Spécial Agrama
Dans les vignobles, la mécanisation prend le relais du travail manuel

Pentes sévères, terrasses, banquettes, faibles dessertes: la mécanisation des travaux viticoles doit s’adapter à des terrains très particuliers, d’où le recours à des solutions non conventionnelles. Tour d’horizon des innovations techniques.

Mécanisation vigne - Alain DouardMille nonante trois: c’est le nombre d’heures, d’après un calcul d’Agridea, consacrées à 1 hectare de vigne non mécanisée et plantée sur fil de fer étroit. C’est quasiment deux fois plus que ce que demande 1 hectare de vigne mécanisée avec tracteur ou chenillette à siège. Aujourd’hui, une proportion non négligeable du vignoble romand est constituée de vignes escarpées ou mal desservies, où l’essentiel des travaux reste, malgré les progrès techniques, tributaire de la main de l’homme. Les choses évoluent assez peu dans ce domaine, et c’est surtout au gré d’améliorations structurelles que les vignerons voient leurs conditions de travail s’améliorer. Mais encore faut-il que ces améliorations soient possibles!

Du nouveau dans les chenillards
En Valais, par exemple, on aménage des rampes à chenillards, souvent dans le cadre d’améliorations foncières à l’échelle communale, avec l’aide de financements externes (Fonds pour le paysage, Confédération, Canton, etc.). Ces coups de pouce maintiennent des exploitations, des paysages et des terroirs typiques et contrent l’abandon de parchets difficiles à entretenir.
À Ayent (VS), un projet pilote en cours permettra d’améliorer l’accessibilité au vignoble. «Il s’agit déjà de rendre les parcelles plus accessibles, explique Steeve Maillard, ingénieur à l’Office des améliorations structurelles. Il faut ensuite adapter les schémas de plantation. Les vignes doivent souvent être replantées en ligne suivant les courbes de niveau, voire en banquettes enherbées. La densité diminue pour permettre la circulation des tracteurs ou chenillards, on laisse ainsi une ligne libre au sommet des murs, notamment de ceux en pierres sèches, particulièrement sensibles aux passages d’engins.» Autre piste d’amélioration des conditions de travail: l’évolution du matériel. «Il y a une demande pour de petits porte-outils à chenilles», remarque Matthieu Loeffel, qui est en train de concevoir un tel engin dans son atelier de Boudry (NE) (voir encadré ci-contre). «Néanmoins, les terrasses doivent être aménagées en conséquence, surtout dans les tournières. Sinon, la seule solution est de continuer à la main.» Car même un petit véhicule a besoin d’un poids propre suffisant pour sa stabilité, afin de supporter des outils en position déportée et pour leur fournir assez de puissance moteur ou hydraulique.

Monorails
Le souci d’alléger le travail du vigneron est une vieille préoccupation. Près de Sion, le fameux vignoble de Clavau est parcouru par 36 monorails, qui ont plusieurs dizaines d’années de bons et loyaux services à leur actif. On trouve aussi de telles installations en Lavaux ainsi que sur les rives escarpées d’autres lacs. «Nous sommes parfois appelés à entretenir de vieux monorails», raconte Jean-Yves Chappot, patron de l’entreprise du même nom basée à Charrat (VS). Quand ces chariots sur rails arrivent en bout de vie, les remplacer coûte une fortune. Et d’ailleurs la plupart des constructeurs helvétiques ont cessé la fabrication, comme le vaudois Plumettaz, voire, pour d’autres, carrément disparu. En Suisse, seul le groupe schwytzois Garaventa en propose encore. Du côté d’Ayent, les offres viennent d’Italie, précise Steeve Maillard. Jean-Yves Chappot se souvient quant à lui qu’un constructeur japonais a une fois proposé un monorail dérivé d’un système de rampes d’escalier motorisées d’immeubles, en évoquant la possibilité d’y faire circuler un appareil de pulvérisation pour intervenir directement sur les terrasses.

