Point fort
Les OGM ont-ils vraiment un avenir dans les champs de Suisse?

La population n’en veut pas, l’agriculture n’en attend pas de miracle: le point sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) alors que le moratoire sur leur culture doit être prolongé une quatrième fois.

Les OGM ont-ils vraiment un avenir dans les champs de Suisse?

Une «suspension provisoire d’un processus justifiée par des raisons supérieures d’intérêt public»: telle est la définition d’un moratoire. Dans le cas des OGM, néanmoins, le provisoire tend à devenir permanent: cela fait depuis 2005 que le moratoire interdisant leur culture en Suisse est prolongé à chaque échéance, et le Conseil fédéral annonce vouloir le poursuivre au moins jusqu’à fin 2025. Un statu quo qui illustre à quel point les fronts sont aujourd’hui crispés autour du génie génétique.

Problématique éthique
«Depuis vingt ans que l’on parle d’OGM, l’intérêt de la population pour cette méthode n’a pas seulement stagné, les sondages montrent aussi qu’il s’est péjoré, affirme Anne Gabrielle Wüst Saucy, cheffe de la section Biotechnologie de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Les Suisses ne veulent pas d’OGM dans leurs assiettes.» Ce qui inquiète, c’est l’incertitude sur la maîtrise du procédé: «Transgenèse et cisgenèse n’ont pas tenu leurs promesses et les nouvelles techniques d’édition génomique ne sont pas aussi précises qu’annoncé, selon Laurianne Altwegg, responsable Environnement, agriculture et énergie à la Fédération romande des consommateurs (FRC). On sait modifier un génome, mais on ne peut pas mesurer avec précision toutes les conséquences de cet acte.»

Une prudence exacerbée par le fait qu’il est question de production alimentaire: «Dans la culture européenne, l’alimentation est un sujet sensible, reconnaît Gérald Hess, philosophe et membre de la Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain. On regarde donc avec méfiance ce procédé un peu mystérieux, d’autant que l’on sait maintenant que l’innovation technologique a parfois des conséquences dramatiques sur la santé et l’environnement.»

Au-delà de cette méfiance à l’égard de la technique, Gérald Hess estime que la situation met en lumière une réflexion plus large: «Depuis la révolution industrielle, notre société est convaincue que le progrès passe par l’innovation technologique. Actuellement, on appuie sur le frein et on se demande si le fait qu’une technologie existe signifie que l’on doit l’accepter sans réfléchir.» Même son de cloche du côté de la FRC: «Les OGM posent la question des modèles agricoles que nous voulons: jusqu’à présent, ils n’ont servi qu’à soutenir une agriculture industrielle intensive, déplore Laurianne Altwegg. Appauvrissement de la biodiversité, dépendance des paysans aux groupes agrochimiques, toute notre manière de produire doit être débattue.» Un questionnement éthique couplé à une réticence des milieux agricoles (voir l’encadré ci-contre) qui assombrit les perspectives pour les OGM en Suisse.

Encore des questions à régler
Si le débat s’éternise, c’est parce que la thématique est complexe et implique de nombreux acteurs, des géants des biotechnologies au monde agricole en passant par les associations environnementales. Ensuite, le processus législatif est toujours en retard sur les innovations technologiques et a fort à faire pour encadrer des activités qui sont non seulement mal connues, mais aussi en constante évolution.

Restent deux zones d’ombre à éclaircir. La première est celle de la coexistence: comment assurer une séparation entre cultures conventionnelles, biologiques et génétiquement modifiées dans un territoire aussi petit que la Suisse et sachant qu’une bourrasque a tôt fait de disséminer pollen et graines à des kilomètres à la ronde? Une question épineuse que le Parlement a bottée en touche. Deuxième point sensible: on peine à se mettre d’accord sur ce qu’est un OGM. «L’introduction de nouvelles méthodes, en particulier celle dite de l’édition génétique, qui ne relève pas strictement de la transgenèse, nous force à redéfinir ce qui tombe sous le coup de la loi sur le génie génétique», relève Anne Gabrielle Wüst Saucy. Des questions fondamentales qui justifient à elles seules, selon tous nos interlocuteurs, de prolonger le moratoire: «La loi sur le génie génétique promet aux consommateurs qu’ils auront toujours la liberté de ne pas consommer d’OGM, avance Gérald Hess. On doit se donner les outils pour leur garantir cela.»

Réponse en 2025?
Alors, si ni le peuple ni l’agriculture n’en veulent, est-ce le moment d’abandonner la si coûteuse recherche sur les OGM? Cela ne semble pas à l’ordre du jour: le site protégé de Reckenholz (ZH), où Agroscope mène des essais en plein champ, n’a jamais été aussi intensivement utilisé qu’aujourd’hui. Il faut dire que les plantes génétiquement modifiées n’ont pas dit leur dernier mot: «Le changement climatique va s’accompagner de défis inédits en matière de production alimentaire, assure Gérald Hess. Si le génie génétique permettait de créer des végétaux plus résistants à la sécheresse, par exemple, il deviendrait probablement plus facilement acceptable.»

Cette perspective justifie-t-elle de poursuivre une expérimentation coûteuse et décriée? Chacun a son avis sur la question: du côté de la FRC, on estime que cet argent serait mieux investi dans des recherches sur les systèmes agroécologiques, tandis que l’OFEV soutient que les essais de plein champ sont indispensables à l’acquisition de connaissances. En attendant, la prolongation du moratoire apparaît comme la meilleure manière de garder la porte entrouverte. Rendez-vous en 2025, donc, en espérant avoir plus de réponses que de nouvelles questions.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): DR

Pas d’intérêt pour l’agriculture

Une étude réalisée en 2016 par l’Office fédéral de l’agriculture sur le rapport entre les risques et les bénéfices des OGM montre que les variétés disponibles sur le marché ne présentent pas d’intérêt pour la Suisse: adaptées aux immenses parcelles des États-Unis, du Canada ou d’Argentine, ces plantes (principalement du soja, du blé et du maïs) ne sont pas près de conquérir les petits domaines helvétiques. Bien au fait de ce potentiel et du manque d’intérêt des consommateurs, l’Union suisse des paysans soutient une prolongation du moratoire et la poursuite des recherches sur le sujet.

Questions à...

Étienne Bucher, responsable du groupe Amélioration des grandes cultures et ressources génétiques d’Agroscope

Les OGM sont toujours aussi mal perçus par les Suisses. Est-ce que cette perception pourrait s’inverser?
Je ne crois pas que l’opinion publique soit inflexible. Les nouvelles méthodes d’édition du génome pourraient être mieux acceptées si elles permettent d’augmenter la résistance à la chaleur ou aux maladies, de réduire l’utilisation des pesticides ou de proposer des produits plus sains.

Les craintes du grand public vis-à-vis de cette technologie sont-elles fondées?
Je comprends la méfiance de la population face au génie génétique et à la science en général. Mais il est dommage de mettre toutes les méthodes de sélection dans le même chapeau, alors que le terme d’OGM regroupe de nombreuses approches très différentes.

Dans ce contexte, devient-il plus difficile de justifier des essais en plein champ?
La question est plus fondamentale: la Suisse souhaite-t-elle apporter sa contribution aux sciences agronomiques et résoudre les problèmes majeurs qui nous attendent? Le moratoire permet de poursuivre la recherche, même s’il est effectivement extrêmement laborieux aujourd’hui pour un chercheur d’obtenir le feu vert pour un essai.