De saison
Les melons bios de François Devenoge, beaux comme des camions

Ils sont une poignée en Suisse à s’être lancés dans la culture de cette rafraîchissante cucurbitacée estivale. Reportage chez un maraîcher vaudois.

Les melons bios de François Devenoge, beaux comme des camions

Comme sur les routes du Lubéron, un petit panneau de bois invite désormais à s’arrêter, avec sa mention «Melons bios»: en dépit des températures caniculaires, nous ne sommes pas en Provence, mais bien à Dizy (VD), à quelques virages de Cossonay… François Devenoge a repris le Domaine de la Lizerne avec sa soeur et y cultive une belle diversité variétale, en mode bio. En contrebas de la route, les cultures maraîchères profitent de la terre noire d’une ancienne tourbière et de la proximité de la compostière régionale. Trois tunnels sont dévolus à la cucurbitacée, en partage avec quelques lignes de tomates, sur 500 mètres carrés: «On produit des melons depuis une dizaine d’années, mais on a augmenté la surface pour répondre à la demande.»
Sous le tunnel, une vraie jungle. Un foisonnement de feuilles vigoureuses et de tiges virevoltantes qui envahissent le sentier et s’emmêlent avec leurs voisines, masquent les fruits et s’obstinent à fleurir alors que la fin de la saison approche. Cucumis melo a une sacrée pêche, un tempérament envahissant, exubérant qui le fait mûrir quasiment à vue d’oeil, ces jours. «Avec ces chaleurs, on a atteint très tôt la pleine saison, note François Devenoge. Le pic de production va durer tout le mois d’août, durant lequel on récolte les melons matin et soir.»

Le bon moment pour le cueillir
Une question d’oeil, de nez et peut-être aussi de doigté… Car comment distinguer un melon à point – ni trop vert ni «confituré»? «Il commence à se craqueler légèrement autour du pédoncule, signe qu’il va se détacher facilement, explique François Devenoge. Et puis sa peau d’un vert très pâle vire peu à peu au jaune.» L’oeil, on vous disait. La main ensuite: notre melon se fait lourd, un petit ballon lesté… Et en cas de doute, l’odorat: «Si je ne suis pas sûr, je mets le nez dessus!»
Mais la cueillette, matin et soir, armé d’un sécateur et d’un oeil affûté, n’est pas le plus dur: «Dès les premiers signes de mûrissement, il faut s’agenouiller auprès de chaque plante pour extraire les fruits de la végétation et les déposer sur un lit de feuilles, sinon ils risquent de rester cachés et de s’abîmer avant qu’on puisse les cueillir», explique le producteur vaudois. Pour le reste, Cucumis melo est une culture plutôt facile. «Certains les taillent, d’autres les palissent, comme les tomates, en laissant la plante s’enrouler autour d’un fil. Beaucoup de travail pour peu de résultats, estime François Devenoge, qui préfère laisser les tiges courir au sol, comme les autres cucurbitacées, sur un tapis de plastique tissé recyclable.

‘Cézanne’, un charentais parfumé
«On achète les semences pour faire nos plantons, qu’on met en terre à fin mai; il faut un apport ciblé en eau et en compost. Le suivi est essentiel durant les premières semaines: «L’ennemi numéro un se nomme puceron noir. Si par malheur il en vient, il faut traiter tout de suite au savon noir.» Mais le maraîcher bio mise surtout sur la prévention: «On bassine les plants au purin d’ortie trois jours de suite avant de les mettre en terre. C’est un répulsif, qui renforce aussi la plante et attire d’autres auxiliaires utiles, telles les miniguêpes qui s’en prennent aux pucerons et aux acariens.» L’autre souci? Les souris. «Elles adorent les melons et passent souvent avant nous, tôt le matin, pour croquer dans les meilleurs fruits. Certaines années, c’est un vrai casse-tête: il nous est arrivé d’emballer individuellement chaque melon pour nous en prémunir.»Là-dessus, moyennant ces quelques règles, le melon pousse comme un fou et va rapidement coloniser tout l’espace: le maraîcher espère en récolter une tonne cette année. Avec les fruits trop mûrs, tachés ou abîmés, il confectionne de délicieux sorbets, voire des confitures, grâce à un collègue.
La variété choisie se nomme ‘Cézanne’: un melon charentais légèrement brodé et côtelé, vert pâle à jaune, à la chair orangée extrêmement parfumée. Autant dire une oeuvre d’art comestible.

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Thierry Porchet

Le producteur

FRANÇOIS DEVENOGE

Melon Cézane de Dizy, François Devenoge – 17.08.2018 – Dizy

Au Domaine de la Lizerne, la famille Devenoge fait partie des pionniers du bio depuis une trentaine d’années. François et sa soeur, qui ont repris l’exploitation en 2013, ont tenu à garder une trentaine de vaches laitières, que complètent des highlands pour la viande et des grandes cultures (céréales et oléagineux, transformés à l’huilerie de Sévery/VD). À cela
s’ajoute une grande diversité de cultures et d’activités: vergers, pommes de terre, une cinquantaine de légumes différents, une quarantaine de variétés anciennes de tomates, l’exploitation d’un gîte rural et de la compostière régionale, ainsi qu’un jardin expérimental en permaculture en association avec des amis. Le domaine compte 65 hectares sur les communes de Dizy, Cossonay et La Sarraz, dont une petite partie est dévolue au maraîchage: un demi-hectare, qui est aussi le plus gourmand en personnel et en travail… Principaux débouchés, les paniers d’une coopérative, deux petits magasins en self-service et plusieurs restaurants.

Fruit ou légume?

Il est originaire d’Afrique australe: des melons et des pastèques gros comme des pommes poussent toujours à l’état sauvage dans les zones subsahariennes, où ils signalent la présence de points d’eau. Cucumis melo a gardé en héritage sa propension à se gorger d’eau et à la stocker. Il appartient à la grande famille des cucurbitacées et, au-delà de son côté rafraîchissant, sa première vertu nutritionnelle tient à sa teneur élevée en sucre, sans oublier quelques vitamines A, C et B. Mais il lui aura fallu des siècles et autant d’hybridations pour devenir le fruit doux et charnu que l’on connaît, sous des formes et appellations diverses. Mais au fait fruit ou légume? Entrée ou dessert? Les deux en vérité, selon l’époque et l’usage, puisque les botanistes le définissent comme un légume-fruit. Les Romains le consommaient poivré, vinaigré, rehaussé de garum. Et certains chefs l’accommodent volontiers en gaspacho ou en salade avec mozzarella ou burrata, voire en pickles.