Point fort
L’initiative sur l’expérimentation animale peine à convaincre

Le 13 février, le peuple se prononcera sur l’interdiction de cette pratique. S’il est jugé trop radical par ses détracteurs, dont les éleveurs et les vétérinaires, le texte participe à créer le débat sur le bien-être des bêtes.

L’initiative sur l’expérimentation animale peine à convaincre

L’avenir de l’initiative «Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine – Oui aux approches de recherche qui favorisent la sécurité et le progrès» sera scellé dans dix jours. Si celle-ci a été lancée en 2017, le débat autour du bien-être animal – sa principale cible – est beaucoup plus ancien: ce sera la quatrième fois que les Suisses sont appelés à donner leur avis sur cette question, qui touche principalement à l’enseignement scientifique et à la recherche fondamentale. Les précédentes votations – qui visaient à prohiber ou limiter ces tests – avaient toutes été rejetées. D’après les sondages, le scrutin du 13 février s’apprête à suivre la même voie. Jugé extrême par ses opposants, le texte divise au sein même des associations animalistes. Décryptage.

Comment est encadrée l’expérimentation animale en Suisse?

Actuellement, ces expériences ne sont autorisées que si les résultats ne peuvent être obtenus autrement. Les chercheurs doivent respecter les principes des 3R (lire l’encadré ci-dessous), qui visent à employer des méthodes alternatives quand cela est possible, ainsi qu’à réduire le nombre de spécimens utilisés et les souffrances infligées. De plus, les bénéfices escomptés de l’étude doivent être considérés comme plus importants pour la société que les contraintes imposées aux bêtes, d’après la loi fédérale sur la protection des animaux. À titre d’exemple, ces tests sont interdits dans le domaine des cosmétiques.

Quelle est l’ampleur de cette pratique?

Du début des années 1980 à l’an 2000, la quantité d’animaux utilisés en laboratoire a fortement diminué, passant de près de deux millions par an à environ 560 000. Depuis, ce nombre stagne, avec des fluctuations annuelles. En grande majorité, ce sont des souris, suivies d’oiseaux/volailles, rats et poissons. En 2020, 235 000 individus, soit 40% d’entre eux, n’ont ressenti aucune souffrance. Ces expériences non contraignantes comprenaient par exemple des études d’observation et de comportement. Par contre, 3,5% ont subi une contrainte sévère, comme l’implantation d’une tumeur.

Qui sont les auteurs de l’initiative et que demandent-ils?

Un groupe de citoyens saint-gallois est à la tête du comité, dont la toxicologue Irène Varga, diplômée de l’EPFZ, la naturopathe Luzia Osterwalder, et le médecin Renato Werndli, cofondateur du premier cabinet médical végétalien du pays. Ils demandent l’abolition de toute expérimentation animale, ainsi que l’interdiction de l’importation de nouveaux produits ou composants développés à l’aide de ces pratiques. L’initiative réclame aussi que la recherche employant des méthodes de remplacement reçoive au moins autant d’aides publiques.

Qui est pour, qui est contre?

Le Conseil fédéral, le Parlement et l’ensemble des partis politiques ont balayé l’initiative. Fait rare, elle n’a même reçu le soutien d’aucun élu. Les milieux scientifique et économique l’ont aussi sévèrement rejetée. Plus surprenant, des associations animalistes, dont la Protection suisse des animaux (PSA), ont aussi pris position en faveur du non. En Romandie, la Ligue suisse contre l’expérimentation animale et pour les droits des animaux (LSCV) et la Coalition animaliste (COA) n’ont pas formulé de consigne claire, disant soutenir le but, mais pas le mode opératoire.

Quelle est la principale critique à l’encontre du texte?

Selon ses détracteurs, l’interdiction de l’importation va trop loin. «Notre pays serait coupé du progrès médical mondial. Des entreprises se délocaliseraient et nous perdrions des emplois. De plus, les nouveaux traitements seraient réservés à ceux qui ont les moyens d’aller se faire soigner à l’étranger», expose le Conseil fédéral. En outre, cette directive serait incompatible avec les engagements pris par la Suisse dans le cadre des accords de l’OMC et de libre-échange. Quant aux associations proanimaux, elles considèrent que cette stratégie – qualifiée par certains de «radicale», «maladroite» et «inapplicable» – dessert la cause. «L’initiative se met une partie de la population à dos, car personne n’a envie de manquer de soins, surtout en pleine pandémie. L’abolition de l’expérimentation animale se fera étape par étape», déclare Luc Fournier, ex-président de la LSCV et cofondateur du collectif Animal Équité.

