Pierre-Yves Perrin, directeur de la FSPC
«L’État se désengage de la filière céréalière. C’est désespérant»

Comment pallier la suppression de la loi chocolatière, ces subventions fédérales de soutien à l’exportation, d’ici à 2018? Les céréaliers montent au créneau contre la Confédération, qu’ils jugent trop peu impliquée.

«L’État se désengage de la filière céréalière. C’est désespérant»

Le 1er janvier 2019, la loi chocolatière disparaîtra en tant que telle. Or les contributions à l’exportation concernent 12% de la quantité de céréales panifiables produites en Suisse. Comme éviter cette catastrophe annoncée pour la filière?
➤ Nous savons désormais que la Confédération continuera à distribuer cette manne, à raison de 4 fr. les 100 kg de céréales livrés au centre collecteur, pour autant que les budgets demandés par la filière soient confirmés. Désormais, nous nous demandons comment récupérer cette somme en vue de la redistribuer aux entreprises exportatrices. Tant que l’État ne nous accorde pas la force obligatoire nécessaire pour collecter ces fonds, c’est un véritable casse-tête! En finançant la différence de prix entre Suisse et Europe, la loi chocolatière nous a permis d’exporter 50’000 tonnes de céréales en 2016. Derrière ce chiffre, il y a certes des paysans, mais aussi des sites de production, des marchés durement acquis et des places de travail! Il nous faut donc à tout prix trouver une solution pour continuer à soutenir ces exportations, car toute la filière en a besoin!

Quel est le risque à vos yeux?
➤ Si on ne trouve pas de solution, ces quantités exportées vont se retrouver sur le marché indigène. Elles constitueront des excédents à gérer et généreront une pression supplémentaire sur les prix. À terme, ce sont 8000 hectares de blé qui peuvent disparaître. Quant aux entreprises, elles commenceront par faire du trafic de perfectionnement, puis elles délocaliseront la production. Au final, des usines fermeront. Si elle ne veut pas porter la responsabilité de ces délocalisations, la Confédération doit soutenir les filières.

D’après vous, il n’y a plus de velléités politiques à soutenir la production céréalière en Suisse?
➤ L’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) n’a malheureusement pas tenu compte de nos revendications lors des dernières consultations sur la politique agricole. Pire, plusieurs propositions allant dans le sens d’une ouverture des frontières ont été faites discrètement, tant pour les oléagineux que pour les céréales fourragères, ce qui pose problème aux producteurs, mais également aux acteurs situés en aval de la filière. On nous demande des filières fortes et on nous laisse entendre que les céréales panifiables sont un secteur stratégique, mais à côté de cela, l’administration souhaite simplifier le trafic de perfectionnement et les douanes refusent de collaborer pour nous informer des quantités exportées. Le discours est antinomique.

La PA 14-17 prévoyait une augmentation de surface en céréales fourragères de plus de 5000 hectares. Or on assiste (voir infographie en page 2) à une diminution des surfaces de 25% en quinze ans. Que faire pour enrayer cette lente agonie?
➤ L’OFAG pensait rendre la culture de céréales fourragères plus attractive en diminuant globalement les contributions pour les autres cultures dès 2014. Cette hypothèse était absurde et ne s’est du reste jamais vérifiée sur le terrain. Actuellement, un producteur de céréales fourragères ne gagne pas 10 francs de l’heure en moyenne! Avec ce manque de rentabilité, c’est logique que les surfaces diminuent. On attend donc toujours une contribution spécifique, solution la plus simple à mettre en place de la part de l’administration. Plutôt que d’affaiblir systématiquement la protection à la frontière, l’État ferait mieux de nous donner un signal politique clair en soutenant les fourragères à raison de 400 fr./ha. Il faut faire vite, car on est en train de perdre notre savoir-faire et la qualité de notre sélection. Des réflexions sont en outre en cours au sein de la filière pour mieux valoriser les céréales fourragères indigènes dans les aliments concentrés, mais cela prend du temps. C’est d’autant plus difficile que le taux d’autoapprovisionnement est très bas.

L’an passé, l’OFAG a mis en consultation un projet qui vise à diminuer de moitié le risque lié à l’utilisation des produits phytosanitaires en agriculture? Est-ce possible?
➤ Oui, c’est possible, mais il ne faut pas espérer maintenir les volumes de production agricole en diminuant fortement l’usage des phytos! Nos possibilités techniques actuelles ne nous le permettent pas. Prenez l’exemple des désherbants: on ne peut pas s’en passer partout chaque année. C’est une solution de rattrapage qui doit nous être laissée si les moyens mécaniques n’ont pas fonctionné. Même remarque avec les insecticides, qui restent indispensables dans la culture de colza. Aujourd’hui, on n’a aucune alternative valable pour lutter contre les méligèthes, qui sont l’ennemi No 1 des producteurs. Sans phytos, réussir en grandes cultures est encore trop coûteux et on manque d’alternatives techniques et variétales. Vouloir réduire l’utilisation de chimie en agriculture est louable et nous y travaillons. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, au risque de prétériter notre production et de devoir importer plus.

Ne risquez-vous pas de rater le train face à une demande des consommateurs pour plus de traçabilité?
➤ Nous préférons nous focaliser sur les 120 000 tonnes de produits de boulangerie importés chaque année en Suisse et dont le consommateur ignore totalement la provenance, faute d’étiquetage. Avec l’association Pain Suisse ainsi que l’association des meuniers et celle des boulangers-­confiseurs, nous voulons exploiter ce potentiel gigantesque, en commençant par sensibiliser le consommateur à acheter suisse. Le consommateur est très sensible à la proximité et à la traçabilité des produits suisses d’autant plus qu’ils sont produits avec des normes environnementales rarement atteintes à l’étranger.

Il n’y a toujours pas d’accord de libre-échange avec la Malaisie, qui pourrait ouvrir grand la porte à l’huile de palme. De quoi commencer à vous rassurer…
➤ Oui et non. Le prochain round de négociations est prévu durant le troisième trimestre 2017. Un accord est toujours envisageable, donc notre filière colza reste clairement menacée. On maintient la pression pour éviter à tout prix cet accord qui met en péril toute la filière, mais également la santé des consommateurs.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Jean-Paul Guinnard

La production suisse en 2016:

Céréales 145’000 hectares cultivés (167’700 en 2005), dont 82’000 de céréales panifiables (88’000 en 2005) et 63’000 de céréales fourragères (83’400 en 2005).
Oléagineux 2’000 hectares de colza, 4700  de tournesol et 1770 de soja.
Protéagineux 4600 hectares de pois protéagineux, 580 de féverole, 100 de lupin.