Décryptage
Les miniatures agricoles sont des jouets de séduction massive

Les fans de modèles réduits de tracteurs et de machines agricoles se comptent par centaines en Suisse. Souvent fidèles à une marque, ils en deviennent les ambassadeurs. Une aubaine pour les constructeurs.

Les miniatures agricoles sont des jouets de séduction massive

Des centaines de tracteurs côtoient des moissonneuses-batteuses, des semoirs et des dizaines de remorques. Quand on pénètre dans l’antre de Sylvie Dutoit, à Pailly (VD), on ne sait où regarder. Les miniatures agricoles sont partout, du sol au plafond. Du porte-clés aux tracteurs à pédales, en passant par les modèles de collection et les boules pour le sapin de Noël, on se retrouve au paradis des enfants et des passionnés de belles mécaniques. Sur les étagères, les petites et grandes boîtes sont alignées dans un ordre bien précis, qui échappe au commun des mortels, mais pas aux amateurs. Les Fendt concurrencent les John Deere, les Massey Ferguson ou les Deutz. «Je les classe par marque, certaines ont fusionné alors je les regroupe», explique Sylvie Dutoit.

Depuis plus de vingt-cinq ans, la Vaudoise commercialise des modèles réduits à l’enseigne d’Agripassion, le plus grand revendeur en Suisse romande. «À l’époque, on les trouvait uniquement chez

les kiosquiers ou dans les garages spécialisés, se souvient-elle. L’idée est venue d’en proposer dans un magasin, sur le modèle français.» Les premières boîtes occupaient un coin de l’entreprise familiale. Aujourd’hui, elles ont envahi un étage entier de 225 m2 et leur vente représente 10% du chiffre d’affaires. «Des clients viennent de toute la Suisse pour acheter des modèles rares, de collection, surtout de marques helvétiques comme Hürlimann ou Vevey, ajoute la spécialiste, qui conserve ces exemplaires dans une vitrine. Certains ne se déplacent que pour les admirer.» Sylvie Dutoit compte plus de 3500 clients réguliers dans tout le pays, dont la moitié seulement est issue du monde agricole.

Une passion partagée
«C’est un milieu assez secret, note-t-elle. Des passionnés doivent avoir des centaines de modèles chez eux, mais beaucoup ne les montrent pas, c’est leur plaisir caché.» Fabien Dauphin, lui, ne dissimule pas son attrait pour les tracteurs, de taille réelle ou miniaturisés. Tous les deux ans, il organise à Berolle (VD) un événement en leur honneur: «Tracteurs Nostalgie». Le collectionneur possède plusieurs centaines de modèles réduits, des Ford essentiellement. «J’ai acheté mes premiers exemplaires quand j’avais 13 ans, c’est une vraie passion, surtout pour ceux utilisés naguère sur l’exploitation familiale.» Fin connaisseur, il se rend souvent à Chartres (F) avec ses amis au Salon européen des miniatures agricoles, pour trouver des modèles spécifiques manquant encore à sa collection. En vingt ans, cet événement est devenu l’un des plus importants d’Europe, passant de 60 m2 d’exposition à plus de 6000m2. «Tous les collectionneurs présents ont une parenté avec le milieu agricole, indique Patrick Saulas, membre de l’association française Agri-coll, gérant le salon. Le réalisme de ces créations les fascine.» Cette passion a aussi un coût. Si la majorité des modèles s’achètent entre 80 et 150 francs, certaines pièces dépassent allègrement les 1000 francs. «Il faut se fixer un budget et s’y tenir», avertit Fabien Dauphin.

Des modèles à gogo
Car pour entretenir la flamme, les fabricants mettent chaque année de nouveaux modèles sur le marché. Les gammes semblent se développer à l’infini. «Il y a dix ans, ils en proposaient trente à cinquante par an, aujourd’hui ce sont près de 200 modèles inédits qui sont mis en vente annuellement, signale Daniel Clerc, à la tête de l’entreprise Agricol à Sâles (FR). Depuis dix ans, il s’agit surtout de pièces collectors pour des connaisseurs un brin nostalgiques.» De nombreux agriculteurs cherchent en effet la réplique réduite de leur premier tracteur. «Celui qui est mordu de vrais tracteurs aime aussi leur version miniature, constate Daniel Clerc. Pour les marques, c’est un investissement à long terme, qui se transmet aux enfants. On fait difficilement mieux comme publicité.»

Redoutable support publicitaire
Les fabricants ne s’en cachent d’ailleurs pas. Ils ont fait de leurs modèles réduits leurs meilleurs ambassadeurs. Leurs miniatures trônent aussi bien dans les garages que dans les chambres d’enfant. «Les miniatures et jouets de collection ont un rôle très important pour notre marque, reconnaît Lars Kaumanns, responsable de ce secteur chez Claas, en Allemagne. Ils permettent de lui donner vie. La fidélité à la marque commence tôt, lorsque les enfants rejouent des scènes de la vie réelle dans leur chambre.» Du tracteur en plastique au modèle de collection en métal, les constructeurs tentent par tous les moyens de séduire leurs fans au long de leur vie. «Notre objectif est d’intéresser les personnes de tous âges à notre marque, mais aussi de consolider durablement son image dans l’esprit des gens», conclut Lars Kaumanns. Si les miniatures ne suffisent pas à le faire, les constructeurs peuvent compter sur les gammes de vêtements à leurs couleurs, transformant leurs adeptes en supports publicitaires pour encore bien des générations.

+ D’infos www.agripassion.com

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): François Wavre/Lundi13

Questions à...

Pierre-Alain Humbert, président du conseil de fondation du Musée agricole de Chiblins (VD)

L’an dernier, votre musée a consacré son exposition à ces miniatures. Quel en était l’intérêt?
À La Côte, il y a beaucoup de collectionneurs de modèles réduits. Ils véhiculent, par leurs maquettes notamment, une belle image de l’agriculture. On a voulu montrer ce qui s’est fait dans le passé dans les campagnes, mais aussi ce qu’il s’y passe aujourd’hui.

Comment expliquer le succès de modèles réduits?
Enfants, on a tous eu des jouets en lien avec la paysannerie, plus ou moins rudimentaires. Aujourd’hui, les modèles se sont complexifiés. Tous n’ont pas forcément la place pour collectionner de vrais tracteurs, tandis que pour des miniatures, c’est toujours possible.

Quel est l’intérêt pour les marques d’en proposer?
C’est bon pour leur image et c’est lucratif. Les collectionneurs cherchent le tracteur de leur enfance, celui qui appartenait à leur père ou grand-père. Les constructeurs l’ont bien compris en déclinant ainsi leur gamme qui fait appel aux souvenirs et à la nostalgie.

+ D’infos www.musee-chiblins.ch