Insolite
Les vaches aussi vont à l’école!

À Kilchberg (ZH), Anne Wiltafsky a fondé un centre unique en Suisse, où elle forme vaches et bœufs à la traction et à la monte. Rencontre avec des bovins particulièrement talentueux.

Les vaches aussi vont à l’école!

Les vaches d’Anne Wiltafsky savent tout faire: monter les escaliers, tirer un traîneau, exécuter une révérence et même sauter des obstacles, un cavalier sur le dos. Pourtant, la jeune femme ne souhaite pas en faire des animaux de cirque. Mais plutôt inciter le grand public, les agriculteurs et toutes les personnes qui les côtoient à porter un regard différent sur les bovins, en mettant en lumière les multiples talents qu’elle fait éclore chez ses protégées. Elle espère ainsi contribuer à une meilleure prise en compte de leurs besoins et de leur psychologie dans les fermes. «Non, les vaches ne sont pas bonnes uniquement à fournir du lait et de la viande! Ce sont des animaux qui se révèlent fabuleux pour le loisir, s’enthousiasme cette Zurichoise. Curieuses, intelligentes, amusantes, elles développent une relation privilégiée avec la personne qui s’occupe d’elles.»

Apprendre en jouant
Alors que Jeanette, Gianna, Friedolin et leurs congénères s’ébattent tranquillement dans leur pré enneigé, on ne peut qu’être frappé par la complicité qui lie Anne Wiltafsky et ses bovins. Ceux-ci cherchent activement sa compagnie, tordant le cou ou levant gentiment une jambe pour lui indiquer les endroits où ils souhaitent être grattouillés. Si elle s’éloigne, vaches et bœufs l’accompagnent dans son déplacement, ne la quittant pas d’un onglon. «Chacun d’eux a son caractère propre et sa spécificité. Onyx sait rester calme dans toutes les situations, Bambine est plus turbulente, tandis qu’Olessa développe une patience incroyable avec les gens qui l’approchent.»
Pour former ses vaches, Anne Wiltafsky s’efforce de varier les exercices, car celles-ci se lassent vite s’ils se répètent trop souvent. «Même des animaux plus âgés peuvent apprendre: ainsi Jeanette a commencé à travailler après douze années d’une carrière de vache laitière. Mais il est plus aisé d’habituer déjà les veaux par des exercices simples. La notion de jeu et de plaisir partagé est essentielle dans mon approche», explique-t-elle. Elle nous en fait la démonstration, invitant Gianna à jouer avec elle en liberté dans le pré. Espiègle, la holstein suit avec allégresse Anne Wiltaf­sky au galop dans la neige.  La jeune femme doit sans aucun doute sa sensibilité et son approche instinctive des bovins à son enfance passée en Allemagne. Elle y a grandi entourée d’animaux de toute sorte, guidée par son père, un biologiste passionné par l’observation du comportement animal. «J’ai formé mon premier veau alors que j’avais 12 ans à peine, car ma mère me racontait qu’elle montait des vaches lorsqu’elle était enfant.»

En selle et pour l’attelage
Il est temps de partir en balade. Olessa est attelée à un traîneau en bois. Avec flegme et patience, cette croisée brune-simmental le tire sans peine sur le chemin enneigé. «Les vaches ne sont pas craintives, il est aisé de les atteler à divers engins. La difficulté provient plutôt de les inciter à aller de l’avant.» Anne Wiltafsky selle ensuite Murmel, un bœuf dépassant allégrement la tonne, puis prend place sur son dos pour faire le tour du village, sous l’œil surpris des passants, qui ont plutôt l’habitude de voir les cavaliers monter des chevaux. «On ne peut pas assimiler ces deux espèces l’une à l’autre. La différence est déjà physique. La vache n’a pas l’endurance ni la vitesse des équidés, à cause de sa morphologie plus trapue. Elle a en revanche beaucoup de force. Son comportement face à l’inconnu est totalement distinct. Une vache sait qu’elle a des cornes pour se défendre en cas de danger, ce qui l’incite moins à fuir. Elle est donc moins peureuse et apprend souvent plus vite qu’un cheval.» L’approche développée par Anne Wiltafsky est cependant si naturelle qu’on se surprend à oublier le côté incongru de la situation, alors qu’elle dirige l’imposant animal d’un simple licol. «Avec un bœuf ou une vache, on peut avoir autant de plaisir qu’avec un chien ou un cheval. Et les activités à partager ne manquent pas!»

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Véronique Curchod/ G. Benoit à la Guillaume

Son école a formé des stars du petit écran

Après avoir étudié la philosophie, l’art et les sciences sociales, l’Allemande Anne Wiltafsky a rejoint la Suisse pour des raisons familiales, voilà une dizaine d’années. L’École des vaches a été fondée en 2008, avec pour but premier de sauver de l’abattoir huit veaux d’engraissement. Un pari réussi, puisque la formation en traction et en monte qu’Anne Wiltafsky a donnée à ces veaux lui a permis de leur trouver un autre débouché en les vendant pour le loisir. Désormais, son objectif est de transmettre ce savoir oublié, en accompagnant les propriétaires de bovins qui souhaitent parfaire le dressage de leurs animaux. En parallèle, elle travaille quotidiennement ses propres vaches et bœufs. Elle enseigne également aux vétérinaires, aux agriculteurs et à toute personne intéressée comment décoder le langage corporel des bovins et s’en approcher sans susciter leur crainte, afin notamment d’éviter les accidents. Ses animaux sont régulièrement sollicités pour participer à des tournages de films ou de publicités. Gianna a notamment l’habitude des feux de la rampe, ayant prêté son physique à la vache Lovely de la publicité pour le lait. Et dernièrement, Bambine a tourné un spot publicitaire pour de fameux bonbons aux herbes suisses.
+ D’infos www.kuhschule.com

Histoire

Le bovin est le principal animal de travail utilisé à travers le monde aujourd’hui encore, surtout par les populations les plus défavorisées, loin devant le cheval. Sa docilité et sa puissance sont particulièrement appréciées comme moyen de déplacement, pour les travaux des champs ou le transport de marchandises. Au Brésil, il existe même une unité de police qui a recours au buffle comme animal de selle. En Asie centrale, l’utilisation des yacks comme monture ou comme animal de bât est largement répandue. Les historiens estiment que l’homme a attelé des bœufs dès le IVe millénaire av. J.-C. Certains considèrent, sur la base de peintures rupestres, que la vache, domestiquée 1500 ans avant le cheval, a été le premier animal à être monté par l’homme. En Allemagne, dans les années 1930, on comptait près de 2,5 millions de vaches utilisées pour le travail.