Herbicide
L’éternel débat autour du glyphosate prendra-t-il fin dans une semaine?

La substance figurant dans la composition d’herbicides utilisés en agriculture, mais aussi dans les jardins privés est vivement contestée. L’Union européenne doit décider jeudi prochain si elle prolonge l’autorisation d’utiliser ce produit sur son territoire ou si elle le bannit définitivement.

L’éternel débat autour du glyphosate prendra-t-il fin dans une semaine?

Le glyphosate est au cœur des débats. Ce composant du désherbant Roundup, notamment, fait la une des médias ces derniers mois. Et pour cause: l’Union européenne doit se prononcer d’ici au 30 juin sur le renouvellement de l’homologation de ce produit sur ses terres. Or elle ne parvient pas à trancher et a repoussé pour la troisième fois consécutive son vote. Face à la pression populaire, elle n’arrive pas à prendre une décision, choix qui aurait normalement dû être pris par un comité technique. Au départ, l’autorisation de ce produit aurait pu être prolongée de quinze ans. Lors du deuxième vote, il s’agissait de l’étendre aux neuf prochaines années. Lundi 6 juin, «c’est même un simple sursis de dix-huit mois qui n’a pas emporté suffisamment de suffrages pour s’imposer», commente le journal Le Monde. Les États membres et les experts ne parviennent pas à s’accorder pour déterminer si ce produit est nocif ou non. Ils devraient toutefois prendre une décision le 23 juin prochain. S’ils n’y arrivent pas, l’homologation tombera. La polémique enfle aussi en Suisse. Le 8 juin, le Conseil national a accepté un postulat demandant d’étudier l’impact du glyphosate sur l’homme et les animaux. Selon une analyse récente, près de 40% des échantillons d’urine de citoyens helvétiques contiennent des résidus de cette substance. Mais de quoi parle-t-on exactement? Voici un tour de la question, hautement émotionnelle.

Le glypho quoi?
Le glyphosate est «un acide organique faible, analogue d’un acide aminé naturel, la glycine, doté d’un groupement phosphonate». Cette molécule a été découverte dans les années 1950. Elle n’a été brevetée qu’en 1970 par l’entreprise américaine Monsanto, qui l’a ensuite commercialisée comme herbicide à large spectre dès 1974 dans l’un de ses produits phares, le
Roundup. Il figure depuis les années 1980 dans les meilleures ventes d’herbicides sur le plan mondial, notamment dans les cultures OGM. En 2000, le brevet de la molécule expire. Depuis, on retrouve du glyphosate dans «plusieurs centaines de produits de protection des plantes en Europe», selon le Parlement européen.

Son action
Les herbicides contenant du glyphosate sont utilisés pour lutter contre les adventices vivaces comme le chiendent, mais aussi dans les champs avant l’implantation d’une culture sans labour. Les végétaux absorbent la molécule par leurs feuilles. Elle attaque les racines, interférant avec la production enzymatique d’acides aminés nécessaires à leur croissance. «Il s’agit d’un herbicide non sélectif, note Olivier Félix, responsable du secteur Protection durable des végétaux de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). En Suisse, il n’est pas utilisé sur les cultures directement, il y a donc peu de résidu.» Trop dispersé sur un seul site, il pourrait rendre, à terme, des plantes résistantes aux traitements.

Usages multiples
Dans les vergers, les vignes, les grandes cultures, en horticulture, sur les domaines publics des communes et même chez les privés: le glyphosate est utilisé par beaucoup de producteurs et même par des jardiniers amateurs pour éradiquer les mauvaises herbes, gourmandes en eau. «Dans les vignes par exemple, le glyphosate est répandu sous le rang sans toucher les feuilles, pour désherber les lignes», ajoute Olivier Félix, de l’OFAG. Les Allemands et les Anglais sont de grands utilisateurs de glyphosate. Dans ces pays, les paysans en emploient pour gérer jusqu’à 40% de leurs terres. Ils se servent parfois de ce produit pour dessécher les céréales avant de les récolter, une pratique interdite en Suisse.

Situation en Suisse
Tant pour l’Office de la santé et des affaires vétérinaires (OSAV), représenté auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et du JMPR (Joint Meeting on Pesticide Residues), que pour celui de l’agriculture, le glyphosate n’est pas considéré comme «cancérogène».
300 tonnes de cette matière active sont utilisées par an en Suisse, notamment par les CFF. «L’usage des produits est consigné par les agriculteurs dans leur carnet des champs, rappelle Dominique Barjolle, cheffe de la division Paiements directs et agroécologie du Service de l’agriculture et de la viticulture vaudois. Un usage raisonné et approprié est vérifié par des contrôleurs, parfois mandatés par les acheteurs.»

Quelle alternative?
S’il est interdit en Europe, voire au-delà, ces prochains mois, le glyphosate sera difficile à remplacer tel quel pour ses utilisateurs fréquents. «Il n’existe pas d’autre substance que l’on peut utiliser seule et qui ait le même effet d’herbicide total», constate Olivier Félix. Ceux qui souhaiteront traiter leurs cultures pour obtenir une action semblable devront  alors combiner plusieurs substances différentes, adaptées aux mauvaises herbes présentes sur les parcelles, par exemple. Parallèlement, les exploitations suisses refusant d’utiliser des produits phytosanitaires chimiques, en misant notamment sur une production entièrement biologique, augmentent. En 2015, la Suisse comptait 6244 exploitations bio, soit 0,8% de plus qu’en 2014, selon les dernières statistiques officielles.

Suspens au 30 juin
L’UE ne pourra pas repousser sa prise de décision indéfiniment: le 30 juin, l’homologation du glyphosate en Europe tombera.
Si elle n’est pas reconduite, les «États membres devront retirer les autorisations de tous les produits à base de glyphosate», selon la Commission européenne. Que fera la Suisse une fois cette décision prise? «Légalement, nous avons l’obligation de prendre en compte la décision européenne, note Olivier Félix. Cela ne signifie pas que nous l’interdirons par automatisme, mais nous évaluerons au moins si des adaptations des autorisations sont nécessaires.» «Agroscope est l’entité compétente pour faire ou évaluer les études de toxicité, renchérit Dominique Barjolle. Il y a une très haute compétence scientifique derrière ces décisions administratives.»

Levée de boucliers
Le glyphosate est très contesté dans le monde entier et la Suisse n’est pas en reste. En février dernier, une pétition munie de 25 340 signatures a été déposée à Berne par Greenpeace, la Fédération romande des consommateurs et les Médecins en faveur de l’environnement. Ce texte demande à la Confédération d’interdire les herbicides à base de glyphosate. Le 21 mai, près de 3000 personnes ont défilé simultanément devant Syngenta à Bâle et 1200 à Morges contre l’entreprise Monsanto, ses OGM et ses pesticides. Depuis le printemps 2015, différents herbicides à base de glyphosate ont d’ailleurs été retirés des rayons des magasins Coop et Migros, ces enseignes ayant choisi de suivre
le principe de précaution.

Dilemme d’experts
Le glyphosate est-il cancérigène ou inoffensif? Des experts n’arrivent pas à s’accorder sur l’effet sur l’homme de l’ingestion de ce produit via des aliments traités. Ne sachant pas sur quel rapport
se fonder, les représentants de l’Union européenne peinent à se prononcer. En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a classé dans la catégorie des substances «cancérigènes probables». Conclusion contredite par l’Agence européenne de sécurité des aliments puis, la semaine dernière par le JMPR, aussi issu de l’OMS et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il a estimé qu’il est «improbable que le glyphosate pose un risque cancérogène pour l’homme».

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): DR