Mécanisation
Les robots dans les champs sont-ils sécurisés?

L’autonomisation s’accélère en agriculture, engendrant de sérieuses interrogations quant à la sécurité des paysans et de leurs collaborateurs. Des solutions apparaissent progressivement.

Les robots dans les champs sont-ils sécurisés?

Au milieu de la campagne seelandaise, un robot progresse lentement sur une parcelle d’oignons. Venu du Danemark, le Farmdroïd  – 3 mètres de large pour 800 kg – désherbe les plants à une vitesse de 250 mètres par heure. Guidé par signaux GPS, relié à 14 satellites, il suit une trajectoire définie à l’avance et corrigée par signal RTK. L’autonomie est donc totale pour cette machine équipée de capteurs solaires et de batteries, que l’agriculteur contrôle à distance par le biais de son portable, même s’il se trouve lui-même à plusieurs kilomètres.

Maxime d’Autheville, assistant de recherche à la HAFL de Zollikofen et spécialisé en robotique agricole, l’affirme sans ambages: les éventualités que l’appareil quitte le champ et se retrouve sur une route cantonale sont extrêmement faibles. «D’abord grâce au système de programmation initiale qui est infaillible et ne laisse aucune chance aux sorties de territoire. Ensuite parce qu’en cas de perte de signal GPS, le Farmdroïd s’arrête automatiquement.»
Outre la collision avec un humain, la «sortie de zone» est l’un des risques majeurs liés à l’autonomisation des machines agricoles. «À la différence du robot industriel qui fonctionne en espace clos dont l’accès est contrôlé, son homologue agricole travaille en environnement totalement ouvert», relève Cédric Seguineau, en charge de la sécurité chez Naïo, leader mondial de la robotique agricole. Impossible par exemple de contrôler d’éventuels promeneurs, approchant par curiosité, et malgré la présence de pancartes préventives, la machine en plein désherbage.

 

Barres sensibles et capteurs

«D’où l’importance de créer une bulle de sécurité autour de l’engin», explique Cédric Seguineau. Chez Naïo, cette bulle fait partie intégrante de la conception des trois robots agricoles: Oz, Dino et Ted, utilisés en maraîchage et en viticulture, sont ainsi équipés de capteurs physiques permettant de détecter la présence éventuelle d’obstacles. «Sur Oz, nous utilisons également une barre sensible, située à l’avant du véhicule, qui le fait disjoncter sitôt qu’elle touche quelque chose. Et pour les plus perfectionnés, un système d’identification breveté, en cours de développement, permettra par exemple de faire la différence entre une jambe et un cep de vigne.»

Outre des avertisseurs et un gyrophare, des bumpers situés devant chaque roue stoppent l’engin sitôt qu’il entre en contact avec un obstacle. Le Farmdroïd, lui, est ceint d’une cordelette tendue à 50 cm du sol, arrêtant la machine sitôt effleurée. Il est bien équipé d’une caméra, mais elle a une vocation de webcam plus que de détecteur de mouvement, permettant à l’utilisateur de rester éloigné de la parcelle pendant toute la durée de l’opération.

Ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne Dino et Ted. «Du moins, pour le moment, assure Cédric Seguineau. Ils doivent être surveillés par un «berger» en bord de champ. Il est en effet des situations propres à l’utilisation extérieure, qu’on ne peut pas encore maîtriser.»

Diminuer la présence de l’opérateur en garantissant la sécurité, c’est là tout l’enjeu des recherches menées actuellement par Naïo et ses concurrents. «Mais l’usage de machines autonomes ne doit pas non plus devenir une charge mentale pour l’exploitant, conclut Maxime D’Autheville. Le Farmdroïd sème et désherbe jour et nuit. Et comme un robot de traite, il peut avertir en tout temps l’utilisateur qu’il y a un problème. Le risque de pression psychologique est donc bien réel.»

+ d’infos Le SPAA consacre une journée à cette thématique (présentations et documents disponibles sur www.spaa.ch) – Forum mondial de la robotique agricole, 7-9.12, Toulouse. www.fira-agtech.com

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): DR

L’EPFL à la rescousse

Dans le laboratoire de robotique collaborative de l’EPFL, pas de barrière, pas de zone de sécurité. Ici, humains et machines évoluent en étroit contact. Mais la notion de sécurité est omniprésente – elle est même au cœur des recherches de Baptiste Busch, fondateur de l’entreprise spin-off Aica, et de son collaborateur Dominic Reber (notre photo). «Les robots collaboratifs sont conçus pour partager le même espace que l’humain et pour interagir avec lui dans la production. On leur confère une forme d’élasticité, via des capteurs de force et des détecteurs de présence, qui sécurise leurs mouvements.» Le système dynamique de génération de trajectoires mis au point par les chercheurs de l’EPFL vient véritablement révolutionner le rapport homme-machine, rendant le robot plus facile à utiliser et moins dangereux. «S’ils sont pour l’instant à vocation scientifique et industrielle, les robots collaboratifs, également conçus pour apprendre par la démonstration, pourraient intégrer le secteur agricole et les structures de petite taille pour des tâches adaptatives, comme la manipulation de plants sous serre.»

Bon à savoir

«L’arrivée des robots d’une part, la numérisation croissante et le recours aux nouvelles technologies de l’autre posent des questions complexes en matière de sécurité», affirme Étienne Junod, du Service de prévention des accidents. Outre les dangers physiques liés aux collisions avec l’utilisateur, celui plus insidieux d’un risque psychologique n’est pas à sous-estimer. «Dans l’ensemble, les nouvelles technologies apportent leur lot de complexité et de problèmes, analyse Thomas Anken, expert en technique agricole pour Agroscope. Même si les agriculteurs ont des affinités avec ces technologies, il leur faut supporter cette pression supplémentaire.» En outre, le recours aux robots, synonyme d’hyperconnectivité, augmente le risque de cybercriminalité, de dépendance d’un système de production à l’énergie grise. «Sans compter la question de la confidentialité des données», poursuit le scientifique, qui évoque aussi celle, latente, de la responsabilité en cas d’incident. «Que se passe-t-il si un véhicule agricole autonome cause un accident sur une route? Le flou réglementaire est total.» Thomas Anken recommande aux agriculteurs souhaitant s’équiper par exemple d’un robot de traite ou d’un système d’irrigation intelligent de s’assurer de leurs propres capacités à s’impliquer dans un nouveau rapport à la machine. «Et ce n’est pas si simple! Il y a un conflit évident entre le bon sens paysan, basé sur l’observation et le feeling, et le fait de déléguer à une machine autonome.»