Batterie contre deux-temps
La réalité du terrain est encore loin de ces visions futuristes. Elle reste faite d’atomiseurs à dos, de sécateurs, éventuellement électriques, de chariots de transport à chenilles. Ce qui n’empêche pas ces petits matériels de progresser aussi. Côté sécateur électrique, Felco a beaucoup travaillé sur la légèreté de son modèle et sur la forme de la lame spécialement adaptée à la vigne. Son modèle 801 est aussi très rapide dans ses mouvements, très loin devant les sécateurs électriques des années 1990.
Rappelons que, si beaucoup de vignerons restent fidèles à leur sécateur à main, les modèles électriques contribuent à ménager la musculature et les articulations de tout ceux qui taillent la vigne des mois durant. Côté traitements, l’atomiseur motorisé à dos a largement, sauf dans le cas particulier des herbicides, supplanté la boille classique pour les traitements qui ne peuvent être réalisés par voie aérienne. Quoique très bruyant, l’atomiseur est plus efficace. Pour le fauchage des parcelles non accessibles, la débroussailleuse a supplanté la faux et des modèles à batterie existent déjà. Leur présence est encore assez marginale en usage professionnel, du fait des contraintes de poids, de charge et d’autonomie que posent les batteries. Mais ce n’est probablement qu’une question de temps.

Texte(s): Alain Douard
Photo(s): Alain Douard

Bon à savoir

L’hélico, mal nécessaire?
En 2014, un vent de panique s’est mêlé au souffle des hélicoptères utilisés pour le traitement des vignes, en particulier en Suisse romande où quelque 1800 hectares sont
concernés. Le projet de révision de l’ordonnance sur la réduction des risques liés aux produits chimiques (ORRChim) menaçait les traitements par voie aérienne, ne laissant
aux cantons que le droit d’accorder des autorisations ponctuelles. «Ces régimes d’exception aboutissent souvent à une interdiction pure et simple», résume Pierre-Yves Felley, secrétaire de l’Association romande pour le traitement des terres agricoles par voie aérienne.
La disposition ne figure finalement pas dans le texte entré en vigueur en juillet 2015,
mais l’épisode a incité les vignerons à accélérer la mise à l’écart des produits de synthèse
pour le traitement des vignes à l’hélicoptère. Il fallait sauver son usage, car il permet
de mécaniser une opération astreignante, notamment dans les vignes difficiles d’accès, escarpées ou en terrasses, structures qui composent l’essentiel du paysage de Lavaux,
par exemple, ou encore quelque 30% du vignoble du Valais.

Entreprises

Dans les ateliers de Suisse romande

LOEFFEL, BOUDRY (NE)

Au-dessus de Boudry, l’entreprise familiale Loeffel&Cie,
qui emploie une dizaine de personnes, construit depuis 1989 des chenillards porte-outils spécialement développés pour les vignes en pente. Une dizaine de machines sont commercialisées chaque année. Si les plus grands modèles sont dotés de moteurs de 100 ch, les plus petits modèles de 42 ch font 68 cm de largeur pour une petite tonne sur la balance et conviennent justement aux vignobles en terrasses. Actuellement, le jeune ingénieur planche sur une machine à outils déportés, stable, légère, avec siège, pour des vignobles champenois.
www.loeffel-fils.com

CHAPPOT, CHARRAT (VS)

À plus grande échelle, les établissements Chappot SA, à Charrat, construisent une gamme diversifiée de chenillards porte-outils, de 18 à 60 ch, à raison d’une quarantaine d’unités par an. Chaque outil qui sort de l’atelier est plus ou moins unique, avec une finition et des équipements adaptés à la demande. L’entreprise Chappot a ainsi construit des minitracteurs robustes pour des bananeraies en Martinique. Mais ses principaux marchés restent la Suisse, l’Italie du Nord et la France voisine. L’électrification des outils, des pulvérisateurs et des écimeuses est l’une des priorités du fabricant valaisan, qui a présenté l’an passé un prototype de chenillard électrique à batteries.
www.chappotmachines.com

FELCO, LES GENEVEYS-SUR-COFFRANE (NE)

Les fabricants d’outils portatifs (cisailles, tronçonneuses) et de sécateurs sont de plus en plus nombreux à suivre la voie de l’électrification. Felco a rapatrié voilà quelques années l’entier de la conception de ses modèles dans ses bureaux d’études et son usine des Geneveys-sur-Coffrane. Felco est l’une des marques mondiales phares dans le domaine des cisailles et des sécateurs, certes pas en termes de volume de production, mais en raison de la maniabilité et de la durabilité de ses produits. Dans le Val-de-Ruz, on fabrique notamment un outil électrique spécialement effilé destiné à la viticulture: le 801. Felco mise non seulement sur la durabilité, la précision et la solidité, mais aussi sur l’autonomie qui ne cesse de s’allonger et sur la rapidité des mouvements de lame.
www.felco.ch