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Les moyens d’atteindre l’objectif «zéro carbone» font débat

Adoptée par le Parlement, la nouvelle loi sur le CO2 doit permettre d’abaisser drastiquement les émissions de gaz à effet de serre pour répondre à l’urgence climatique. Or ce texte ne fait de loin pas l’unanimité. Éclairage.

Les moyens d’atteindre l’objectif «zéro carbone» font débat

Mise en consultation en 2016, la révision totale de la loi sur le CO2 devrait entrer en vigueur début 2022. Ciblant les secteurs les plus polluants, ce texte doit permettre à la Suisse de tenir son engagement: la neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais les mesures proposées soulèvent des oppositions.

Qui est pour, qui est contre?
Trois camps s’affrontent. D’abord, une large majorité plus ou moins convaincue par un texte qui constitue un compromis tout helvétique. «Les ambitions de cette loi sont insuffisantes, mais c’est un premier pas», résume Mathias Schlegel, porte-parole de Greenpeace. Puis il y a ceux qui considèrent que la loi ne va pas assez loin, à l’instar du collectif Grève du Climat, dont certaines sections lancent un «référendum pour une écologie sociale». Enfin, un groupement constitué d’acteurs de l’économie pétrolière, du transport, du commerce automobile et de l’aéronautique, auquel s’est rallié l’UDC, trouve qu’elle est trop restrictive  et a également opté pour un référendum.

Quel rôle pour la Suisse?
«Notre pays n’est responsable que d’un millième des émissions mondiales de CO2.» C’est l’un des arguments du comité économique contre la loi, qui estime que la réduction constatée depuis vingt ans montre que la Suisse en fait déjà assez. «Nous ne contestons pas l’urgence climatique, nuance Jennifer Badoux, vice-présidente de l’UDC vaudoise. Mais nous trouvons que cette loi va trop loin.» À quoi les partisans du texte répondent que l’heure n’est plus à la discussion sur la responsabilité de chaque nation, mais à l’action.

Paiera-t-on l’essence plus cher?
Oui. Devenu le plus important émetteur de CO2 du pays, le trafic routier est dans le viseur. Le système de compensation des émissions imposé aux importateurs de carburant aura une répercussion à la pompe: le litre d’essence pourrait coûter entre 5 et 7 centimes de plus qu’aujourd’hui. Les opposants craignent que cette hausse ne pèse sur le budget des Suisses: «Si vous habitez en centre-ville, vous avez de nombreuses alternatives à la voiture, estime Jennifer Badoux. Mais pour les populations des zones rurales, il est difficile de s’en passer».

Le trafic aérien est-il concerné?
Contrairement à l’essence, le prix du kérosène destiné à l’aviation n’augmentera pas. Mais la loi prévoit une taxe incitative sur les billets d’avion, qui devrait représenter un surcoût de 30 à 120 francs par vol et rendre les autres moyens de transport plus compétitifs. L’addition sera particulièrement salée pour les jets privés: jusqu’à un maximum de 3000 francs par trajet.

Piéger le CO2, une alternative?
À l’heure où cesser totalement de produire du dioxyde de carbone semble difficile, plusieurs expériences portent sur la capture de ce gaz pour le retirer de l’atmosphère. «Ce sont des méthodes d’apprenti sorcier, affirme Victor Chételat, membre du collectif Grève du Climat. Les techniques de captage ne sont pas fiables, et il reste encore à savoir ce qu’on fait du CO2 capturé.» Il n’empêche que cette solution intéresse aussi bien le monde politique que l’industrie.

Agir à l’étranger, une solution?
Réduire ses émissions ne s’arrête pas à nos frontières: les objectifs doivent être tenus pour «les trois quarts par des mesures en Suisse et pour un quart à l’étranger», résume Andrea Burkhardt, cheffe de division à l’Office fédéral de l’environnement. Datant du Protocole de Kyoto, ce principe consiste à réaliser des réductions dans un autre pays, par exemple en remplaçant une centrale à charbon par un parc photovoltaïque. Chez Greenpeace, on aurait voulu un abandon de cette alternative: «Ce n’est pas en achetant des certificats à l’étranger que l’on atteindra la neutralité, relève Mathias Schlegel. Ce système a ses limites et n’est pas transparent. Il existe depuis vingt ans, et le CO2 ne baisse pas pour autant.»

