Reportage
Les promesses du biochar ont séduit un groupe de paysans zougois

Une dizaine d’agriculteurs du canton de Zoug se sont lancés dans la fabrication de biochar, un charbon aux propriétés fertilisantes obtenu en pyrolysant des déchets de bois.

Les promesses du biochar ont séduit un groupe de paysans zougois

Franz Keiser exploite un petit domaine à Edlibach, à une dizaine de kilomètres de la ville de Zoug. Situés à 750 mètres d’altitude, ses treize hectares et sa soixantaine de bêtes à l’engrais ne permettaient pas, il y a quelques années encore, de dégager suffisamment de revenus pour son fils et lui. Et encore moins pour un salarié. Et pourtant, aujourd’hui, ils sont trois personnes à pouvoir vivre sur l’exploitation. «C’est grâce au biochar, confie le paysan en désignant de la main un bâtiment qui abrite depuis quatre ans une centrale de pyrogazéification. Cette dernière transforme du bois déchiqueté en un charbon dit «végétal» ou «à usage agricole », plus communément appelé biochar.
L’idée de développer cette activité a germé il y a une dizaine d’années dans l’esprit de Fredy Abächerli. Fils et frère de paysan, cet agronome gère le cercle de machine dont Franz Keiser est membre. Particulièrement active dans la collecte et le traitement en compost de déchets verts, la société Verora, qui réunit une trentaine d’exploitants, assure également des travaux forestiers, et propose aux particuliers du bois déchiqueté destiné au chauffage.

Proche de la Terra Preta
«J’ai entendu parler de la pyrogazéification comme une solution pour valoriser les déchets de taille, raconte Fredy Abächerli. Le biochar issu du processus est également réputé comme un amendement organique très intéressant, se rapprochant de la Terra Preta d’Amazonie.» Il y a plus de mille ans, les populations amérindiennes enfouissaient en effet un compost enrichi de charbon pour améliorer la fertilité de leurs sols. De quoi inspirer le Zougois. «Nous sommes déjà engagés dans le compostage et le déchiquetage, pourquoi ne pas offrir la possibilité aux paysans de diversifier encore un peu leurs sources de revenus, tout en profitant d’un amendement organique riche?» Après avoir convaincu une poignée de paysans, il présente un dossier de faisabilité aux autorités. La Fondation suisse pour le climat accepte de financer en partie les 800 000 francs nécessaires à l’installation de la centrale. Le biochar est en effet reconnu comme un moyen efficace de séquestrer du carbone, et donc digne d’intérêt dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Du bois chauffé à 500°C
La centrale de pyrogazéification, acquise en Allemagne, est opérationnelle depuis 2015. Son fonctionnement est relativement simple: les copeaux de bois restants du broyage sont convoyés à l’intérieur d’une immense chaudière où la température dépasse les 500°C. En l’absence d’oxygène, ils sont dégradés en une vingtaine de minutes en charbon, refroidis, et viennent remplir d’immenses sacs. Le gaz produit par la pyrolyse est quant à lui brûlé, alimentant ainsi en chaleur l’installation, autonome d’un point de vue énergétique à 96%. La chaleur résiduelle permet de sécher les copeaux de bois dans une halle attenante. «Le bois destiné à la pyrolyse doit être fraîchement déchiqueté et contenir 30% d’humidité. Ça conditionne l’efficacité du processus et la qualité du produit final.»

Bon pour le sol et les animaux
L’an passé, la société Verora a produit quelque 1000 m3 de biochar. Les premiers utilisateurs sont les paysans eux-mêmes, qui s’en servent comme engrais organique dans leurs pâturages et terres ouvertes. «Il accroît la fertilité des sols et les rendements agricoles, car il favorise une activité microbienne, conserve l’humidité, les éléments nutritifs et augmente le taux de matière organique des sols», énumère Fredy Abächerli, en plongeant ses mains dans un sac. «Le charbon est également connu pour régler les problèmes métaboliques du bétail laitier. Bien des détenteurs de vaches laitières y recourent», assure Franz Keiser.
Incorporé dans le silo d’herbe ou directement mélangé dans l’aliment des vaches, le biochar séduit ainsi de plus en plus de paysans. Les Zougois en commercialisent désormais à travers toute la Suisse. «Nous faisons actuellement des essais avec des centres de recherche pour incorporer du biochar dans l’aliment et la litière des volailles et des porcs.» Le biochar pourrait également intéresser les jardiniers amateurs. «On l’intègre à hauteur de 30% à du compost et on obtient un substrat qui offre les mêmes caractéristiques que les fameuses terres noires du Seeland», assure Fredy Abächerli. À Genève, la Haute École du paysage, d’ingénierie et d’architecture utilise le biochar des paysans zougois dans la constitution de technosols (voir l’encadré). «Et il y a encore de nombreuses pistes à explorer», se réjouit l’agronome zougois, persuadé qu’à l’avenir, le biochar sera une carte à jouer prometteuse pour l’agriculture suisse.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

En chiffres

La société Verora, c’est:

  • 11 actionnaires agriculteurs dans le canton de Zoug.
  • 1900 m3 de compost produites chaque année.
  • 2700 m3 de bois déchiqueté vendus à des particuliers ou pyrolysés pour le biochar.
  • 450 m3 de biochar produites en 2018.

+ d’infos www.verora.ch

Bon à savoir

La Haute École du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA) commande régulièrement du biochar à Fredy Abächerli et à ses collègues. «Il nous sert de base dans la fabrication de sols artificiels, également appelés technosols, destinés à des dispositifs d’épuration des eaux de ruissellement, ainsi que dans les plantations urbaines», explique Pascal Boivin, enseignant à l’HEPIA. À Vinzel (VD), un ancien décanteur a ainsi été transformé en un épurateur pédologique. Durant deux ans, ce filtre expérimental, constitué en grande partie de biochar zougois, a éliminé naturellement les pesticides des eaux de surface provenant d’un bassin versant de 13 hectares. L’efficacité du processus intéresse désormais les CFF et l’Office fédéral des routes (OFROU), qui cherchent des solutions pour dépolluer les eaux de ruissellement après leur passage sur les voies et routes. «Les propriétés du biochar ouvrent de nombreuses possibilités, explique Pascal Boivin. Sur cette base, on peut façonner à sa guise des technosols aux propriétés adaptées à différentes fonctions et extrêmement efficaces.»
+ d’infos www.hesge.ch/hepia