Point fort
Les mesures se multiplient pour lutter contre le gaspillage alimentaire

En Suisse, chaque habitant jette 90 kilos de nourriture par an, incitant toujours plus d’organisations à agir. Tour d’horizon de ces initiatives alors qu’a lieu ce samedi 16 octobre la Journée mondiale de l’alimentation.

Les mesures se multiplient pour lutter contre le gaspillage alimentaire

Penthalaz, dans le canton de Vaud. À l’intérieur d’un hangar industriel fraîchement rénové, six personnes s’affairent en ce début d’après-midi devant des cageots de légumes. Tomates, poivrons, salades, pommes de terre, courgettes: tout est trié. Ceux qui sont abîmés sont retirés, le reste est reconditionné dans des sacs que viendront chercher différentes organisations d’entraide alimentaire, comme les Cartons du Cœur ou Caritas, qui les distribueront à leur tour à des personnes dans le besoin. Un projet rendu possible par Table couvre-toi, une association qui lutte depuis plus de vingt ans contre le gaspillage alimentaire en Suisse.

Son but: sauver de la poubelle les produits retirés de la vente, mais encore consommables. Ces denrées lui sont fournies par différentes enseignes de la grande distribution, comme Coop, Migros, Denner ou Lidl, mais aussi des maraîchers et des producteurs. «Il peut s’agir d’excédents de stock qu’ils ne pourront pas écouler, de boîtes de conserve mal étiquetées ou d’articles dont le code-barres est erroné», explique Éléonore Gruffel, de Table couvre-toi. Présente sur tout le territoire helvétique, l’association a inauguré en mai dernier sa nouvelle antenne de Penthalaz, où sont acheminées chaque jour entre 30 et 40 tonnes de fruits et légumes.

 

Une denrée sur trois est perdue

En Suisse, de nombreuses initiatives essaiment pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Car notre pays compte parmi ceux qui jettent le plus de nourriture, avec 2,8 millions de tonnes gaspillées chaque année, selon les chiffres publiés par l’Office fédéral de l’environnement en 2019. En moyenne, une denrée sur trois est donc perdue entre le champ et l’assiette, d’après l’ONG suisse Food Waste. Des pertes engendrées à tous les stades: de la production agricole à la transformation, en passant par le commerce de gros et de détail, la restauration, mais aussi et surtout les ménages, qui dilapident à eux seuls 778000 tonnes de nourriture chaque année, soit 90 kilos par personne.

 

4 millions de repas sauvés

La plate-forme Too Good To Go sauve les invendus de plus de 5000 enseignes partenaires dans toute la Suisse. Le concept est simple. Il suffit de télécharger l’application sur son smartphone pour voir apparaître les points de vente de sa région classés par catégorie (boulangerie, pizzeria, restaurant végétarien, bar à sushis) et y réserver un panier surprise à prix réduit que l’on vient chercher à l’heure indiquée. Le paiement se fait via l’application. Présente dans le monde entier et lancée chez nous il y a trois ans, Too Good To Go compte aujourd’hui 1,5 million d’utilisateurs dans notre pays et a déjà permis de sauver près de 4 millions de repas.

Parmi les groupes d’aliments les plus jetés figurent le pain et les pâtisseries: 55% des quantités produites terminent en effet à la poubelle. Un chiffre colossal qui a donné l’idée à quatre amis zurichois de fonder en 2013 Äss-Bar. Leur mission: offrir une nouvelle vie à ces invendus en proposant du pain de la veille récupéré dans des boulangeries partenaires. L’entreprise alémanique compte aujourd’hui dix magasins, dont trois en Romandie (Bienne, Fribourg et Lausanne) et permet de sauver chaque année 700 tonnes de pain et articles boulangers.

 

Initiatives agricoles

Valoriser des aliments de second choix, c’est aussi le credo d’Ugly Fruits, qui propose des paniers composés exclusivement de fruits et légumes bios non calibrés. L’entreprise assure chaque semaine la livraison aux quatre coins du pays d’une sélection de produits «parfois moches mais toujours bons» achetés aux producteurs affiliés. Une manière de rendre le bio accessible tout en luttant contre le gaspillage. «Parce qu’un paysan se voit refuser 30% de sa production non calibrée», rappelle Ugly Fruits. Une démarche que l’Union maraîchère genevoise a mise en place il y a quinze ans déjà, en ouvrant des magasins pour écouler ses excédents de récolte et ses produits qui ne répondent pas aux calibres de la grande distribution (voir l’encadré ci-dessous).

L’Union suisse des paysans se mobilise elle aussi. Dans le cadre de sa campagne nationale «Save Food, Fight Waste», elle incite les exploitations pratiquant la vente directe à signaler avec des autocollants mis à disposition leurs produits qui ne répondent pas aux critères stricts du commerce pour pouvoir les vendre, même à un prix réduit. Car ces initiatives poursuivent toutes un objectif commun: revaloriser le travail essentiel des paysans en évitant de jeter une partie de leur production, alors qu’en Suisse 8% de la population vit avec le minimum vital.

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): DR

Déchets coûteux

Jeter des aliments a un prix: en Suisse, un ménage de quatre personnes met ainsi à la poubelle l’équivalent de 2000 francs de nourriture chaque année. Mais le gaspillage alimentaire a surtout un coût pour la planète. Il représente 25% de l’impact environnemental dû au domaine de l’alimentation, selon l’Office fédéral de l’environnement. Quand un aliment n’est pas consommé, sa production aura généré des émissions de CO2 et utilisé les sols et des ressources en eau inutiles. En jetant une banane, on gaspille donc en même temps les 160 litres d’eau qui ont été utilisés pour sa production.

Questions à Xavier Patry, directeur de l’Union maraîchère de Genève

Quand et comment est née l’idée de créer des enseignes avec des légumes de deuxième choix?

Notre premier magasin a ouvert à Carouge en 2006, suivi par celui de Perly en 2015 et un troisième aux Pâquis en juin 2021. L’idée est de proposer un canal de vente pour la marchandise qui ne peut pas être écoulée dans la grande distribution. Il y a des produits de premier choix en surproduction, mais aussi des légumes non calibrés. Nous livrons également 5000 paniers par semaine à Partage, la banque alimentaire du canton de Genève.

Que faites-vous avec le reste des invendus?

Nous les transformons en soupes, jus, sauces tomate et gaspachos, commercialisés sous notre label Côté Jardin.

L’Union maraîchère de Genève tend-elle au zéro déchet alimentaire?

Oui, pratiquement. Car ce qui ne peut pas être vendu ni transformé en jus et soupes est valorisé en biogaz. Mais cela ne concerne qu’une part infime de notre production, comme les légumes vraiment impropres à la consommation, les déchets de courge ou les feuilles de salade noircies. Chez nous, rien ne se perd, tout se transforme!