Quel impact sur la médecine vétérinaire et l’agriculture?

La Société suisse des vétérinaires craint une pénurie de médicaments, dont une grande partie vient de l’étranger. Les animaux domestiques et ceux de rente seraient concernés. L’organisation faîtière de l’agriculture romande Agora avertit que les éleveurs suisses ne pourraient plus soigner correctement leurs bêtes. «Si l’initiative passe, il y aura une augmentation de la souffrance animale, assure son président Bernard Leuenberger. En parallèle, l’agriculture suisse s’engage depuis des années en faveur d’une utilisation toujours plus modeste de médicaments et antibiotiques.» Le même problème se pose concernant le développement de produits phytosanitaires. «En adoptant des réglementations plus strictes que celles de l’Union européenne, nous nous priverons d’utiliser des produits ayant été soumis à des tests toxicologiques efficaces. Cela aura un impact sur leur qualité, donc sur l’environnement et la santé humaine, avance-t-il. Chaque année, de nouveaux ravageurs, maladies et virus peuvent toucher les cultures et les bêtes. Nous devons les combattre. Cette initiative se tire une balle dans le pied.»

L’expérimentation animale est-elle indispensable?

Là est le cœur du débat. Si les deux camps s’entendent sur le fait qu’il faut tendre vers une diminution, voire une abolition de ces pratiques, ils sont en désaccord sur les moyens d’y parvenir. Le milieu scientifique insiste sur le fait que les méthodes de substitution – telles que les tissus et organes in vitro, la modélisation informatique ou les méthodes physicochimiques – ne peuvent pas, pour le moment, remplacer totalement les bêtes, notamment dans les recherches sur le cancer ou les vaccins contre le coronavirus. «Il n’y a pas de nouveaux médicaments sans expérimentation animale. Y renoncer serait néfaste pour nous et nos enfants», exprime Michael Otmar Hengartner, président du conseil des Écoles polytechniques fédérales. Parallèlement, la Confédération soutient le développement de méthodes de remplacement. En 2021, un programme doté de 20 millions de francs a été lancé pour favoriser l’application des 3R. Mais cette avancée ne satisfait pas les abolitionnistes, qui remettent en cause l’efficacité même de ce type d’expérimentation, en affirmant que les substances actives développées s’avèrent dans 90% des cas inadaptées à l’humain. «L’impact de ces tests sur la santé publique est médiocre, blâme Luc Fournier. En revanche, les alternatives ont énormément progressé ces dix dernières années. Si on leur alloue plus de fonds, elles se perfectionneront davantage. Une interdiction claire participerait à insuffler un changement.»

Quelle est la force de l’initiative?

Favoriser le dialogue entre la science et la société, à l’image des trois votations précédentes en 1985, 1992 et 1993, déclare Fabienne Crettaz von Roten, professeure à l’Université de Lausanne et auteure du livre Expérimentation animale: analyse de la controverse de 1950 à nos jours en Suisse: «Grâce à ces initiatives, la population a fait pression sur la science, ce qui a permis de diminuer cette pratique, tout en encourageant les chercheurs à sortir de leur laboratoire et à expliquer leurs protocoles. Aujourd’hui, il y a un vrai débat public sur le bien-être animal.» Débat qui est loin d’être terminé, puisque les Suisses seront invités à se prononcer sur l’interdiction de l’élevage intensif dans le courant de l’année.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): DR

3R remis en cause

Selon le principe des 3R (remplacer, réduire, raffiner), introduit en Suisse en 1987, le nombre d’animaux de laboratoire et les contraintes qui leur sont infligées doivent être limités au maximum. Il faut que ces expérimentations se justifient aussi par des bénéfices importants pour la société, relevant de la santé humaine, animale ou de la protection de la nature. Toutefois, ce protocole est jugé inefficace par les animalistes. «L’immense majorité des études répond à ces critères et les pesées d’intérêts sont toujours subjectives», regrette Luc Fournier, cofondateur d’Animal Équité et ex-membre de la commission d’éthique genevoise. En outre, les chercheurs n’ont pas d’incitation à développer des méthodes alternatives, «car ils doivent publier pour être financés. Et il est plus facile de le faire sans remettre tout le modèle en question.» Ainsi, les associations animalistes soulignent que «l’expérimentation animale bénéficie d’un soutien financier environ 35 fois plus élevé que les méthodes de remplacement».