Reportage
Les microfermes se multiplient en Suisse romande

Un groupe de travail et des cours pour soutenir les exploitations en micromaraîchage ont récemment vu le jour. Tendance auprès des néophytes, ces structures novatrices sont toutefois fragiles et encore peu étudiées.

Les microfermes se multiplient en Suisse romande

La bise qui souffle ce matin à Bussigny (VD) n’a pas empêché Guillaume Sommer et Arthur Turin de se rendre aux champs à vélo. Bottes aux pieds et thermos de café à la main, les deux Lausannois de 27 ans surveillent attentivement leurs rangées de choux et délimitent l’emplacement des futures herbes aromatiques. «Nous venons un jour sur deux depuis six mois pour nous habituer au terrain et à la qualité du sol. Le grand jour approche!» Au mois de mai prochain, leur association de micromaraîchage À la belle courgette distribuera ses premiers paniers de légumes «cultivés sans intrant chimique et avec un minimum d’énergie fossile» à une soixantaine de membres de la région.

Nommées aussi microfermes, ces structures agricoles se multiplient en Suisse romande depuis cinq ans. À tel point que l’Institut de recherche en agriculture biologique (FiBL) a récemment créé un groupe de travail pour les soutenir. «Les microfermes sont des entreprises agricoles atypiques qui recherchent l’autonomie, en s’inspirant de la permaculture et de l’agroécologie, et en valorisant le travail manuel. Mais ces exploitations adeptes des circuits courts sont encore très peu étudiées», informe Hélène Bougouin, collaboratrice scientifique chargée du projet. Pour mettre en lien ces structures et créer de l’entraide, plusieurs réunions ont été organisées dans le canton de Vaud. «Pour le moment, près de septante personnes ont répondu à l’appel. C’est un grand succès!»

Conjuguer idéaux et rentabilité

Des cycles de cours en collaboration avec Agridea ont également vu le jour. Une initiative nécessaire, puisque environ la moitié des participants n’ont pas de formation agricole reconnue par la Confédération, souligne Claire Asfeld, collaboratrice au sein du Service de vulgarisation agricole. «Il y a un élan des citadins et des néoruraux âgés de 25 à 35 ans, et même de retraités. C’est une bonne nouvelle! Mais certains ont une vision utopique du monde agricole. Notre rôle est de leur donner des repères économiques pour qu’ils fondent une structure viable.»

En plus d’offrir des conseils personnalisés, la spécialiste encourage à prendre davantage en compte les habitudes de consommation. «Bien que les produits locaux soient à la mode, tout n’est pas aisément commercialisable, avertit-elle. Par exemple, des légumes vivaces tels que le poireau perpétuel, la poire de terre ou l’hélianthe n’intéresseront pas les clients s’ils ne connaissent pas leurs bienfaits ou ne savent pas les cuisiner. Il faut accompagner l’offre d’une communication ciblée et créer une communauté.»

Proposer une «expérience écologique et sociale», c’est justement ce qu’ont prévu les fondateurs d’À la belle courgette. Pour recevoir une part équitable des récoltes, chaque membre de l’association doit prêter main-forte aux champs quatre demi-­journées par an. Des événements et ateliers pédagogiques seront aussi proposés et relayés sur les réseaux sociaux. «Favoriser l’inclusion permet d’accompagner le changement de mentalités», assurent Guillaume Sommer et Arthur Turin, respectivement diplômé en agronomie et étudiant en aménagement de la forêt et du territoire.

Un discours pragmatique

Si certaines microfermes ont réussi leur pari en Suisse romande, ce n’est pas le cas du Bocage d’Oujon, né en 2016 à Coinsins (VD), qui a fait faillite après seulement un an d’existence. Denis Anselmo, l’un des deux initiateurs, témoigne. «Nous nous sommes lancés tête baissée sans expérience ni aucun contact. De plus, nos techniques n’étaient pas efficientes et le loyer cher dans la région. Je pensais avoir un salaire la première année, mais les dettes se sont vite accumulées. Il a fallu abandonner», raconte celui qui travaille aujourd’hui à la microferme La Clef des champs, à Courgenay (JU).

Pour éviter ce genre de scénario catastrophe, Hélène Bougouin et Claire Asfeld encouragent chaque porteur de projet à suivre une formation agricole, en plus des cours proposés par le FiBL et Agridea. «Il ne faut pas improviser. De plus, cela permet un accès plus facile à la terre, notamment pour la reprise de domaines hors cadre familial.» Toutefois, ces pratiques agroécologiques sont encore rarement enseignées dans les cursus romands. «Il y a tout de même des améliorations, puisque les filières biologiques pour les apprentis en agriculture font maintenant partie du paysage professionnel.» Pour Arthur Turin et Guillaume Sommer, l’engouement des citadins est réjouissant. «Il faut réinvestir les campagnes, sans pour autant juger les techniques conventionnelles. Il s’agit de proposer une nouvelle vision pour insuffler un changement.»

+ D’infos www.alabellecourgette.ch

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): François Wavre

Questions à...

David Bichsel, cofondateur de la microferme Rage de Vert, à Thielle-Wavre (NE), et étudiant en agronomie

  • Dans le cadre de votre master, vous élaborez une formation pour les personnes qui veulent créer une microferme. Pourquoi?
    Parce qu’il y a un réel engouement autour de ces méthodes, mais qu’elles ne sont que très peu enseignées en Suisse romande, notamment dans les CFC d’agriculteur et de maraîcher. Des cours de permaculture existent, mais ils sont essentiellement théoriques. Il y a un grand retard à combler.
  • Quel cursus voulez-vous mettre sur pied?
    Il y aurait des cours théoriques et des stages destinés aux personnes sans connaissance agronomique ainsi que des modules dispensés dans les écoles d’agriculture, si elles se montrent intéressées. Le but est de mettre en lien les porteurs de projets et les professionnels, tels que les maraîchers de la ferme de Budé ou des Jardins de cocagne, dans le canton de Genève. Ces connaissances précieuses seraient ainsi partagées et institutionnalisées.
  • Ce projet a-t-il des chances d’aboutir?
    Oui, d’ici une année je l’espère. Il est encore nécessaire de trouver des financements auprès de fondations qui soutiennent l’agriculture durable.

Travail manuel

Si les microfermes fleurissent en France depuis dix ans, inspirées notamment par la ferme biologique du Bec Hellouin, en Normandie, le phénomène est récent en Suisse romande. Ce maraîchage intensif peu mécanisé permet de planter plus densément que l’agriculture conventionnelle et d’accroître la productivité. C’est notamment le défi que s’est lancé la microferme pilote Perma-jardin, qui a vu le jour en 2017 à l’École d’agriculture de Marcelin (VD), sur 2,3 hectares. Certaines structures fonctionnent également selon le principe de la rotation des cultures, pour ne pas appauvrir le sol et limiter la propagation de ravageurs.