoire. Pierre Gallay a donné alors un bel élan aux cultures maraîchères. Sur 35 hectares, six sont aujourd’hui dévolus aux multiples variétés de légumes et fruits, quatre aux fleurs, le reste aux grandes cultures, sans oublier un poulailler. L’accent est mis sur la vente directe, via les marchés carougeois et, depuis 2007, une halle de 300 m2, couverte de panneaux solaires, abritant quelque 500 références du terroir, vins compris, sélectionnées avec une grande exigence.