La taxe, seul levier?
La loi mise sur des taxes incitatives, notamment sur le CO2, pour encourager citoyens et entreprises à réduire leur consommation d’énergies fossiles. «Cela rend plus rentables des investissements dans de nouvelles technologies moins émettrices de gaz à effet de serre», assure Andrea Burkhardt. La méthode suscite toutefois des réactions contrastées. Du côté de la Grève du Climat, on estime que les taxes font de la loi CO2 un texte «antisocial». Chez Greenpeace, on est plus pragmatiques: «Cet outil a fait ses preuves dans notre pays si attaché au libéralisme, rappelle Mathias Schlegel. Les personnes qui font un effort seront gagnantes.»

Où ira l’argent des taxes?
Taxe sur le CO2 et sur les billets d’avion, sanctions financières pour les importateurs automobiles ne respectant pas les valeurs cibles, mise aux enchères des droits d’émission… Les montants perçus par la Confédération s’élèveront à plusieurs milliards de francs. «Deux tiers des recettes de la taxe sur le CO2 et plus de la moitié de celle sur l’aviation seront redistribués à la population via les caisses maladie et à l’économie via l’AVS, précise Andrea Burkhardt. Le reste sera affecté au fonds climatique nouvellement établi par le Parlement.» Ce dernier financera le Programme Bâtiments destiné à encourager l’assainissement énergétique, soutiendra le développement de l’offre en trains de nuit ou celui de nouvelles technologies pour réduire les émissions dans tous les secteurs, en particulier celui du trafic aérien.

Les objectifs seront-ils tenus?
Réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 d’ici 2030, puis de 100% en 2050, c’est l’engagement pris par la Suisse en signant l’Accord de Paris. Et ce n’est pas gagné: pour l’instant, cette baisse atteint 14%. «Si l’on échoue, les conséquences seront catastrophiques, lâche Mathias Schlegel. Cette décennie sera cruciale pour limiter la casse.» Pour savoir si la loi CO2 tient ses promesses, il faudra d’abord qu’elle résiste aux référendums. Du côté de l’OFEV, Andrea Burkhardt met en garde: «En cas de rejet, la protection du climat va connaître un recul et la Suisse ne pourra pas assumer ses responsabilités.»

+ D’infos www.bafu.admin.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): DR

Questions à...

Athanasios Nenes, climatologue et directeur du Laboratoire sur les processus atmosphériques et leurs impacts à l’EPFL

Quel est le lien entre CO2 et changement climatique?
Ce gaz à effet de serre laisse passer la lumière du soleil, mais conserve ensuite une partie de la chaleur qui devrait s’échapper dans l’espace. Donc plus vous avez de CO2 dans l’atmosphère et plus la Terre se réchauffe.

Est-il le seul responsable de ce phénomène?
Il y a d’autres gaz en cause, comme le méthane, mais le dioxyde de carbone est de loin le plus important facteur de réchauffement, parce que l’humain en produit depuis des siècles, et parce qu’il reste très longtemps présent dans l’atmosphère.

Si la Suisse réduit ses émissions, dans quel délai en verra-t-on les effets?
Cela prendra du temps: même si nous arrêtions toutes les émissions demain, le réchauffement se poursuivrait pendant au moins vingt ans. Aussi décourageant que ce soit, il est crucial de contrôler les émissions de CO2, car si le réchauffement est trop important, le climat peut se déstabiliser de manière irréversible, mettant en péril l’habitabilité de la Terre. Les événements climatiques extrêmes de ces dernières années en donnent un aperçu.

Le trafic est le plus polluant

Les transports provoquent un tiers des émissions totales de gaz à effet de serre en Suisse: c’est le verdict de la statistique sur le CO2. Il n’en a pas toujours été ainsi, car le chauffage des bâtiments a longtemps tenu la tête du classement, avant de régresser dès les années 2000.