Agriculture
Les pois font un retour remarqué dans les campagnes helvétiques

Changement d’habitudes alimentaires oblige, les cultures riches en protéines ont le vent en poupe. Exemple à Montmollin (NE), où les pois sont devenus incontournables sur les plans agronomique et commercial.

Les pois font un retour remarqué dans les campagnes helvétiques

Nichées au creux du discret vallon de Serroue, les parcelles de la famille Leuba-Robert ont fière allure. En cette mi-juillet, elles ont fait du paysage un véritable patchwork de couleurs et de textures qui flatte l’œil du visiteur. Et pour cause: sur la quarantaine d’hectares du domaine, on ne compte pas moins d’une dizaine de cultures différentes. Outre les traditionnels blé, orge, colza et tournesol, les agriculteurs neuchâtelois récolteront cette année du lin, du millet, de l’avoine, du sarrasin, du quinoa et trois variétés de pois destinés à l’alimentation humaine – chiches, jaunes, fripés.

Si Geneviève, Philippe et Killian ont fait le choix audacieux de diversifier à ce point leur assolement, c’est avant tout pour des motifs agronomiques. «Nous pratiquons une agriculture de conservation depuis vingt ans», explique Philippe Leuba. Outre l’abandon du labour et l’adoption du semis direct, l’exploitant s’est donc employé à allonger les rotations culturales, alterner systématiquement cultures de printemps et d’hiver, et optimiser les couverts végétaux. «Je maximise la production de biomasse pour alimenter mes sols, les rendre résilients et autonomes dans leur fonctionnement biochimique et, bien sûr, séquestrer un maximum de carbone.»

 

Bons pour la terre

À 800 mètres d’altitude, sur un sol superficiel rocheux et argilo-calcaire, le défi est de taille. «Vu notre contexte pédoclimatique, les cultures protéagineuses et leurs atouts agronomiques évidents sont rapidement devenus une part importante de notre système agro-économique.»

Comme toutes les légumineuses, les pois sont en effet autosuffisants en ce qui concerne l’alimentation azotée. «Ils s’avèrent parfaits dans la stratégie de non-travail du sol et de captation du carbone, apprécie Nicolas Courtois, conseiller agricole genevois et spécialiste en agriculture de conservation. En outre, ces cultures de printemps font barrière au développement des adventices problématiques comme les ray-grass et les vulpins. Et ce sont d’excellents précédents culturaux, qui laissent des résidus moins volumineux que les pailles de céréales.»

Depuis 2017, les Robert-Leuba augmentent chaque printemps la sole consacrée à cette culture, qui atteint 5 hectares cette année. «On a d’abord commencé avec le pois chiche. À la demande des épiceries avec lesquelles nous travaillons, nous nous sommes mis ensuite aux pois jaunes et aux pois fripés», raconte Geneviève Robert.

 

Une culture délicate

Certes peu exigeantes en matière de fumure, ces protéagineuses ne sont pour autant pas si simples à réussir. Au vallon de Serroue, on les sème généralement entre mars et mai, derrière un couvert gélif implanté à l’automne en guise de relais à une culture de quinoa. «Les variétés de l’espèce Pisum sativum se développent bien, aiment la fraîcheur et l’humidité, observe Killian Leuba. Elles nous laissent des sols épurés et bien enrichis en azote diffusé par leurs nodosités racinaires, grâce aux rhizobiums naturellement présents dans le substrat. Les gousses ont le temps de parvenir à maturité et de sécher avant d’être battues au mois d’août.» Les pois chiches, par contre, peinent davantage à couvrir le sol et se font vite envahir.

En outre, Cicer arietinum est connu pour se plaire en conditions séchardes et nécessite une longue période de maturation – synonyme de battage tardif. «C’est une culture délicate, a fortiori au-dessus de 600 mètres d’altitude, confirme Diane François, responsable des oléoprotéagineux chez Semences UFA. Généralement, les agriculteurs cultivant des protéagineuses pour le bétail ou l’alimentation humaine ne disposent que de peu de marge de manœuvre, les matières actives homologuées pour ces cultures étant rares. Ils sont donc condamnés à les cultiver de façon extensive et les rendements, loin d’être garantis, peuvent être décevants.»

 

Adapté à la Suisse

Il en faut plus pour décourager les Leuba-Robert, qui ont saisi l’occasion de développer une véritable filière, valorisant désormais la totalité de leur récolte en circuit court (voir encadré ci-dessus). «Ce sont des protéines très intéressantes nutritivement, car faciles à assimiler», assure Geneviève. Pois chiches, jaunes ou fripés sont dignes d’intérêt pour tous ceux qui doivent trouver des alternatives aux céréales ou cherchent à remplacer les protéines d’origine animale pour des raisons éthiques.

Et de conclure: «Le pois n’a-t-il pas fait partie de notre alimentation pendant des décennies? Il est adapté à nos terrains et à notre climat et on en a cultivé jusqu’au XXesiècle. À nous de lui redonner ses lettres de noblesse!»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Questions à Peer Schilperoord, biologiste indépendant

À quelle époque cultivait-on des pois destinés à la consommation humaine en Suisse?

Les pois sont arrivés en Suisse il y a environ 7000 ans avec la culture arable, simultanément au blé, à l’orge et à l’aulin. S’ils ont survécu dans les jardins domestiques, ils ont disparu des champs avec l’industrialisation de l’agriculture, au milieu du siècle dernier. Le pois fourrager a connu un renouveau ces dernières années, certains cahiers des charges comme celui de l’agriculture biologique exigeant des producteurs de bétail qu’ils améliorent leur autonomie alimentaire et s’affranchissent des protéines importées.

Quelles sont les zones de culture les plus favorables?

Les principales vallées alpines ainsi que le Plateau furent autrefois colonisés. Le pois pousse en effet sans problème jusqu’à la limite supérieure des zones arables. Je l’ai personnellement cultivé, chez moi à Samedan (GR), à 1800 m!

Sous quelle forme l’apprêtait-on?

C’était un aliment de base dans le régime alimentaire d’autrefois. On en consommait les cosses encore jeunes, puis les pois verts et enfin les graines mûres. La soupe aux pois était alors très répandue.

 

Peer Schilperoord propose sur www.berggetreide.ch une série de monographies qui fournit une vue d’ensemble sur l’histoire et les caractéristiques des plantes cultivées.