Interview
«Les troupeaux peuvent être encore mieux protégés à l’alpage»

Chaque été, les loups attaquent des troupeaux et provoquent des pertes de bétail. Pour l’expert d’Agridea Daniel Mettler, la situation n’est pas catastrophique, mais plutôt perfectible.

«Les troupeaux peuvent être encore mieux protégés à l’alpage»

Cet été, les attaques de loup sur des troupeaux d’ovins et de bovins ont à nouveau défrayé la chronique. La pression, chaque année un peu plus forte, de ces prédateurs n’est-elle pas en train de signer l’arrêt de mort de l’économie alpestre?

➤ Je ne pense pas. Force est de constater que, depuis vingt ans, soit depuis l’installation du loup en Suisse, ce secteur n’a pas connu d’effondrement majeur. On peut même estimer que, dans sa globalité, l’économie alpestre va plutôt bien, eu égard aux pressions des prédateurs, mais aussi à l’augmentation des coûts de production ou à la difficulté de trouver du personnel par exemple. La Politique agricole 2014-18 a joué un rôle crucial pour maintenir le nombre de bêtes sur les alpage en introduisant des contributions d’estivage supplémentaires dédiées . Mais une fois ce constat posé, il faut tout de même reconnaître que les structures ont considérablement évolué.

Justement, quelles tendances observe-t-on ces dernières années?

➤ La plus notoire est l’augmentation du nombre de vaches mères, au détriment des laitières. En 2020, pour la première fois dans l’histoire de l’économie alpestre des Grisons, les effectifs de vaches allaitantes ont dépassé ceux des laitières. C’est symptomatique. Et cette tendance va se poursuivre. Mais les productions de lait et de fromage sont restées cependant stables à l’échelle nationale, grâce à une hausse régulière de la productivité des troupeaux. Du côté des petits ruminants, les caprins ont connu une forte hausse; on voit apparaître de véritables troupeaux, témoignant d’une professionnalisation et d’un marché demandeur de fromages de chèvre.

Mais qu’en est-il des ovins, nettement plus touchés par la présence du loup?

➤ Le tableau est un peu moins flatteur et la diminution des effectifs indéniable: on est passé de 1000 alpages accueillant des moutons en 2000 à moins de 700 aujourd’hui. La pression exercée par le loup, notamment l’apparition et la multiplication de meutes depuis 2011, a eu un effet évident sur le cheptel ovin estivé. Mais je vois là le verre à moitié plein: sans les progrès accomplis en matière de gestion des troupeaux et sans les mesures de protection des troupeaux qui ont été prises ces vingt dernières années – chiens, bergers, clôtures –, la diminution aurait été encore plus forte. Le gardiennage et les pâtures tournantes se sont quasi généralisées, grâce aux moyens financiers mis à disposition dès que le troupeau dépasse 400 têtes. Si bien qu’on estime aujourd’hui que près de 70% des moutons estivés sont protégés grâce à un système de clôtures ou gardés par un berger. La Suisse en compte désormais plus de 250, tous professionnels, contre une centaine il y a vingt ans encore. La formation rencontre un franc succès: on espère former 350 bergers d’ici dix ans. Augmenter la part des alpages gardiennés est la condition sine qua non pour assurer la survie de l’estive et la pérennité de ce secteur.

Mais les attaques répétées de loups épuisent les hommes.Quelles sont les pistes pour permettre une co-existence durable avec le prédateur?

➤ À mes yeux, on peut encore optimiser la protection des troupeaux d’un point de vue technique et socio-économique. On a déjà amélioré considérablement notre savoir-faire en la matière. Le nombre de loups est certes décisif, mais ce n’est pas l’unique facteur. On sait ainsi que l’hétérogénéité du troupeau le rend vulnérable et que la hauteur des clôtures importe moins que la présence d’électricité. En outre, le matériel et la qualité d’électrification se sont nettement améliorés. C’est certes un travail supplémentaire conséquent pour le berger, mais qui a aussi un effet bénéfique sur les bêtes – avec moins de problèmes sanitaires et de meilleures performances – ainsi que sur la biodiversité des pâturages. Nos connaissances sur le comportement des loups ont considérablement évolué. Si les mesures d’effarouchement semblent influencer faiblement leurs mouvements, on sait aujourd’hui que le gibier guide le déplacement des meutes. Raison pour laquelle le Portugal a réintroduit des cerfs, pour cantonner le prédateur dans certaines zones et ainsi diminuer sa pression et les dommages aux troupeaux.

Morsures, nuisances sonores, attaques: le chien de protection est-il réellement une solution pérenne?

➤ Certes, il est potentiellement un élément conflictuel et il peut représenter une charge psychologique supplémentaire pour l’exploitant. Mais il constitue néanmoins une mesure efficace à l’alpage, à condition qu’on sensibilise davantage les acteurs touristiques et le grand public. Il y a aussi un potentiel d’amélioration dans la sélection génétique.

La Confédération et les cantons en font-ils assez pour soutenir les alpagistes?

➤ On ne peut pas résoudre tous les problèmes avec l’argent, mais force est de constater que le travail supplémentaire qui pèse sur les épaules des bergers et éleveurs doit être mieux soutenu, d’une manière ou d’une autre. Appenzell Rhodes-Intérieur, par exemple, finance désormais la protection des chèvres sur les alpages. Glaris prévoie de soutenir les alpages qui ne peuvent pas se permettre d’engager un berger. Le Valais subventionne les cabanes pour berger. Les cantons se positionnent donc différemment pour compléter la politique fédéral, qui, malgré une volonté politique affichée de soutenir l’économie alpestre, doit être plus forte.

Texte(s): Propos recueillis par Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Les veaux, des proies trop faciles

Qui dit accroissement des troupeaux de vaches mères dit augmentation des vêlages à l’alpage. «Si les mises-bas ne peuvent pas être programmées en dehors de la saison d’estivage, il faut diminuer les risques pour les veaux, surtout au cours des deux premières semaine après la mise-bas. A fortiori dans un contexte où les meutes de loups sont toujours plus fréquentes», précise Daniel Mettler. Pour ce faire, l’expert recommande les pâturages clôturés pour le vêlage, à l’instar de ce qui se pratique depuis cette année dans les Grisons.

+ d’infos Agridea et le service chargé de la protection des troupeaux viennent de publier une brochure consacrée à la protection des veaux à l’alpage, www.protectiondestroupeaux.ch

Bio express

Daniel Mettler

Âgé de 49 ans, Daniel Mettler travaille pour la plateforme de vulgarisation agricole Agridea depuis 2004. Il est responsable du groupe Agriculture de montagne et Protection des troupeaux. Diplômé en philosophie, il a été alpagiste et berger durant sept ans dans la région
du Pizol (SG). Il a également vécu en famille sur un alpage mixte aux Diablerets (VD) avec une dizaine de chiens de protection.