du côté alémanique
Les pommiers du futur naissent à Soleure grâce à Poma Culta

À Hessigkofen, le maraîcher-arboriculteur Niklaus Bolliger travaille depuis vingt ans à sélectionner des pommiers résistants aux maladies.

Les pommiers du futur naissent à Soleure grâce à Poma Culta

Pour pouvoir rentrer dans le verger de Niklaus Bolliger, il faut d’abord franchir une épaisse haie d’arbustes. Derrière, des centaines de variétés différentes de pommiers sont alignées. Entre chaque arbre fleurissent du sarrasin ou de la phacélie. «Les fleurs sont essentielles au bon fonctionnement des lieux. Elles assurent l’équilibre entomologique, pilier de mon verger biodynamique», ­explique le Soleurois.
Niklaus Bolliger n’est pas un arboriculteur comme les autres, à plus d’un titre. Avec son épouse, il reprend en 1986 un petit domaine maraîcher bio à Hessigkofen. Au début des années nonante, il acquiert trois hectares de vergers conventionnels, qu’il reconvertit aussitôt à la biodynamie. «Les variétés golden et jonagold, n’étaient pas du tout adaptées à mes pratiques. Il fallait tout changer.» À l’époque arrivent sur le marché les premières variétés de pommes résistantes. «Comme beaucoup, je me suis rué sur la topaz, qui résistait effectivement à la tavelure, mais était sensible à la maladie des taches de suie.» Déçu, il décide alors de créer ses propres variétés. Son idée est bien précise. Trouver un arbre qui produise des fruits de qualité, croquants, aromatiques, aptes au stockage, et qui réclame une protection phytosanitaire minimale. «Après quelques essais de croisements sur la base de la ­topaz, je me suis aperçu que sa résistance monogénique ne tenait pas sur les générations, raconte l’arboriculteur. J’ai arraché la majorité de des arbres concernés et suis reparti de zéro, sur une base de braeburn croisée avec une variété allemande, la renora. J’ai cherché à marier les qualités des deux variétés.»

Ni cuivre ni soufre

Après des années de tâtonnements, Niklaus Bolliger professionnalise son activité de sélectionneur en 2004. Il crée l’association Poma Culta et recherche des fonds. Désormais il ne se consacrera plus qu’à la recherche du pommier du futur, qui se cultiverait sans apport de cuivre et de soufre. Le producteur maraîcher se mue ainsi en agence matrimoniale, effectuant des mariages plus ou moins heureux entre diverses variétés et mettant en terre chaque hiver 3000 graines de pommes obtenues par pollinisation croisée. Après une phase juvénile au cours de laquelle l’arbre atteint 2 mètres de haut, 50 à 100 jeunes arbres sont greffés. «Pendant les deux années qui suivent, je regarde comment le pommier se comporte par rapport au mildiou et à la tavelure, mais aussi sa vigueur et son architecture», explique Niklaus Bolliger. Les premières pommes sont récoltées trois ans après le greffage. Seules quelques-unes correspondent à ses exigences de qualité et feront leurs preuves lors du stockage.
À force de recherches et d’essais, Niklaus Bolliger est parvenu ces dernières années à sélectionner quelques variétés suffisamment robustes et donc intéressantes à ses yeux. Six d’entre elles sont désormais en test aux quatre coins de l’Europe, des Pays-Bas au Tyrol du Sud, de la Thurgovie à la région nantaise, chez des arboriculteurs pratiquant la biodynamie. «D’ici deux ou trois ans, on pourra évaluer si l’une d’entre elles convient pour l’arboriculture biologique et faire une demande de licence, afin de la protéger en Europe.»

Manque de moyens

Jusqu’à présent, Niklaus Bolliger n’a jamais gagné un franc avec ses pommiers. Le Soleurois, qui exploite aujourd’hui le seul site officiel de sélection de pommes bios en Suisse, reconnaît volontiers que la sélection pomicole revient à chercher une aiguille dans une botte de foin… «Nous aurions les capacités d’étudier 6000 plantules par année et de nous lancer dans la sélection biologique de poires, mais il nous manque des fonds.» Poma Culta participe à un projet de la Confédération sur la valorisation des anciennes ressources génétiques et bénéficie à ce titre de soutiens. «Mis à part ce projet, l’association se finance uniquement grâce à des donateurs et mécènes, confie Niklaus Bolliger, qui regrette l’absence de soutien de la grande distribution. Ils ne veulent pas prendre de risques, c’est dommage!» Avec un budget annuel de 15 000 francs, Poma Culta poursuit donc son œuvre titanesque dans l’anonymat ou presque. «À chaque génération, on fait un pas de plus vers la vérité, philosophe le Soleurois, qui sent bien que l’intérêt du consommateur grandit pour son travail. Mais finalement, le marché décidera!»

www.pomaculta.org

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller / Pia Neuenschwander

Bon à savoir

Niklaus Bolliger a équipé chacun de ses arbres, même les plus jeunes qui sont encore en pépinière, d’un code-barre. «À chacun d’entre eux correspond une histoire, explique le producteur. Et il faut pouvoir la connaître en détail pour savoir si l’arbre en question est un candidat potentiel à la sélection!» Toutes les semaines, Niklaus Bolliger parcourt donc les rangs avec son bureau mobile équipé de Bluetooth, scannant les arbres au fur et à mesure et reportant ses observations – stade phénologique, maladie du feuillage, couleur du fruit, niveau de maturité, etc. – directement sur son ordinateur. C’est son fils, spécialisé dans les nouvelles technologies, qui a conçu ce logiciel sur mesure. «J’ai plusieurs dizaines de critères, que je note sur une échelle de 1 à 9. Autant dire qu’à raison de 3000 plants par an sur quinze ans, j’ai une base de données désormais importante!»

En chiffres

Biohof Rigi, c’est:

15 hectares de surface agricole utile à 600 mètres d’altitude.
2,5 hectares de cultures maraîchères.
Les légumes sont vendus au marché de Soleure et par abonnement dans un panier.
0,5 hectare de production fruitière.
1 hectare destiné à la sélection de nouvelles variétés de pommes dans le cadre des activités de l’association Poma Culta.
Le reste en blé, maïs, herbages et surfaces de compensation.
7 vaches mères suitées.
www.biohof-rigi.ch