Consommation
L’étiquetage nutritionnel européen inquiète les producteurs suisses

Les artisans du terroir helvétique souhaitent retoquer le label Nutri-Score pour qu’il prenne mieux en compte la qualité de leurs spécialités. Une première décision est attendue au début de 2022.

L’étiquetage nutritionnel européen inquiète les producteurs suisses

Pour l’électroménager, le pli est pris depuis longtemps: un label associant des lettres de A à G et un code couleur intuitif – du vert au rouge en passant par l’orange – permettent de choisir, entre deux appareils similaires, celui qui présente la meilleure efficience énergétique. Mais pour qui cherche à déterminer lequel de deux fromages sera le plus profitable (ou le moins dommageable) à sa santé, c’est plus compliqué: il faut lire la composition des produits écrite en caractères minuscules et comparer les deux étiquettes.

 

Un système volontaire

Pour remédier à cette lacune, le label Nutri-Score, mis au point en 2017 par un nutritionniste français, a été proposé dès 2019 aux marques et entreprises qui le souhaitaient, en Suisse également. On y trouve aussi une note, de A à F, avec un dégradé du «feu vert pour se régaler» au «feu rouge à un aliment pas forcément sain»; et là encore, le label vise à faciliter l’achat entre deux produits de même type – et non à opter pour un kilo de pommes au lieu d’une saucisse aux choux. Le principe: un algorithme établit un ratio entre composants à limiter et à favoriser, donnant lieu à une note, laquelle équivaut à un classement sur une échelle.

«Proposé sur une base volontaire, le système a été adopté par une centaine de marques et plus de 1300 produits portent le logo Nutri-Score ou sont sur le point de le faire», précise Estelle Hain, porte-parole de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Qui soutient l’introduction de cet outil, «destiné à aider les consommateurs dans leurs achats et qui s’intègre dans la Stratégie suisse de nutrition», relève la porte-parole. Un outil qui fait l’objet d’une introduction coordonnée en France, en Suisse, en Allemagne, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Espagne.

Un mécanisme interétatique de coordination a été mis en place, avec deux organes comprenant chacun un représentant suisse: un comité de pilotage pour la mise en œuvre et un organe scientifique chargé d’examiner les développements ultérieurs et les éventuelles modifications à apporter dès aujourd’hui au Nutri-Score. Dans ce cadre, «les associations professionnelles, les entreprises et les organisations non gouvernementales ont pu soumettre leurs préoccupations au comité jusqu’au 15 septembre dernier, précise Estelle Hain. Un premier rapport du comité scientifique doit être présenté au début 2022.»

On pouvait s’attendre à une levée de boucliers de la part des multinationales agroalimentaires. Elle a eu lieu, notamment en Belgique, où la Fédération de l’industrie alimentaire (FEVIA) s’est vivement élevée contre le nouvel étiquetage. Plusieurs groupes de ce secteur ont toutefois choisi d’y recourir, à l’image de Nestlé en Suisse. Et chez nous, l’opposition la plus marquée vient des producteurs et transformateurs artisanaux eux-mêmes. L’Union suisse des paysans a ainsi clairement pris position en faveur d’un retoquage de l’algorithme. «Les jus de fruits purs, par exemple, sont moins bien notés que les produits artificiels zéro ou light par exemple, lesquels ne contiennent aucun ingrédient sain, notait la faîtière dans un communiqué début octobre. Une correction de l’algorithme est ici nécessaire pour différencier les produits naturels des produits transformés.»

 

Des aliments discriminés

Même inquiétude auprès de Bio Suisse: «Et on peut craindre que le consommateur qui se fie au Bourgeon pour acheter un aliment sain ne soit un peu perdu par une éventuelle contradiction entre les labels», ajoute David Herrmann, responsable médias de l’association. Autre crainte, manifestée par l’Union des producteurs laitiers: «Le Nutri-Score discrimine automatiquement le lait entier et les produits à base de lait entier, les produits laitiers aromatisés comme les yogourts aux fruits, ainsi que le fromage et le beurre, en raison de leurs teneurs en graisse, en sel et en sucre.» Pour Swissmilk, le label n’est donc «pas à même d’atteindre les objectifs fixés». Il n’est pas conçu pour comparer des produits de nature différente, répondent en substance ses concepteurs, notamment sur le site français du Nutri-Score. Et alors que Swissmilk réclame une «approche holistique» de la valeur nutritionnelle des aliments, ils soulignent que le label vise précisément à faciliter ce type d’approche.

 

Un frein à la créativité

Chez les boulangers-pâtissiers, on s’émeut plutôt à l’idée d’introduire une contrainte de plus pour les petits artisans. «C’est un frein à la créativité, s’exclame Claudia Vernochi, secrétaire de l’Association suisse des boulangers-pâtissiers-confiseurs. On sait bien qu’un millefeuille contient du sucre et de la graisse, mais un dessert se déguste en toute responsabilité et la mauvaise conscience s’oppose au plaisir qu’il procure.» «Le Nutri-Score est une approche volontaire et une entreprise qui l’utilise peut à tout moment renoncer à le faire si elle n’est plus d’accord avec les conditions de base», se borne à rappeler Estelle Hain.

Le délai pour émettre des doléances est désormais passé, et le comité scientifique planche actuellement sur le traitement de ces dernières. Très discrètement. «Nous sommes tenus par une clause de confidentialité; seul l’OSAV est habilité à s’exprimer sur la question», lâche la représentante suisse au sein de l’organe, qui préfère rester anonyme. Reste que les principaux arguments ont déjà été réfutés bien en amont de la procédure interétatique. Et que les distributeurs eux-mêmes ont finalement adopté le label. Coop a ainsi emboîté le pas à Migros, qui l’avait introduit à l’essai sur certains produits dès août 2020 et prévoit de l’apposer sur toutes ses marques d’ici à 2025. L’OSAV, quant à lui, y voit un outil de santé publique efficace, notamment pour atteindre tant les objectifs de la Déclaration de Milan sur une réduction globale du sucre dans les aliments proposés aux consommateurs que ceux de la Stratégie de réduction du sel.

Et surtout, les labels synthétiques ont la faveur des consommateurs (voir l’encadré ci-dessous). Le Nutri-Score a donc de bonnes chances de s’imposer comme l’étiquetage quantitatif de référence en matière de nutrition.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): DR

Questions à Barbara Pfenniger, Fédération romande des consommateurs (FRC)

Comment la FRC considère-t-elle les objections émises par l’Union suisse des paysans ou Swissmilk, selon lesquelles l’approche de Nutri-Score est réductionniste?

La FRC recommande une alimentation basée sur des aliments bruts et proche de la pyramide alimentaire. Cependant, le mode de vie actuel amène les consommateurs à acheter régulièrement des aliments transformés aux caractéristiques nutritionnelles difficiles à interpréter. Dans ce cas, le Nutri-Score éclaire le consommateur en l’aidant à comparer des produits semblables et à intégrer le critère nutritionnel dans son choix, en tenant compte en outre de la composition, de la présence d’additifs, de la provenance, du mode de production et également du prix.

Nutri-Score nécessite d’être explicité pour être compris du consommateur et donc remplir son objectif. N’est-ce pas une faiblesse?

Tout système d’information agrégé doit être explicité pour être utilisé à bon escient. Plusieurs études ont montré qu’une explication simple permettait déjà au Nutri-Score d’améliorer la qualité nutritionnelle globale du panier des consommateurs.