De saison
Les raisinets rougissent sur des coteaux du Pays de Vaud

Les groseilles à grappes ont fait une apparition remarquée sur les marchés dès la fin juin. Ces petites baies rouges, des bombes acidulées à faire frétiller les papilles, sont très riches en vitamine C et en antioxydants.

Les raisinets rougissent sur des coteaux du Pays de Vaud

Au cœur du canton de Vaud, de petites touches rouge vif attirent l’œil dans un paysage marqué par les grandes cultures céréalières, le maïs et les vignes. À Orny (VD), les grappes de pinot noir ou de gamay des Côtes de l’Orbe côtoient celles plus vermillon encore des raisinets. Sur près d’un hectare, ces baies acidulées, gorgées de jus, prennent de la couleur, en ligne, entre deux échalas.
Voilà plus de vingt ans que Pierre-Alain Messeiller en cultive sur ses terres, en rangs espacés. L’agriculteur s’est mis à en faire pousser pour rentabiliser un coin de terre, jusque-là voué à la jachère. Il s’est d’abord creusé les méninges pour trouver quelle plante pourrait se plaire dans cet environnement quelque peu hostile. Cet arbuste venu du nord, pas trop coûteux, lui a semblé être un bon candidat. «Je ne savais que faire de cette parcelle, qui est pentue et orientée plein nord, explique Pierre-Alain Messeiller. En 1997, j’y ai planté des groseilliers et cela a bien fonctionné.» À tel point qu’il est aujourd’hui le plus grand producteur vaudois de ces petits fruits.

Caprices de la météo
Cette plante a en effet plusieurs atouts, dont celui de produire des baies plutôt robustes. Dès la mi-juin, lorsque les grains sont mûrs, c’est-à-dire que leur peau tendue est écarlate à souhait – la saison commence. Les mains s’activent alors le long des plantes, poussant en longueur et en largeur, le long des fils. On se croirait en pleines vendanges. Les arbustes, atteignant parfois les 2 mètres de haut, sont garnis de ces délices estivaux, à déguster en gelée ou en tarte meringuée.
La récolte se fait ligne après ligne, en évitant les grains encore verts. Deux passages sont nécessaires pour tirer le meilleur parti des groseilliers jusqu’à la fin de la saison, autour de la mi-août. Pour échelonner la cueillette, Pierre-Alain Messeiller a planté trois variétés plus ou moins précoces (jonker van tets, rolan et rovada). «Cette année, nous avons commencé la cueillette avec une semaine de retard, à cause de la météo, explique l’agriculteur. Puis, avec la canicule, certaines grappes ont eu un coup de soleil. Elles ont comme cuit sur pied et doivent être jetées.»

Résistance à toute épreuve
Ses quatre employés cueillent avec soin les groseilles, avant de les déposer dans des barquettes. Elles seront vendues dans la plupart des grandes surfaces romandes. Le rythme est soutenu, les gestes délicats pour éviter d’écraser les grains: en une heure, dix kilos de raisinets – l’un des fruits les moins caloriques du marché – sont prêts à rejoindre les étals. «Ils se conservent mieux que les fraises ou les framboises, note Pierre-Alain Messeiller. On peut les garder au frigo une dizaine de jours. J’aime dire que ce sont des fruits de charpentier, car ils sont très résistants!» Il n’y a en effet aucune trace écarlate sur les mains des cueilleurs, signe que ces petites billes sont mûres à souhait. «Une fois rouges, on peut les récolter pendant quatre ou cinq jours», note Pierre-Alain Messeiller. Ce côté pratique, il ne l’a pas retrouvé lors d’essais avec des cassis, culture où il y avait trop de pertes, selon lui.

Cinq tonnes
Appréciant les climats plutôt rigoureux (voir l’encadré ci-dessus), les groseilliers sont faciles à vivre et peuvent donner des fruits pendant une vingtaine d’années. Mais pour garder un bon rendement, Pierre-Alain Messeiller a choisi d’en remplacer certains tous les cinq ans ou plus rapidement, ces arbustes supportant mal les longues périodes chaudes, comme celle de l’an dernier.
En Suisse, près de 250 tonnes de raisinets sont produites chaque année. Cinq tonnes proviennent des terres des Messeiller«Le 95% de ma production, qui suit les critères de SuisseGAP pour une agriculture respectueuse, est vendu à Léman Fruits, ajoute-t-il. J’écoule le reste dans mon épicerie.» Même si cette baie est moins populaire que ses consœurs les fraises et les framboises, elle a toutefois des amateurs, l’ensemble de la production trouvant chaque année preneur.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Thierry Porchet

Le producteur

Pierre-Alain Messeiller
Maraîcher, agriculteur, patron de l’épicerie et jardinerie La Ciboulette à Orny: Pierre-Alain Messeiller coiffe plusieurs casquettes. En plus de ses grandes cultures – de blé, orge, maïs ou encore colza – il cultive une soixantaine de légumes et de fruits, dont des raisinets. Il écoule une bonne partie de sa production directement dans son magasin, qu’il a ouvert en 2013 au bord de la route de La Sarraz. «L’épicerie a remplacé le self-­service que j’avais installé à cet endroit. Il fonctionnait tellement bien que l’on a voulu l’agrandir, en se préservant des vols en même temps», raconte Pierre-Alain Messeiller. Seize personnes travaillent aujourd’hui avec lui, notamment au printemps et en été, lors des récoltes. Marié et père de trois enfants, l’homme est passionné par la Russie. Il parle d’ailleurs russe couramment.
+ D’infos www.laciboulette.ch

Des noms à gogo

Ces petites billes rouges ont un nombre impressionnant de surnoms selon la région francophone dans laquelle on se trouve. Ainsi, on les appelle raisinets ou raisinelets en Suisse romande, castilles en Anjou, cassis rouges ou blancs en Bretagne et au Canada, grades, gadelles au Québec voire même gradilles en Basse-Normandie! Même ses origines sont nébuleuses. Certains arbustes ont été importés de Scandinavie, d’autres d’Asie ou encore d’Amérique du Nord, des régions montagneuses et plutôt froides, relativement tardivement, les Grecs et les Romains ne connaissant pas ces fruits acidulés. Il a fallu attendre le XIIe siècle pour que ces fruits fassent leur apparition en Lorraine.