Point fort
Les maraîchers doivent passer au vert pour chauffer leurs serres

En 2025, Migros ne proposera que des légumes suisses cultivés sans énergie fossile. Cette échéance inquiète la branche, qui s’est fixé vingt ans pour passer au 100% renouvelable, malgré l’ampleur du défi technique.

Les maraîchers doivent passer au vert pour chauffer leurs serres

En Suisse, plus de mille hectares sont dédiés à la culture de légumes sous des serres et de grands tunnels, soit environ 7% du total des surfaces maraîchères du pays, selon les chiffres de 2020 publiés par l’Office fédéral de l’agriculture. En ce mois de janvier, rampons, radis et laitues s’y épanouissent à l’abri du gel et des intempéries, tandis que les premiers plantons de tomates et d’aubergines viennent d’être mis en terre dans ces couverts chauffés. Actuellement, 90% de ces infrastructures utilisent de l’énergie provenant de combustibles fossiles tels que le gaz naturel et le mazout. Mais des mesures promouvant une agriculture plus écologique s’apprêtent à bouleverser le secteur.

Dans le cadre de sa stratégie zéro émission de gaz à effet de serre en 2050, Migros annonçait il y a trois ans que seuls les légumes et fruits issus de cultures chauffées avec des sources renouvelables seraient proposés sur ses étals, en 2025. Un délai ambitieux qui touche de nombreux paysans helvétiques, le groupe achetant plus de 20% de la production totale de la branche. Parmi ses fournisseurs, Jaquenoud Maraîchers, à Lully (GE), qui produit 4500 tonnes de tomates de mars à novembre. «Je sentais venir ce changement, mais je ne pensais pas qu’il serait si précipité. C’est un énorme défi, qu’il sera très compliqué de relever en si peu de temps», expose Alban Jaquenoud.

 

Difficile de s’adapter

Actuellement, parmi les options vertes figurent, entre autres, le chauffage au bois, le biogaz et la géothermie. Mais pour le moment, le maraîcher n’a pas trouvé la solution idéale. «Nous ne produisons pas assez de matière organique pour alimenter une installation de biogaz et il n’existe pas de réservoirs souterrains d’eau chaude au débit suffisant dans notre sous-sol. De plus, la ferme se trouve en pleine campagne, ce qui rend difficile la possibilité de profiter d’éventuels rejets de chaleur provenant d’activités industrielles. Nous étudions l’option de construire une chaudière à bois avec d’autres agriculteurs, mais cela est coûteux et nécessite beaucoup de logistique», témoigne le Genevois.

Consciente de ces enjeux, l’Union maraîchère suisse (UMS) a adopté une stratégie à plus long terme pour la culture sous serre, visant d’abord un chauffage à 80% sans combustible fossile en 2030, pour atteindre les 100%, en 2040. Un objectif graduel qui représente tout de même un véritable challenge, selon son directeur Matija Nuic. «Parvenir aux 80% est réalisable, mais la situation est plus problématique pour les 20% restants, soit les pics d’énergie atteints notamment durant la saison froide. Pour ces périodes-là, des développements techniques sont encore nécessaires, mais nous sommes confiants. Il faut penser que personne n’avait de smartphone il y a vingt ans! Les producteurs ont le temps d’anticiper d’ici à 2040», assure-t-il. En revanche, il qualifie de «déraisonnable» l’échéance fixée par Migros. «Les demandes de permis de construire prennent du temps. Un délai si court prive de la possibilité de trouver des solutions judicieuses», estime-t-il.

 

Des légumes plus chers

Mais le scepticisme de la branche est loin d’arrêter le géant orange, qui compte bien réaliser cet «exploit pionnier». «Une partie de nos producteurs y était déjà préparée, car ce mouvement de société n’est pas récent. Il est dans leur intérêt de s’y adapter afin de ne pas être désavantagés par rapport à la production étrangère non chauffée. Cela reflète le désir de la clientèle», déclare Tristan Cerf, porte-parole de Migros. Il rappelle également qu’un fonds de soutien d’un million de francs par an a été mis en place. «De plus, nous proposons un accompagnement pour ceux qui rencontrent des difficultés techniques ou économiques. Le passage à la culture en plein champ pour certains est aussi envisageable.»

Les exploitants souhaitant réaliser un projet de transformation de leurs serres bénéficient également de subventions de la Confédération, grâce à un programme géré par la fondation myclimate. Celui-ci permet de financer une partie des études de concept et de rembourser en moyenne la moitié des coûts une fois le nouveau chauffage mis en service, grâce à un système de compensation des économies de CO2 effectuées. Actuellement, deux projets ont déjà abouti et 17 autres sont en cours dans le pays. «Malgré tout, les producteurs doivent faire des investissements très importants. Pour les rentabiliser, les consommateurs devront accepter de payer plus cher pour des légumes suisses durables. Nous devons tous tirer à la même corde afin de réussir la transition énergétique», affirme le directeur de l’UMS. Gaëtan Jaccard, technicien en culture sous abri à l’Office technique maraîcher, est plus pragmatique: «De toute façon, les agriculteurs n’ont pas le choix. Le problème, c’est qu’ils savent combien ils doivent débourser, mais pas ce qu’ils recevront en retour, ce qui suscite beaucoup d’inquiétudes. Mais ce n’est pas le premier défi que la branche doit relever. Elle saura le surmonter.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): DR

Transition écologique sur les rails

En Suisse, certains maraîchers ont déjà entamé leur transition vers une serriculture plus verte. C’est le cas du géant Stoll, qui cultive 25 hectares sous tunnel dans la plaine de l’Orbe (VD). Cette année, un projet pionnier de géothermie verra le jour sur l’exploitation, grâce à un forage d’environ 1100 mètres de profondeur qui permettra d’exploiter un réservoir d’eau chaude comprise entre 45 et 50 degrés. À terme, quelque 6000 tonnes de tomates au bilan carbone neutre y seront produites chaque année. «Quand j’ai commencé les démarches en 2014, on parlait encore très peu de géothermie. Ces prochaines années, j’ai bon espoir que des alternatives viables aux énergies fossiles voient le jour. Ce sera compliqué pour la branche, mais tout est faisable. C’est une question de coût», observe Roland Stoll. Du côté du Seeland, la coopérative Proveg – qui rassemble quarante exploitations et neuf hectares de serres – a également pris les devants. D’ici à 2023, un grand système de chauffage central au bois alimentera plusieurs serres sur une quinzaine d’hectares, près de Chiètres (FR). «Ce type de culture est essentiel pour protéger les légumes des aléas climatiques de plus en plus fréquents, ainsi que pour assurer une production locale et pérenne», déclare son directeur Martin Tschannen.

plus efficientes

Ces dernières années, l’étendue des surfaces agricoles sous abri a stagné en Suisse. L’actuel défi réside dans l’optimisation des installations existantes grâce aux nouvelles technologies. Parmi elles, l’invention de la start-up neuchâteloise Infrascreen: un revêtement thermique novateur composé de nanocouches transparentes. «Cela permet de retenir à l’intérieur de la serre la chaleur émise par le sol sous forme de radiations, tout en augmentant le rendement des cultures. C’est très prometteur», explique Cédric Camps, responsable du groupe de recherche «cultures sous serre», chez Agroscope, à Conthey (VS).